Sri Lanka : Une nation baillonnée – Témoignages sur les viols

Selon Channel 4 [en anglais comme l'ensemble des liens ci-dessous], près de 20 000 personnes ont été tuées lors de la bataille finale ayant opposé les Tigres de libération de l'Eelam tamoul (LTTE) et l'armée sri lankaise. Des rapports signalent que parmi plus de 300 000 personnes déplacées, “13 000 sont portées manquantes dans leurs camps au Sri Lanka”. Inner City Press, un organisme de surveillance de l'ONU, estime que cette information est minimisée par les Nations Unies.

“Des employés d'organisations humanitaires ont été forcés de quitter le Sri Lanka après l'entrée en vigueur de règles strictes sur les visas”, selon un article publié sur le site Timesonline et daté du 3 juin dernier. Alors que l'accès à de nombreux camps de populations déplacées sont toujours inaccessibles aux  journalistes étrangers et aux organisations humanitaires, que l'information est contrôlée, il est difficile de trouver des témoignages venant de ces camps de personnes déplacées.

Camp de déplacés au Sri Lanka. Photo du ministère des Affaires étrangères britannique utilisée sous licence Creative Commons.

Camp de déplacés au Sri Lanka. Photo du ministère des Affaires étrangères britannique utilisée sous licence Creative Commons.

Regini David, une activiste des droits humains, de ceux des femmes et des travailleurs, œuvre en faveur des plus faibles depuis 23 ans. Elle a commencé à écrire sur son blog, Unheard Voices, au sujet de ceux  que l'on n'entend ni n'écoute jamais au Sri Lanka, donnant la parole aux gens avec qui elle a travaillé. Durant ses longues années de pratique, elle a notamment travaillé à Jaffna, au Sri Lanka, au centre pour femmes Poorani. Elle fait la chronique de l'une de ses expériences personnelles sous le titre “Perdues dans les nuits noires de la guerre au Sri Lanka : Les femmes et le viol”.

Un jour, Pat Ready et moi sommes allées au campement militaire et avons informé le capitaine George du fait que nous étions un groupe non-violent et qu'il ne fallait pas que ses soldats viennent au centre, et plus spécialement y pénètrent, sans permission. Pat lui a dit qu'elle devait se rendre à Colombo et lui a demandé de défendre à ses soldats de venir au centre ou d'effrayer les femmes y vivant. Elle l'a averti que si les mesures adéquates n'étaient pas prises, elle en réfèrerait à la Communauté internationale. Il a accepté et est venu visiter le centre.

Le jour où Pat est partie, le capitaine George s'est présenté devant notre porte tard dans la nuit, ivre et portant son arme à l'épaule. Nous avions recruté une nouvelle administratrice sortant de l'université de Jaffna. Dès que nous avons vu le capitaine de l'armée et son arme, de nombreuses femmes, mes sœurs, qui étaient venues visiter le centre ce jour-là et ma grand-mère se sont cachées sous les lits et dans les chambres. L'administratrice et deux autres femmes ont tenté de parlementer avec lui pendant que le groupe de Tamouls armés, qui l'avait accompagné, l'attendait dehors. Je me suis cachée derrière la porte d'entrée. L'administratrice a commencé à parler. George posait plein de questions et faisait comme s'il ne connaissait rien du centre. Il lui a demandé de l'emmener voir l'endroit que nous allions utiliser pour la crèche, lequel était broussailleux et sombre. L'administratrice a commencé à trembler et à pleurer mais ses pieds avançaient. Je savais pourquoi il lui avait demandé çà et ce qu'il voulait. Je me suis montrée et j'ai dit : “Bonjour capitaine George ! Pourquoi voulez-vous voir de nouveau cet endroit ? Vous êtes déjà venu et avez été averti du fait que vous et vos hommes ne pouviez venir ici, Pourquoi êtes-vous là ?” Il a sursauté en me voyant là. Il a dit qu'il venait juste vérifier si nous étions toutes en sécurité. J'ai dit que s'il y avait un quelconque problème, nous lui en ferions part et lui ai demandé de partir. Il est parti. Même si j'étais terrifiée et tremblante, il fallait que je le fasse pour nous sauver, nos sœurs et moi. Je me suis sentie très forte à ce moment-là, même si je n'avais pas le même statut que le Dr Rajini et Pat et que j'étais encore très jeune à l'époque. Je m'élevais verbalement pour la première fois contre une armée et je n'ai jamais vu ma mère ou nos voisins défier l'armée.

Cette nuit-là, nous avons dormi chez l'une de nos voisine. La vieille femme avait de l'asthme. Il y a eu tant de bottes qui ont, tout au long de la nuit, marché dans les “saruhukal” (feuilles mortes) et donné des coups dans les portes de Poorani. Le bruit faisait battre nos cœurs. Une crise d'asthme s'est déclenchée chez notre vieille voisine, elle ne pouvait plus respirer. Elle faisait tellement de bruit que, pour nous protéger, nous avons dû lui mettre la main sur la bouche et bloquer son souffle entre l'inspiration et l'expiration. Cette nuit-là, nous n'avons pas fermé l'œil. Je ne peux expliquer la peur et la douleur qui furent les nôtres jusqu'à ce que les bottes et l'odeur nous quittent ce matin-là.

Elle poursuit :

Nous avons compris que, si nous nous cachions, nous allions nous faire agresser, alors nous avons décidé de rester ensemble, mais ces hommes terrifiants nous ont sélectionnées selon nos silhouettes et nous ont demandé d'aller dans les chambres pour les inspecter avec eux. Nous glissant une arme dans la bouche,  ils ont vérifié si nos poitrines n'étaient pas des bombes ou si nous ne dissimulions pas d'armes dans notre vagin. Notre voix restait bloquée à l'intérieur, le canon de l'arme coincé dans la bouche. Notre corps devenait de glace tandis que le sang se figeait dans nos veines et que nos yeux cherchaient de l'aide. Il n'existe ni règle, ni mains qui puisse essuyer nos larmes de sang. Notre corps entier devient insensible. Il y a eu tant de vérifications de ce genre perpétrées auprès de mes amies et mes sœurs, mais nous sommes restées silencieuses et n'en avons parlé qu'à nos mères.

Le pire, écrit Regini, est que ces femmes continueront de souffrir de ce qu'elles ont vécu :

Ça ne s'est pas arrêté. Nous, en tant que femmes, portons ce sentiment de salissure ,et ses conséquences, avec nous où que nous allions. J'ai conseillé beaucoup de femmes qui ne veulent plus laisser leur mari toucher leur corp. Et leur voix restent enterrées au plus profond d'elles-mêmes, tant elles craignent d'être abandonnées par leurs maris et la société.

Emily Wax, du Washington Post, a écrit un article intitulé “L'intimité bafouée au Sri Lanka – aucune retenue durant les contrôles militaires” en mars 2009, confirmant ces exactions commises au nom des contrôles. Alex Crawford, qui travaille pour le bureau britannique de Sky News, évoque, le 21 mai dernier sur le site de la chaîne de télévision, des “plaintes pour sévices sexuels émanant de camps de réfugiés au Sri Lanka” et accompagne son article d'une vidéo.

Dans son billet intitulé “Enfouies des années durant au fond de nous-mêmes : Histoires de viols, de faim et de mort contées par les femmes tamoules sri lankaises“, Regini David évoque ce qu'elle a personnellement vécu dans un camp durant son enfance et comment ces histoires restent enterrées :

Je suis devenue une personne déplacée à l'intérieur de mon propre pays alors que j'avais seulement 13 ans. Notre maison avait été détruite par une bombe. Nous ne savions pas où aller. Nous courions et courions. La puanteur des cadavres était partout. Il ne s'agissait pas seulement de corps sans vie. C'étaient ceux de mes oncles, sœurs, amis et voisins.

[…]

Le gouvernement sri lankais a déclaré au monde que mes oncles étaient sains et saufs… Le gouvernement sri lankais a déclaré au monde que mes sœurs n'avaient pas été violées. Il a affirmé au monde que ce n'était pas vrai. Mais la vérité, c'est qu'ils ont tous disparu.

Nos histoires sont profondément enfouies, mais nos nuits sont pleines de ces histoires.

Protestant contre le silence de la Communauté internationale, Tim Martin, un ancien employé britannique d'organisme humanitaire, poursuit une grève de la faim depuis 15 jours à Londres, ce qui est passé quasi inaperçu au sein des principaux médias.

La guerre est terminée au Sri Lanka, mais la liberté d'expression y reste menacée. Sunanda Deshapriya, un journaliste réputé, cite Reporters sans frontières sur son blog, dans un billet intitulé “Les journalistes s'intéressant au sort des Tamouls menacés et  empêchés de travailler – RSF“. Dans le même temps, J. S. Tissainayagam, à qui le président Obama a fait allusion dans un communiqué publié le 1er mai dernier à l'occasion de la Journée mondiale de la liberté de la presse, continue de languir en prison.

Un autre journaliste sri lankais, un Cingalais cette fois, a été agressé, selon le CPJ (Comité de Protection des Journalistes). Un groupe de défense des droits des Sri Lankais a également reçu des menaces le lendemain de l'agression du journaliste. “Clair avertissement pour ceux considérés comme des traîtres au Sri Lanka“, analyse Reuters.

Selon le site Innercitypress, l'Onu n'a pas apprécié les reportages de la presse sur le Sri Lanka, en particuliers ceux de Fox News, du Wall Street Journal et d'Inner City Press et a prévu de réagir.

Alors, tout cela a-t-il des conséquences sur la normalisation de la situation ? La blogueuse Udara Soysa estime que l'attitude du gouvernement sri lankais envers les personnes déplacées sera déterminante dans les futures relations cingalo-tamoules.

5 commentaires

  • […] et analyses – Année 2009 By ayubowan 06.06.2009 – Sri Lanka : Une nation baillonnée – Témoignages sur les viols. 03.06.2009 – British newspapers expose cold-blooded killing of LTTE leaders in Sri Lanka **. […]

  • Merci Samantha Deman pour la traduction en français.

    Je vous invite à suivre aussi le blog Namaste! Salam! de Marie-France Calle : http://blog.lefigaro.fr/inde/

  • kaalavan

    please save tamils.
    if we had a separate state we never hurt that much..

  • siva

    The international community’s response to the genocide in srilanka is very disappointing. They repeatedly talk about child recruitments and Human bomb by tigers. Now there are nothing to talk about LTTE. Before they defeat the LTTE srilanka said Ltte force the people join to LTTE. But most of the young boys and girls those left the fighting and moved to government control area are been raped, tortured and killed. Also children, elderly, women are killed I.C is taking their sweet time before any action is taken. Imagine yourselves and families in that position and think what will you do to protect them. You don’t actually have to be connected to these people. We are all human beings some people might have forgot about it. But there are lot more people who did not. This is a humanitarian crisis. Who ever hates war please join with these people and support them for Tamil Eelam, what they call as a solution What about the responsibility to protect. If srilanka is denying these atrocities why can’t they let observers in to the war zones & the camps?

  • Anton

    You are great and I would like to thank you for bringing the truth about what is going on in Sri Lanka. As a woman came forward to tell the truth about the innocent young women how they were tortured and raped by the Sri Lankan forces for the past 60 years.no body knows whats happening in the camps many young people missing.Please bring more news in the camps never give up. still killing and raping going on.
    PLEASE STOP THE GENOCIDE OF TAMILS IN SRILANKA

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