Blogs de Gaza : “S'il te plaît, mon Dieu, dis-moi que cela va finir bientôt” (mardi 13 janvier)

[Traduction française mise en ligne à 2h00 le mercredi 14 janvier] A Gaza, les raids aériens israéliens se poursuivent sans relâche, et des combats de rue ont actuellement lieu à Gaza-Ville. Dans cette revue des blogs de Gaza qui ont été mis à jour le lundi 12 et le mardi 13 janvier, les blogueurs décrivent la peur ressentie quand les soldats israéliens arrivent dans leur quartier et soulignent la nécessité de continuer à informer le monde de ce qui se déroule [à Gaza].

Le Professeur Saïd Abdelwahed, qui enseigne l'anglais à l'université Al-Azhar (voir nos précédentes éditions), explique sur le blog Moments of Gaza [en anglais] comment il réussit à envoyer des information:

Un de mes amis m'a envoyé [un message] d'Europe, me demandant comme je réussissais à envoyer des e-mails au milieu de cette situation et des combats incessants. Je suis d'abord resté quinze jours sans électricité et avec peu d'eau potable. Le réseau de téléphonie mobile ne marchait pas, sauf pour envoyer des textos, et à peine. Les lignes de téléphones fixes ont toujours fonctionné, mais il y avait de la friture sur les lignes à certains moments. Durant ces journées, j'ai utilisé un petit groupe électrogène pour faire fonctionner mon ordinateur portable. Il y a trois jours, la compagnie d'électricité a réparé des transformateurs et des lignes et nous avons à nouveau eu de l'électricité. Nous avons pompé de l'eau dans le réservoir là-haut ! Cependant, il est encore fréquent que le courant électrique s'arrête par moments ; à d'autres moments, nous avons de l'électricité pendant 2-3 heures, et à d'autres moments encore, il y a du courant pendant dix heures ou plus. Voilà comment j'envoie mes e-mails…Ma priorité est de saisir toutes les occasions de contacter le monde [extérieur]. 

Dans une autre mise à jour de son blog, il nous informe de la situation :

Ma famille et moi sommes ok, mais stressés. Les attaques aériennes et terrestres de hier matin dans notre quartier ont été très dures. La bataille a duré cinq heures ! L'armée israélienne a tué quatorze personnes, dont deux enfants, a démoli avec ses bulldozers une maison, celle de la famille Sweerky, a détruit les cultures et les arbres dans une ferme proche, a détruit le minaret d'une mosquée, a brulé une maison, celle de la famille al-Jarwsha. Mes enfants étaient terrorisés : ils hurlaient et se sont terrés les uns contre les autres dans une pièce. Je m'attendais à ce que les tanks israéliens s'enfoncent plus profondément dans le quartier : des tanks de l'armée et des forces spéciales étaient à deux rues de moi ! L'électricité était coupée et les maisons et les rues étaient dans l'obscurité totale ! Des dizaines de famille ont quitté leur appartements dans la panique. Ils sont partis par les rues de derrière ! Parce que je n'étais pas sûr de quoi faire – dans de telles situations, personne ne peut dire comment les soldats vont se conduire quand ils arrivent! – alors, comme préparatif, et pour calmer mes enfants, j'ai détruit tous mes messages à mes amis sur la situation à Gaza ! Quarante personnes sont mortes avant hier. La nuit dernière a été une nuit de bombardements des tanks et de l'artillerie : cela a continué ce matin aussi. Les téléphones mobiles arrivent à peine à fonctionner, mais quelquefois nous pouvons envoyer des textos courts pour nous informer sur notre sécurité les uns les autres. […] Je viens juste de recevoir un texto de mon voisin qui vit au cinquième étage (je vis au quatrième), dans lequel il me souhaite, à moi et à ma famille, d'être en sécurité! Pour vous dire la vérité, j'ai été si peiné de perdre mon journal des événement à Gaza, mais ce matin, avec le retour de l'électricité, j'ai vu que mes messages étaient [publiés] sur des blogs sur Internet.[…]. Dans un sens, c'est un témoignage historique ! 

Laila El-Haddad [aux Etats-Unis], dont les parents sont à Gaza, écrit sur son blog Raising Yousuf and Noor [en anglais]:

J'ai reçu l'appel si redouté de 21h de mon père. Mon coeur s'est arrêté de battre un instant – les appels tard le soir signifient de mauvaises nouvelles. […] J'apprends que le beau-père de mon cousin a été blessé. Sa maison, dans le nord de Gaza, a été frappée par les forces israéliennes, puis rasée au bulldozer jusqu'au sol. Il a été arrêté, ils lui ont mis un bandeau et l'ont torturé – il a aussi été jeté du haut des escaliers, il s'est cassé plusieurs côtes. Il a du ensuite marcher pendant une heure jusqu'au quartier de Sheikh Ijleen à Gaza-Ville. Sa femme a aussi été forcée de partir au milieu de la nuit, en pyjama, et de marcher seule jusqu'à la ville.

J'ai parlé à mon père jusqu'à ce que les bombardements s'atténuent -une heure plus tard. Parfois, nous ne disions rien du tout. Nous tenions juste le combiné contre nos oreilles respectives et parlions en silence, comme si c'était une technologie inconnue. Comme si je peux le protéger de l'enfer que l'on déchaîne autour de lui pendant ces quelques minutes. Aussi absurde que cela semble, nous nous sentons en sécurité d'une certaine façon : rassurés, parce que si quelque chose arrive, cela arrivera pendant que nous sommes ensemble. 

Dans une autre mise à jour, elle écrit que les habitants de Gaza n'ont plus rien, à part la prière :

La peur est immense ; elle est suffocante : elle est dans l'air, disent les amis, et personne ne sait ce qui va se passer ensuite, et il n'y a nulle part où aller, sauf au ciel au-dessus. Et tant de gens à Gaza ont commencé à faire précisément ça : ils se réveillent pour les prières spéciales d'avant l'aube, qiyam il layl , dans le  “dernier tiers de la nuit” – une fenêtre dans le temps où les croyants se sentent particulièrement proches de Dieu et où il est dit que Dieu est particulièrement sensible aux appels que nous lui envoyons, où les supplications et les prières seront entendues. Et alors ils tremblent, et ils attendent, et ils prient, par cette petite fenêtre vers le ciel, pour que les portes de l'enfer se referment. Et ensuite, c'est une fois de plus l'aube.

Le photo-reporter palestinien Sameh Habeeb, sur son blog Gaza Strip, The Untold Story  [en anglais]:

Plusieurs histoires encore non racontées sous les ruines de Gaza dévastée. Plus cette guerre dure, plus nombreuses seront les victimes, leurs histoires enterrées avec elle. La plus grande partie de la bande de Gaza est plongée dans l'obscurité depuis le début de cette guerre. J'ai recontré plusieurs problèmes pour envoyer ces nouvelles, à cause du manque d'électricité. Aujourd'hui, une roquette a ciblé la maison de mon oncle. Ma maison a plusieurs [nouvelles] fissures et a reçu du schrapnel de roquette.

Louisa Waugh, qui était à Gaza jusqu'à récemment, écrit pour le New Internationalist sur le Gaza Blog [en anglais]:

Pour ceux d'entre vous qui sont à l'extérieur et regardent vers l'intérieur, il est impossible de comprendre ce que c'est que de vivre à Gaza en ce moment. Mes amis de Gaza me disent au téléphone qu'ils sont en enfer. ‘Dis-moi ce qui se passe, que font les gens pour nous aider ?” me demande mon ami Mohammed, quand je réussis finalement à le joindre à Gaza-Ville. “Je n'ai plus d'eau et d'électricité à la maison et aucun moyen de me tenir au courant des nouvelles. Dis-moi que quelque chose a été fait. Dis-moi, s'il te plaît mon Dieu, dis-moi que cela va finir bientôt”.

Dina Hazem, une étudiante, écrit sur le blog collectif Moments of Gaza [en anglais]:

Les troupes d'occupation encerclent ma ville. Ils sont à une rue de mon quartier. Dans les deux dernières semaines, les gens avaient l'habitude de sortir dans les rues, même si ce n'était que pour un petit moment. Mais ces deux derniers jours, je n'ai vu rien ni personne, sauf des ambulances qui foncent. Mon coeur souffre en voyant comment ma ville, autrefois prospère, vibrante, riche, se transforme lentement en une cité encerclée par la mort, le danger, les ravages et les maisons hantées…  

Ce à quoi les Palestiniens de Gaza s'habituent au quotidien sont des choses comme : :
…l'odeur de la poudre dans l'air
…la sirène des ambulances ici et là
…le bruit des avions de chasse et des hélicoptères dans le ciel…le bruit sourd, terrifiant, des bombes proches ou lointaines…
…les cris des bébés
…l'annonce des personnes mortes, blessées, disparues ou qui n'ont plus de maison

Voila ce que nous encaissons chaque jour, et même chaque heure…depuis les deux dernières semaines. Pour moi, ce n'est pas la vie. C'est la mort qui se prépare.

Mohammed Ali, qui travaille pour l'ONG Oxfam, écrit sur le blog d'Oxfam [en anglais]:

La situation est maintenant si critique que les médecins sont souvent confrontés aux dilemnes suivants : soigner l'enfant qui saigne à mort ou le bébé qui a des blessures graves à la tête ? Tandis que les médecins se posent ces questions difficiles, des politiciens continuent à débattre pour savoir si nous affrontons une crise humanitaire ou pas. Depuis que les attaques militaires de l'armée israélienne ont commencé à Gaza, aucun salaire n'a été versé et presque personne n'a pu travailler. Beaucoup de gens ici dépendent de l'agriculture pour vivre, et la population de Gaza dépend de ces agriculteurs pour pouvoir manger des légumes ; le blocus ne laisse presque rien rentrer. Aucun fermier ne va aux champs ces jours-ci, comme nous tous, ils ont peur d'être tués s'il sortent de chez eux, et même s'ils y restent. […] L'occupation a placé Gaza sous perfusion : nous avons juste assez pour survivre mais pas assez pour avoir l'impression de vivre vraiment… et maintenant, ça. Si je survis à la fin de ce conflit, je veux partir à la minute même où il me sera possible de le faire. Je ne veux pas que mes enfants grandissent dans cet environnement, étranglés par l'occupation, familiers du bruit des avions de chasse F16, incapable de quitter le pays s'ils ont besoin d'un traitement médical qui leur sauvera la vie.

Sharyn Lock, une activiste australienne, écrit sur Tales to Tell [en anglais]:

Ce soir, il y a trois nouveaux bébés très petits à l'hôpital, des triplés. Ils dorment profondément dans leurs couveuses, en dépit des tirs des chars qui s'approchent toujours plus. Pour eux seuls, je ne veux pas quitter l'hôpital maintenant : nous avons entendu des rumeurs horribles sur ce qui a été fait aux bébés, délibérément, il semble, et il y a des photos terribles. […] Quelqu'un disait l'autre jour que le taux de natalité chez les Palestiniens inquiète vraiment les Israéliens sionistes qui ont très peur d'être mis en minorité dans cette région. J'ai fait un commentaire sur le fait que les familles n'ont pas seulement perdu un, mais plusieurs enfants, à cause des maisons bombardées, etc. Et soudain, j'ai pensé : et si cette guerre était particulièrement destinée à tuer le plus d'enfants possible ? Est-il possible que quelqu'un, en Israël, se soit assis pour calculer comment faire ça ? Je ne peux même pas supporter de commencer à y réfléchir.

J'ai bien plus peur d'être arrêtée que tuée. J'aimerais penser que je ne suis pas assez importante pour que l'armée [israélienne] se préoccupe de moi, et que s'il viennent à l'hôpital, je pourrais contrôler, documenter et m'opposer à leur comportement, si c'est nécessaire.. (parce qu'un tas de types armés vont naturellement m'écouter, n'est-ce pas ?). Mais je ne supporterais pas d'être arrachée de ce petit endroit assiégé, et si l'occupation dure longemps, une étrangère à l'intérieur est à long terme plus utile qu'une étrangère arrêtée cinq minutes après l'arrivée des soldats.

Eva Bartlett, une activiste canadienne, écrit sur le blog In Gaza [en anglais]. Elle décrit comment, alors qu'elle et Alberto Arce, un autre militant, accompagnaient deux secouristes palestiniens partis chercher un mort, on a tiré sur ces secouristes, et que l'un d'eux a été blessé par balles à la jambe :

Alberto Arce a filmé l'incident, et c'est un témoignage de ce que nous avons vus, de ce que les secouristes nous ont dit endurer depuis longtemps, et de ce que les autorités israéliennes continuent à nier avec hargne : Israël cible le personnel médical, tout comme Ies forces israéliennes ciblent les journalistes, et, ces jours-ci à Gaza, tout ce qui bouge. Pas de refuge, pas de sécurité, pas de garantie d'un secours médical.

Les images filmées par Alberto Arce peuvent être visionnées ici.

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