Bolivie : Adieu à l'artiste hip-hop aymara Abraham Bojorquez

Le décès soudain du chanteur de hip-hop bolivien Abraham Bojorquez a particulièrement marqué les habitants d’El Alto, sa ville d'origine. Victime d'un accident de la route impliquant un bus, Bojorquez laisse derrière lui de nombreux admirateurs dans le monde entier, mais également un héritage constitué de souvenirs et de paroles qui rendaient compte des luttes et des espoirs d'une jeune cité qui a subi tant d'avanies. De nombreux blogueurs boliviens le connaissaient, et dans les semaines qui ont suivi sa mort ils ont partagé leurs condoléances et leurs récits évoquant le respect qu'ils accordaient à cet artiste.

Photo dAbraham Bojorquez par Wara Vargas / www.lamalapalabra.tk utilisée avec autorisation.

Photo d'Abraham Bojorquez par Wara Vargas / www.lamalapalabra.tk utilisée avec autorisation.

Un blogueur d‘El Alto, Alberto Medrano auteur du blog Letras Alteñas se souvient de la première fois qu'il a assisté à un concert de Bojorquez à Rio Seco, un quartier d'El Alto [en espagnol], et comment “de nombreux jeunes sont restés impressionnés par son rythme cadencé de hip-hop au parfum andin additionné d'un contenu protestataire et révolutionnaire, appelant à la justice pour les événements sanglants  d'octobre 2003.”

Les événements d'octobre 2003 jouent un rôle proéminent dans les paroles des chansons de Bojorquez. Lors de cette période difficile à El Alto, environ 70 habitants sont morts durant un conflit avec les forces armées. Ces événements sont depuis devenus le cri de ralliement de ceux qui demandent justice.

Au début des années 90, Bojorquez émigra au Brésil où il travailla dans une usine textile, mais fut également initié au hip-hop. Lorsqu'il revint à El Alto, il créa le groupe Ukamau y Ké [en espagnol], et il rappait souvent dans la langue Aymara. Selon Cristina Quisbert du blog Bolivia Indigena, Bojorquez avait [en espagnol] “un style particulier qui mêle le hip-hop et son contenu social avec la valorisation de la culture aymara, et avait gagné sa place parmi les jeunes d'El Alto et dans les endroits où il avait présenté sa musique et ses chansons”.

En tout cas, c'est le blog La Mala Palabra qui propose la plus grande part des commentaires qui ont suivi sa mort et la communication des hommages et souvenirs par ceux qui ont connu Bojorquez. Le blog publie des photos de la veillée funèbre et des funérailles qui montrent bien les témoignages de sympathie de la part de ceux qui le connaissaient bien, et de ceux qui admiraient simplement son travail. De nombreux amis et membres de la famille sont venus présenter leurs respects à la veillée funèbre [en espagnol]:

Su familia está destrozada y era obvio: el humilde hijo de migrantes campesinos (su familia es oriunda de Sapahaqui, provincia Loayza de La Paz) había logrado salir adelante pese a haberse criado solito, quedó huérfano muy tierno, cuando apenas tenía 4 años. Le vendría una vida jodida, en la calle, con tragos, con drogas, con pandillas, con cuates, con el trabajo esclavista en Brasil… Sus primos, sus tíos y allegados se sorprendieron el poder de convocatoria de Abraham porque cosechó con ese carisma astral-andina a montón de cuates y cuatas. Y ese fue uno de los valores que todos coincidían en destacar.

(…)

Varios tomaron el micrófono para recordarlo, para despedirlo, para decirle la buena gente que era, que es, que seguirá siendo.

Sa famille est accablée et cela est visible : l'humble fils de paysans émigrés (sa famille est originaire de Sapahaqui, dans la province de Loazya à La Paz) a réussi à avancer malgré le fait qu'il a du s'élever lui même,  précocement orphelin dès l'âge de 4 ans. S'ensuivit rapidement une vie difficile, dans la rue, avec alcool, stupéfiants, gangs, avec les copains, et avec un travail de quasi-esclave au Brésil …. Ses cousins, oncles et proches amis étaient surpris de voir comment Abraham avait la capacité à rassembler les gens, car il usait de ce charisme astral-andin avec de nombreux amis. Nombreux sont ceux qui lui reconnaissaient cette qualité.
(…)
Ils furent nombreux à prendre le microphone pour se souvenir de lui, lui dire adieu, et pour dire combien il était, est et restera une personne bonne.

La Mala Palabra décrit également les funérailles qui ont eu lieu au cimetière public de La Paz [en espagnol], et qui ont attiré de nombreux admirateurs, amis et collègues musiciens. Avec une telle diversité, il y eut un léger désaccord sur la meilleure manière de rendre un dernier hommage :

Palabras póstumas, voces quebradas, cuates que alentaban a cambiar la actitud porque el Abraham hubiera deseado buena onda en su entierro. Lo despidieron sus cuates hiphoperos que escupieron su flow jodidas por las lágrimas. Un charango y una quena hicieron de coro y también los de la Saya Afroboliviana pusieron su canto, uno muy lastimero mezclado con resignación.

(…)

Antes de que el féretro ingrese al nicho hubo una singular disputa. Mientras uno de los familiares se puso a rezar, fue recriminado el hecho de que Bojorquez no era católico y que con el silencio debería respetar la memoria del finado. Sin embargo, otros presentes dijeron que el Abraham hubiera respetado la forma de pensar distinta y diversa a la suya, pues creía en la integración de todos. Todo un dilema.

Des phrases posthumes, des voix brisées, et des amis encourageant un changement d'attitude car Abraham aurait souhaité une bonne ambiance à son enterrement. Ses amis du hip-hop firent leurs adieux avec un rap mêlé de larmes. Un charango et une quena fournissaient l'accompagnement, et même les afro-boliviens interprétèrent une saya [NdT : style musical propre aux afro-boliviens] composées de tristesse et de résignation.

(…)

Avant que le cercueil ne rejoigne sa niche, il y eut une dispute. Alors qu'un membre de sa famille commençait à prier, il fut critiqué en raison du fait que Bojorquez n'était pas catholique et que la mémoire du défunt devrait être respectée par le silence. Quoi qu'il en soit, d'autres personnes présentes dirent que Abraham aurait respecté les différentes croyances, car il croyait en une intégration de tous. C'était un dilemme absolu.

Film d'une campagne publique contre la pollution sonore. Interprété par le groupe de Bojorquez Ukamau y Ké, avec sous-titres espagnols.

En tout cas, les témoignages de sympathie provenant de toute la Bolivie continuent à arriver de collègues musiciens, comme Ronaldo [en espagnol] (Animal de Ciudad) de Santa Cruz. Bojorquez avait donné des concerts dans toute l'Amérique latine et était monté sur scène avec des artistes célèbres comme Manu Chao et Bersuit Vergarabat. Enfin, le blogueur Pez Fumador résume ses sentiments lorsqu'il a appris la mort d'Abraham [en espagnol] :

No suelo ser muy expresivo en los momentos de dolor, pero la súbita partida de Abraham Bohórquez ha rajado algo en mi alma. Un joven trovador con muchas propuestas, con una lectura justa y visionaria de muchas cosas en nuestro país, el Ukamau y Ké me permitió conocer las vetas políticas y estéticas del hip hop en nuestro país. Además, me ayudó a tender puentes urgentes con mi hija… para poder seguir avanzando en este mundo cruel. Realmente una pérdida jodida para muchos… escuchando las canciones de Abraham, aprendimos sobre la realidad de los jóvenes, de la lucha contra el racismo y de muchas contradicciones nuestras y tuyas también.

J'ai tendance à ne pas être très expansif dans les moments de douleur, mais la mort brutale d'Abraham Bojorquez a brisé quelque chose en moi. Un jeune artiste avec tant à offrir, avec un regard honnête et visionnaire sur notre pays. Le Ukamau y Ké qui m'a permis de connaître les tendances politiques et esthétiques de notre pays. De surcroît, cela m'a permis de maintenir un contact avec ma fille … d'être capable d'avancer dans ce monde cruel. Il s'agit vraiment d'une perte malheureuse pour beaucoup … En écoutant les chansons d'Abraham, nous avons appris beaucoup sur la réalité de la jeunesse, sur la lutte contre le racisme et sur nos propres contradictions.

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