Amérique latine : l'étrange couverture de la Libye par teleSUR

La chaîne d'informations latino-américaine teleSUR, qui est soutenue par le gouvernement vénézuélien et transmet depuis Caracas, a réussi au début de la semaine à envoyer plusieurs journalistes (parmi lesquels l'envoyé spécial  Jordán Rodríguez) à Tripoli pour couvrir la crise en Libye. Cependant, sa couverture du sujet ,  très différente de celle d’autres médias internationaux [en anglais], a attiré l'attention de beaucoup de latino-américains.

A la différence de sa couverture des manifestations en Egypte, où TeleSUR se servait principalement des reportages d'Al Jazeera (les deux médias ont un accord qui date de 2006) et qui furent qualifiées de “victoire” par la chaîne, TeleSUR semblait, particulièrement  durant les premiers jours de sa couverture en Lybie, se positionner en faveur de Mouamar al Khadafi. Des critiques de teleSUR ont affirmé qu'elle est un “outil de propagande” pour le Président vénézuélien de gauche Hugo Chávez, et la semaine précédente, lorsqu'ont surgi des rumeurs sur la supposée fuite de Khadafi au Vénézuela,  nombreux ont été ceux qui  se sont rappelés les étroites relations entre les deux dirigeants.

Prometeo de Poder5 compare la couverture que teleSUR a faite de la Libye avec celle de médias tels qu'Al Jazeera et la BBC :

Le fait est que l'on n'a pas permis aux médias de tout filmer comme ils le voulaient, seule la télévision d'État fonctionne, ce que l'on voit par le biais d'Al Jazeera et d'autres a été rapporté par de courageux journalistes qui se sont infiltrés et par des citoyens libyens qui ont pris des photos avec leurs mobiles et leurs appareils photo pour les envoyer à l'étranger.

Curieusement, la chaîne d'information teleSUR s'est rendue dans le même lieu où se déroulaient les manifestations mais elle rapporte que tout va bien.

[…]
Je m'interroge : ceux de TeleSUR seraient-ils arrivés en un autre pays par erreur ? Manipuleraient-ils l'information ? Y aurait-il un ordre du jour fixé par le gouvernement d'Hugo Chávez, le propriétaire de teleSUR, pour donner une bonne image de son ami Khadafi ?

Il y a eu aussi une polémique en Argentine, lorsque l'agence d'informations d'Etat Télam a cité la couverture de teleSUR pour faire savoir que “Tripoli est en paix”.

L'Observatoire marxiste argentin des médias publie un courrier électronique envoyé par un rédacteur qui travaille pour l'hebdomadaire local trotskyste, en lequel il critique aussi la couverture de teleSUR sur la Lybie :

On comprend pourquoi teleSur, la chaîne d'information dont le siège est à Caracas, a traité de façon très différente les événements qui se sont passés en Egypte et ceux qui secouent aujourd'hui la Libye. Alors que voici quelques semaines, elle retransmettait presque à temps complet ce que diffusait Al Jazeera, qui parlait de la “révolution sociale triomphante”, aujourd'hui, elle informe à peine sur ce qui se passe en Libye, en accordant un traitement spécial au gouvernement de Kadhafi et en disant même que “la tension en Libye en faveur et contre le Président se poursuit”. Mais ils ne peuvent transmettre beaucoup car toute information plus ou moins sérieuse qu'ils doivent rapporter de là-bas parle de la répression brutale, sanguinaire et meurtrière que Kadhafi exerce contre la population libyenne.

Mais Ález Arango, du blog d'extrême gauche Utopía la palabra, défend teleSUR et critique au passage la position du philosophe gallois (et partisan d'Hugo Chavez) Alan Woods :

TeleSur dispose d'une équipe de journalistes au cœur de Tripoli. Il s'agit d'un média de communication alternatif qui informe de manière objective sur les événements qui ont lieu en Afrique du Nord.

[…] Je veux déclarer que les rapports de Monsieur Alan Woods sont exclusivement basés sur des informations en provenance des médias occidentaux pro-capitalistes dont fait partie Al Jazeera […] Faire écho aux informations des agences de presse occidentales et les prendre comme vérité révélée implique une très grande probabilité d'interpréter faussement la réalité  et de faire partie de la chorale dirigée par l'Occident, dont l'intention est d'occuper la Libye, de s'installer sur ce territoire pour gagner de l'espace et de pouvoir évaluer de là l'essor révolutionnaire des peuples arabes.

Le blog satirique anti-Chavez El chigüire bipolar se moque de la chaîne avec un message intitulé  “teleSUR rapporte que depuis Google Earth la Libye apparaît “tout à fait normale”.

Twitter n'a pas échappé à la polémique. Alonso Moleiro (@amoleiro), un journaliste à  Caracas, affirme :

L'épisode de la Libye, c'est la mort définitive de la crédibilité de teleSur.

Santiago B. (@santib_), aussi de Caracas, demande :

TeleSur n'aurait-elle pas surpris le propre ambassadeur de la Libye devant l'ONU qui pleurait le massacre de milliers de ses compatriotes ?

@elojocondientes tweete depuis l'Argentine :

TeleSur est en train de faire une couverture spectaculaire. Je te recommande de suivre l'émission Dossier de W. Martinez. Impeccable. #Libia

Au Venezuela, Abi (@AbiG90) écrit :

J'aimerais savoir ce que pensent le responsable de l'émission Dossier y teleSur de toutes les preuves qu'il y a de ce qui se passe en Libye.

Carlos R. (@komunikt) écrit depuis la capitale vénézuélienne :

Selon TeleSur, ce qui arrive en #Libye est une bagarre entre voisins qui ne s'étend pas au-delà de la ruelle où il y a eu empoignades.

@radiomachaca plaisante:

TeleSur fait savoir: La demeure de Kadhafi en Libye brûle mais du calme, c'est une vieille tradition pour témoigner de son amour au Chef.

Al Giordano, directeur et éditeur de The Narco News bulletin (1), a publié une longue critique de teleSUR [en anglais],en laquelle il qualifie la couverture de la chaîne de “catastrophe” et  affirme que cette dernière “a fourni à ses téléspectateurs  une version complètement occultée et fausse des événements en Libye. Elle a servi d'outil de propagande  pour le dictateur libyen dans l'embarras.” Son article en ligne a reçu de nombreux commentaires et quelques jours après, Al Giordano en a publié un dans lequel il révèle qu'il y a une controverse à ce sujet au sein même de teleSUR :

Il pourrait être intéressant pour nos lecteurs d'apprendre que le reporter  [envoyé par teleSUR dans l'ouest de la Libye], Reed Lindsay, est un diplômé de la Narco News School of Authentic Journalism (2), promotion 2003 [ndt :actuellement chef du bureau de TeleSur à Washington], et que nous avons été informés par d'autres journalistes de teleSur qu'il y a en ce moment même un vif débat au sein du dit organe de presse relativement à sa couverture de la Libye. Le fait que des journalistes au sein de la chaîne – également salariés de la station – aient émis de fortes objections à la dissimulation et à la malhonnêteté qui ont jalonné la couverture de la Libye par teleSur jusqu'à présent, est probablement sans précédent depuis six ans que la chaîne émet.  Tout comme lors de la révolution bolivarienne, il y a vraiment beaucoup de personnes qui ont une conscience et qui considèrent les droits de l'Homme et la Résistance comme de plus grandes priorités que les alliances géopolitiques ; de fait, les choses ont pris un tour intéressant, c'est le moins que l'on puisse dire. Attendons donc pour voir.

Vendredi 25 février, il a été annoncé qu'une équipe de teleSUR avait été arrêtée bien qu'elle voyageait dans un véhicule diplomatique vénézuélien ; le mobile de Jordán Rodríguez a été saisi (avec lequel le journaliste avait enregistré quelques images à Tripoli) ; Jordán Rodriguez tout comme son caméraman Jesús Romero ont été frappés par un groupe de policiers. Samedi, Rodríguez a tweeté que les journalistes des médias étrangers logeront à l'hôtel Roxes de Tripoli.

Notes de la traductrice :

(1) Narconews est “un média de communication alternative dont le but est d'informer sur la lutte contre la drogue et les avancées de la démocratie en Amérique latine”.

(2) L'école de journalisme authentique est dirigée par Al Giordano, elle est financée par le Centre international sur le conflit non violent (ICNC), elle aurait été fondée en 2002 par Peter Ackerman, lequel a fait fortune à Wall Street, est l'ex-Président de Freedom House, une organisation indépendante de surveillance soutenant l'expansion de la liberté à travers le monde qui, disent certains, serait une couverture pour la CIA.

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