Ukraine : Souvenirs et photos de Tchernobyl en août 1986

av-strannik (Alexandre Strannik), un blogueur sur LiveJournal vivant à Moscou, est arrivé à la centrale nucléaire de Tchernobyl à la mi-aout 1986, environ quatre mois après l'explosion, le 26 avril, du réacteur n°4, pour participer aux opérations de nettoyage en tant qu'ingénieur spécialisé en ventilation. “A cette époque”, écrit-il [en russe] le 19 avril sur son blog, “le travail le plus dangereux avait déjà été effectué par les [liquidateurs].” Dans un second billet [russe], écrit le 26 avril, Alexandre Strannik explique comment il est devenu lui-même l'un des “liquidateurs” de la catastrophe de Tchernobyl :

[…] J'ai demandé à être envoyé  [à la centrale nucléaire de Tchernobyl ] immédiatement, dès que j'ai appris l'énormité de l'accident. Qu'est-ce que tu vas faire là bas, m'a demandé mon patron. Je pouvais nettoyer les débris avec un bulldozer, j'avais fait ce genre de travail quand j'étais étudiant. Ils se débrouilleront sans toi.  Puis, en aout, quand le nombre de volontaires prêts à aller travailler  [à Tchernobyl] a diminué, ils se sont souvenus de ceux qui voulaient y aller dès le début. […]

Strannik, qui avait alors 30 ans, était un photographe amateur, et les “quelques clichés” qu'il a fait à Chernobyl en 1986 “ont même gagné un prix durant une expo” plus tard. Dernièrement, il a scanné 17 de ces photos – dont celles qu'il a prises juste “pour lui” (“comme ils diraient, aujourd'hui sur [Odnoklassniki.ru, un réseau social en ligne populaire dans l'ex Union soviétique ]”) – et les a mises en ligne sur son blog  – “pour le [25ème] anniversaire, si l'on peut dire.”

Répondant à un de ses lecteurs,  Strannik écrit qu'il utilisait un appareil photo Zorki 4, ainsi qu'un “vieux [Zenit]”; il précise aussi qu'il a fait développer “quelques centaines de photos” à Tchernobyl (“jusqu'au jour où il n'y a plus eu de papier-photo pour les tirer”) – “et tous nos gars rentraient chez eux avec les photos.”

Centrale nucléaire de Tchernobyl, aout 1986. Photo d'Alexandre Strannik (av_strannik sur LiveJournal)

Voici quelques souvenirs de Strannik de cette période à Tchernobyl il y a 25 ans, traduite du russe. Pour voir ses photos, visitez son blog [en russe].

A propos des chauffeurs des bétonneuses, qui peuvent être vus sur la deuxième photo, juste à côté du réacteur endommagé :

Ces chauffeurs sont des héros – peut-être à cause de leur insouciance, ou de leur ignorance. Ils étaient payé cinq fois leur tarif [habituel] et on leur avait promis des  [Zhiguli, des voitures sans liste d'attente] – mais je crains que très peu d'entre eux [aient vécu assez longtemps] pour recevoir vraiment ces Zhigulis – il y avait [2 roentgen par heure] là où le photographe se tenait, et pour l'endroit où se trouvaient les chauffeurs, au pied du sarcophage, je ne sais pas, je pense que c'était pas moins de [20 roentgen par heure], c'est à dire, travailler là pendant une heure était déjà surréaliste dans ces conditions. […] Un des paradoxes de l'ère soviétique : payer une Zhiguli de votre propre vie. […]

Sur la “curiosité”:

[…] Je voulais prendre une photo du réacteur de haut. Je suis allé à l'aérodrome, pas de vigiles, [les hélicoptères] étaient tous là, et un wagon au bord du terrain. A côté du wagon, il y avait les pilotes d'hélicoptère. Qui êtes-vous ? Un photographe, qui voudrait faire des photos du réacteur, de haut. Allez dans cet [hélicoptère] jaune, ils volent vers l'objet plus souvent. Je vais vers eux, je leur demande de me prendre avec eux. Vous êtes dingue, ils nous forcent à aller là bas et vous, vous vous mettez dedans volontairement, vaut mieux prendre une photo de nous, nous n'avons pas une seule photo de toute l'histoire. J'ai pris une photo de l'équipage. Quand les photos seront-elles prêtes ? Je les développerai ce soir. Ok, revenez demain, on vous fera voler au-dessus du réacteur. Je suis revenu, pas le lendemain, mais le jour d'après, je n'avais pas pu venir avant. Ou est l'hélicoptère jaune ? Pourquoi vous le cherchez, ils me demandent, méfiants. J'ai amené des photos pour les types, ils m'ont promis de me faire faire un tour au-dessus du réacteur.  Ils se sont écrasés hier.  (Comment ? Ils s'apprêtaient à atterrir, il y a eu une rafale de vent, ils sont tombés sur la queue de l'appareil de 50 mètres à peu près. Ils sont vivants ? Oui ! Ils sont à l'hôpital, l'hélicoptère était couvert de feuilles de plomb  [pour protéger l'équipage des radiations], ça le rendait difficile à piloter, ils s'en sont bien tirés. D'accord, et c'est sur ce vol qu'ils m'avaient invité, et je ne pouvais pas être à l'heure, j'étais de garde. Vous avez de la chance. Merci de leur remettre les photos. Mon envie de voler m'était passée.  […]

Pour le 25ème anniversaire de la catastrophe de Tchernobyl, Strannik, avec d'autres “liquidateurs” vivant à Moscou, ont reçu ces cadeaux de l'organisation régionale “Soyuz Chernobyl” (que l'on voit sur les deux dernières photos en couleurs du billet du 19 avril) : une bouteille Thermos, une bouteille de vodka (avec “médicament contre les radiations” écrit dessus, entre autre) et une prière russe orthodoxe encadrée.

Le reportage-photo de Strannik a provoqué quatre pages de commentaires, beaucoup de lecteurs expriment leur gratitude envers l'auteur et tous les autres “liquidateurs” de  Tchernobyl.  oksana_slk est l'une de ceux qui remercient Strannik d'avoir “préservé l'histoire de cette tragédie.” Il a répondu :

En tant que témoin, je peux seulement dire que cette tragédie pourrait avoir fait moins de victimes et de dégâts matériels – si le management avait été à la hauteur.

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