Le Hip-Hop, un média citoyen et cosmopolite

L'histoire de la quête de l'intégration sociale par l'utilisation de  nouvelles technologies de communication est déjà longue, depuis les vagues successives de nouvelles inventions, parmi lesquelles on trouve le télégraphe, la radio, la télévision, le satellite et bien sûr le Web. L'ouvrage d’Alfonso Gumucio [en espagnol] intitulé Making Waves: Stories of Participatory Communication for Social Change [en anglais] (Faisons des vagues (ou ondes) : Récits de communication collaborative pour le progrès social) et publié en 2001, met en lumière ces projets en présentant plus d'une vingtaine d'études de cas de projets qui ont recours à la vidéo, la radio, le théâtre et le Web. Des projets similaires sont présentés chaque semaine sur des sites tels que Communication for Social Change Consortium, Internews, The Communication Initiative Network,Panos, et Rising Voices [en anglais].

Pourtant, il se peut que l'expérience la plus réussie en matière de médiatisation d'une communauté dite marginale, ne soit pas un projet de radio communautaire ou sur Internet, mais plutôt sur une cassette et une radio portative.  La naissance de la musique Hip-Hop telle que nous la connaissons aujourd'hui et dont on retrace les racines dans la tradition du griot en Afrique de l'Ouest, dans les chansons de travail des esclaves du Delta du Mississippi [en anglais], et dans la musique dancehall venue de la Caraïbe, est généralement associée au DJ d'origine jamaïcaine DJ Kool Herc (Clive Campbell). Ce dernier organisait des fêtes au 1520 Sedgwick Avenue [en anglais] dans le Bronx à New York, où il utilisait deux platines de mixage jointes pour mixer des percussions rythmées avec de la musique funk.  Les invités étaient libres de prendre le micro et de rapper sur cette musique afin d'exprimer leur créativité et de montrer leur virtuosité verbale. Ces soirées de Sedgwick Avenue [en anglais] ont été décisives pour le son et le sens de la communauté qui ont influencé ceux que l'on considère aujourd'hui comme les pionniers du hip-hop: Grandmaster Flash, Afrika Bambaataa, et The Sugarhill Gang.

Dans les années 1990, le centre névralgique du courant hip-hop s'est déplacé de New York City à Los Angeles, où les artistes N.W.A., Ice T , entre autres, ont fait connaître le gangsta rap, un genre du hip-hop qui s'articule autour de la violence, de la fête, de la magouille et du proxénétisme qui avaient cours dans les rues mal famées de Compton en Californie. Ce n'est que grâce à la sortie de l'album “Enter the Wu-Tang (36 Chambers)” en 1993, que New York City a retrouvé sa première place aux yeux des fans de hip-hop aux États-Unis.

De Hong Kong à Staten Island en passant par le Libéria

Le co-fondateur de Global Voices, Ethan Zuckerman a récemment écouté une interview [en anglais] dans l'émission “On Point” de Tom Ashbrook sur la radio publique, dont l'invité était le leader du groupe Wu Tang Clan, Robert Diggs, aussi connu sous le nom “the RZA” [en anglais]. Pendant cette interview, on découvrait un point commun improbable, dans les années 1980, entre les vies de Ashbrook [en anglais], diplômé de Yale et journaliste professionnel et Diggs, un pauvre rappeur inconnu de Staten Island, qui se réfugiait dans un cinéma miteux spécialisé dans les films porno et de kung fu. A cette époque, Ashbrook était à Hong Kong, où il était correspondant à l'étranger et complétait ses revenus en doublant en anglais des films de kung fu. Il y a de grandes chances que dans l'un des nombreux films qui ont influencé le style hip-hop unique du Wu Tang Clan, on entendait la voix du pétillant Tom Ashbrook, animateur de la radio publique.

Aujourd'hui, les districts extérieurs de New York sont difficilement reconnaissables, tant ils sont devenus des versions embourgeoisées de ce qu'ils étaient par le passé. Cet embourgeoisement a d'abord conquis Brooklyn et s'attaque progressivement au Bronx [en anglais]. C'est même grâce une mobilisation longue et coûteuse [en anglais] qui a lutté pour éviter que le 1520 Sedgwick Avenue, lieu de naissance du hip-hop, ne disparaisse dans un nouveau projet de rénovation urbaine. En ce qui concerne Park Hill [en anglais], le quartier d'origine du Wu Tang Clan, il a subi beaucoup moins de changement que le proche Brooklyn, situé de l'autre côté du pont Verrazano-Narrows. Bien que les touristes prennent souvent le ferry gratuit de Staten Island vers Manhattan pour admirer la Statue de la Liberté sous tous ses angles, ils ne prennent que rarement le temps de visiter ce district.

L'un des plus brusques changements démographiques de Staten Island a eu lieu entre la fin des années 1980 et le début des années 1990, alors qu'éclatait la guerre civile au Libéria, un pays d'Afrique occidentale fondé par des esclaves américains affranchis [en anglais]. Arrivés à Staten Island par milliers, les réfugiés venus du Libéria fuyaient la violence contrôlée par  Charles Taylor, un seigneur de guerre qui avait étudié aux États-Unis. Ils forment aujourd'hui la plus grande communauté de Libériens vivant à l'étranger et leur difficulté à adopter la mentalité new-yorkaise a fait l'objet de plusieurs articles, comme ceux de Mother Jones, The Village Voice, WNET, et ces deux articles parus dans le New York Times [en anglais].

Ruthie Ackerman [en anglais] est une journaliste freelance qui rédige actuellement un livre sur les conséquences sociales de la guerre civile au Libéria, ainsi que sur l'intégration des réfugiés libériens dans le quartier de Park Hill, qui a vu naître le Wu Tang Clan, il y a plusieurs années de cela. Cependant, au lieu de se contenter de rapporter les témoignages des Libériens, elle a décidé de lancer Ceasefire Liberia [en anglais] (Cessez le feu au Libéria), un projet de média citoyen en ligne qui a pour but d'enseigner aux Libériens résidant à Monrovia et à Park Hill à utiliser les médias numériques, afin de raconter leurs histoires.

Comme le prouve la vidéo ci-dessus, les réfugiés libériens ont des difficultés à s'intégrer dans la culture bien établies de Park Hill. C'est la musique, et plus précisément le hip-hop, qui a permis de réduire de manière significative le fossé culturel existant. Genocide Records [en anglais] est un collectif de rappeurs et de MC, nés au Libéria, et dont la musique présente une filiation claire avec le hip-hop new-yorkais mais avec des paroles qui évoquent les difficultés rencontrées par les Africains de l'ouest vivant aux États-Unis. Ils étaient sur scène en juillet dernier pour la célébration du Park Hill Day [en anglais]:

De New York à la Mongolie, en passant par Madagascar, la Colombie, la Bolivie et le monde

Comme nous l'avons vu, ces premières soirées hip-hop animées par DJ Kool Herc au 1520 Sedgwick Avenue reflétaient totalement l'influence de sa jeunesse en Jamaïque, où les DJs qui animaient les soirées dancehall s'exprimaient par dessus les chansons qu'ils jouaient. Le hip-hop s'est développé à New York, dans les années 1980, pour ne plus s'arrêter, de New York à la Californie en passant par la Mongolie et Madagascar. Ethan Zuckerman fait remarquer dans son billet [en anglais] que peu après la sortie de l'album du Wu Tang Clan intitulé “Enter The Wu Tang (36 Chambers)”, il a pu constater que dans le monde entier, et même en Mongolie, on trouvait des graffitis qui rendaient hommage à ce groupe de hip-hop.

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Un graffiti  du Wu Tang Clan à Oulan-Bator

L'attrait universel du hip-hop est visible dans de très nombreux billets de blog, mis en ligne sur plusieurs des projets de médias citoyens soutenus par Rising Voices. En Bolivie, la blogueuse Cristina Quisbert et La Mala Palabra [en espagnol] du projet Voces Bolivianas [en anglais] ont rendu hommage à Abraham Bojorquez, rappeur aymara (langue inca) et habitant d'El Alto (le billet a aussi été traduit en aymara).

A Madagascar, les blogueurs Tahina, Joan [en anglais] et Stéphane [en malgache] de Foko Madagascar [en anglais] ont tous présenté d'impressionnants artistes malgaches de hip-hop , comme Raboussa :

Vous pouvez en apprendre plus sur le hip-hop malgache grâce à l'excellent blog HH Dago [en malgache]. Tahina recommende le morceau Zazavavin-drap des rappeuses malgaches Nah et Bug [en anglais]:

On trouve aussi un rappeur parmi les membres d’ HiperBarrio, le projet de média citoyen colombien récompensé par un prix. L'an dernier, Jorge Jurado a utilisé ses talents de chanteur pour composer une chanson sur les nouveaux médias et  leurs liens avec la culture graffiti dans sa ville [en espagnol et en anglais]. Henry Barros, du projet HiperBarrio a aussi produit deux courts documentaires ayant pour thème des rappeurs de San Javier La Loma [en anglais et en espagnol].

Pour finir, au sein du projet REPACTED basé à Nakuru, le blogueur kényan Eric Owanyama explique que le hip-hop est “l'unique mouvement important permettant à la jeunesse d'explorer sa créativité hors des salles de classe, de tirer des leçons de la société et de discuter de philosophies qui se sont avérées plus instructives que la plupart des systèmes éducatifs et des programmes scolaires.” [en anglais]

Aussi étrange que cela puisse paraître [en anglais], même Vladimir Poutine a reconnu l'importance du hip-hop comme moyen de communication pour les jeunes dans le monde entier. Que le hip-hop “soit mort” comme le prétendent certains devant ce qui ressemble à des reliques, ou pas,  sa domination au niveau mondial durant les deux dernières décennies prouve que de grandes choses se produisent lorsqu'une culture du ‘remix’, l'expression artistique et la technologie entrent en contact.

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