Madagascar, Kenya : Est-il sage de louer ses terres à des entreprises étrangères ?

À la suite de l'indignation provoquée dans le pays et le monde entier, le projet de contrat de location qui aurait laissé à la disposition de l'entreprise sud-coréenne Daewoo Logistics une grande partie des terres cultivables de Madagascar a été finalement abandonné. Cependant, on entend de plus en plus parler d’accords commerciaux du même genre [en anglais], entre des pays riches, désireux d'assurer leur sécurité alimentaire, et des pays en voie de développement, comme par exemple entre les Émirats Arabes Unis et le Soudan.

Photo prise à Madagascar, le long de la route Tamatave-Tananarive, par foko_madagascar

Le dernier projet d'accord commercial, évoqué par [en anglais] le Guardian et le Daily Nation, verrait le Kenya louer 40 000 hectares de terres au Qatar. En échange, le Qatar financerait la construction d'un port sur l'île de Lamu.

Ce contrat met en colère le blogueur kényan Opalo, qui craint [en anglais] une nouvelle forme de colonisation :

Qu'est-ce qui se passera une fois que nous aurons distribué une grande partie du Kenya au Qatar, à la Chine, à l'Inde, aux Émirats Arabes Unis, aux Saoudiens et à tous ceux qui auront envie de payer les imbéciles en qui nous avons eu confiance pour nous gouverner ? Allons-nous redevenir des squatters ? Est-ce qu'on ne va pas à nouveau nous traiter de “boys” ?

Et il ajoute :

Et où sont les millionaires kényans ? Ne peuvent-ils pas investir dans de telles entreprises ? Qu'attendent-ils ?

Les blogueurs malgaches sont encore tout retournés par le contrat qui a failli être signé avec Daewoo. Une association d'expatriés malgaches en France, SEFAFI, a mis en place un groupe de réflexion pour débattre des meilleures politiques concernant la question agraire à Madagascar. Sur un forum Yahoo traitant de Madagascar, SEFAFI a publié un article qui revient sur le contrat annulé et la leçon qu'on peut en tirer :

Les démentis officiels n’ont cependant pas levé toutes les appréhensions. Vraies ou fausses informations, des leçons doivent être tirées de l’affaire Daewoo. La première leçon à en tirer est, une fois de plus, le manque de transparence pour des opérations qui engagent les ressources naturelles du pays. La prétendue gratuité du bail de 99 ans ou même une éventuelle contrepartie sous forme d’infrastructures ne fait qu’aviver les soupçons d’existence de contreparties secrètes au profit d’intérêts particuliers et au détriment de la collectivité nationale.

SEFAFI fait le constat d'un problème qui dépasse la question économique ou des moyens de production, en soulignant que 70 % de la population de Madagascar est rurale. Férocement attachés à leur mode de vie, les paysans sont réticents à utiliser des méthodes de production intensive, et de tels grands contrats ne prennent pas en compte les intérêts réels des paysans. L'article défend des réformes progressives :

Si l’objectif est bien de donner à l’ensemble du monde rural les moyens de gérer son propre avenir, les opérations ponctuelles de fermes-pilotes ou d’élevages modèles, gérées par des groupes étrangers soucieux des paysans malgaches et donc respectueux d’une véritable démarche sociétale, seront les bienvenues. Sans empiéter sur les terres des paysans ni aliéner le patrimoine national, elles pourraient devenir un facteur d’entraînement et préfigurer ainsi l’agriculture malgache de demain

Sur le même forum Yahoo, Gazety Nosintsika publie la copie d'un article du quotidien Le Monde qui cite un rapport de Olivier De Schutter, rapporteur spécial des Nations-Unies pour le Droit à l'alimentation, sur la mondialisation des échanges et son impact sur les réserves alimentaires. Ce rapport souligne que la situation actuelle de l'agriculture dans les pays en développement est précaire à cause d'une dépendance croissante aux exportations :

On leur a promis qu'avec les devises ainsi engrangées, ils pourraient importer de quoi nourrir leur population pour un prix inférieur à ce qu'ils auraient pu produire eux-mêmes. Problème : on a engendré leur dépendance par rapport à des indices boursiers de plus en plus volatils. Après une baisse des cours de leurs produits, ils ne peuvent plus payer leurs importations, dont la valeur a, elle, été parfois multipliée par cinq ou six.

Pour finir, Taru Taylor [en anglais] commente le contrat annulé de façon très personnelle, depuis la Corée du Sud :

Bien que n'étant pas contemporains, comme l'étaient Jefferson et Hamilton, Ch'oe Che-U et Park Chung-hee sont les grandes figures qui ont marqué le destin de la Corée. Le Tonghak en est une entrée, l'impérialisme en est l'autre entrée. La “République de Corée” et la “Corée impériale” sont les termes du débat entre le héros agrarien et le dictateur capitaliste. Les manifestations contre l'importation de la viande de bœuf des États-Unis [en anglais] penchent du côté de Ch'oe Che-U, du Tonghak, d'une Corée ressemblant à Luke Skywalker, le chevalier Jedi. Mais le contrat avec Madagascar penche du côté de Park Chung-hee, de la Corée impériale, de la Corée du Seigneur Sith Dark Vador.

Ayesha Saldanha et Elia Varela Serra ont contribué à cet article par des liens.

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