Pérou : Les manifestations et émeutes de Puno

Affrontements à l’aéroport de Juliaca en juin. (Photo: Enlace nacional)

Ce billet a été publié le 26 juin sur l'édition espagnole de Global Voices. Voir ici le billet sur les concessions du gouvernement suite à ces émeutes

[liens en espagnol] Les habitants de la région de Puno sont récemment descendus dans la rue pour manifester, cette fois contre la pollution engendrée par les concessions minières ; non seulement il y a déjà eu des grèves, des marches et des barrages routiers, mais aussi de violents affrontements avec la police qui ont fait six morts parmi les manifestants, et un du côté de la police  lors d’une tentative de ces mêmes manifestants pour prendre le contrôle de l’aéroport d’Inca Manco Cápac à Juliaca. (Ils ont aussi tenté de s’emparer d’un commissariat de police à Azángaro).

En dépit des récentes propositions du gouvernement central d’annuler la concession temporaire du projet hydroélectrique d’Inambari et, en dernière minute, de la signature précipitée d’un ensemble de résolutions de la Cour suprême ainsi que de décrets d’urgence destinés à apaiser les esprits échauffés des habitants de Puno, les manifestation n’y ont pas cessé, bien qu’elles soient temporairement suspendues.

Le fait est qu’à Puno, de nombreux conflits sociaux non résolus opposent depuis longtemps la population au gouvernement, dont des conflits sur les droits de différentes catégories parmi celle-ci. Ces conflits incluent des problématiques aussi diverses et opposées que la grande exploitation minière, représentée par les multinationales  et encouragée par le Gouvernement central ; la petite exploitation minière artisanale qui procure du travail à des milliers d’habitants de Puno mais qui a dégradé l’environnement ; et les réclamations de communautés rurales contre tout type d’activité minière ou d’extraction, qui craignent que la probable pollution environnementale ne mette fin à leur style de vie basé sur l’agriculture.

La situation est complexe car, en général, les autorités locales, sauf exception, adhèrent aux propositions du Gouvernement central  et n'épousent pas les revendications de leurs administrés.

La crise a de nouveau éclaté le 24 juin (date à laquelle le Pérou célèbre la Journée de l’agriculture*) lorsque des membres de communautés rurales d’Azángaro ont investi les rues de Juliaca pour exiger que soient prises des mesures afin de rétablir l’écosystème du fleuve Ramisgravement affecté par l’exploitation minière illégale.

Javier Torres Seoane publie un résumé critique de ce récent conflit, le démarquant des manifestations menées par les Aymaras il y a quelques semaines :

La manifestation à Juliaca s’est faite contre la pollution du fleuve Ramis, conséquence de l’exploitation minière illégale. Elle n’avait rien à voir avec celle organisée par les Aymaras ou les autres provinces de Puno contre les concessions minières. En  2007 a été créée une commission multisectorielle pour s’occuper du sujet et comme de coutume, il ne s’est absolument rien passé…

Yasmin Urrego fait le commentaire suivant sur Facebook :

Incroyable :”70% du territoire de Puno est concédé. Toutes ces concessions ont été autorisées sans consultation.” Dans la province de Melgar, il y a 423 concessions ; Melgar est la capitale de l’élevage du Pérou et la capitale mondiale de l’alpaga. A Melgar se déroulent 2 fêtes nationales, 6 fêtes régionales et 80 fêtes locales. Cela explique pourquoi la population réagit et manifeste.

Luis Zambrano, curé de Juliaca et par ailleurs un militant des Droits de l’Homme, a déclaré dans une interview pour le blog Debatik :

Tous les habitants de Puno ne sont pas opposés à l’exploitation minière. En fait, il y a en une légale et l’autre illégale. Ceux qui travaillent pour l’exploitation minière illégale – ils sont plusieurs milliers – viennent surtout de Juliaca et à Rinconada, par exemple, ils cherchent de l’or inlassablement et polluent à l'extrême les fleuves et le lac Titicaca au final. Ceux qui travaillent pour l’exploitation minière légale, bien qu’ils aient une autorisation du gouvernement central, polluent aussi les fleuves. Ceux qui s’opposent à l’exploitation minière ne le font pas par caprice mais pour défendre leurs vies (nos vies) et celle de la “Pachamama”. [Ndt : La Pachanama était considérée comme la déesse-terre par les Amérindiens d’Amérique du Sud et représente donc la Terre-Mère.]

Le gouvernement central a déclaré trois jours de deuil officiel à compter du 25 juin.

Le sujet est très commenté dans les réseaux sociaux. Voici à titre d’exemple quelques tweets parmi les centaines qui ont submergé Twitter au Pérou depuis :

Aldo Santos (@santosaldo) rappelle :

Les manifestations contre la pollution par l’exploitation minière illégale du fleuve Ramis  #RioRamis durent depuis plus de 12 ans. Combien de gouvernements se sont-ils succédés et qu’ont-ils fait ? #Juliaca

Rolando Alles (@allesnew) fait cette observation:

Hier, Rosa María Palacios [un journaliste de télévision]  lisait une lettre d’habitants de Puno qui s’indignaient de cette manifestation. Cette vidéo montre le contraire, la majorité est d’accord avec la manifestation ow.ly/5q4VG

Carlos Andrade (@AndradePareja) commente :

En cette Journée de l’agriculture est né le “Juliacazo” qui a fait, à cette date, 6 morts. La région de Puno est en deuil.

Carlos Huamán Tola (@Mancoinca) demande le départ du Président :

En ce qui me concerne, je crois qu’il ne faut pas attendre le 28 juillet [date de l'investiture du nouveau président Ollanta Humala] pour réclamer d’Alan García qu’il abandonne son mandat.

D’autres font allusion à la présence d'Ollanta Humala dans la région, comme la journaliste Milagros Leiva (@MilagrosLeivaG):

@elestigmadecain Je suis d’accord avec toi mais il existe aussi un leader naturel dans cette région. Il s’appelle Ollanta Humala. Ne l’oublie pas…

Face à ces propositions, d’autres comme @chilkano commentent:

Les gens qui exigent qu’Humala aille à Puno ne disent pas un mot sur Alan [Garcia] et [le cardinal] Cipriani.

Ricardo Marapi (@ricardomarapi) déplore ceci:

Un massacre comme celui arrivé à Juliaca conduirait dans d’autres pays des milliers de manifestants dans les rues et engendrerait  le départ du Président. Acá #aguatibia

D’autres, au contraire, laissent entendre que le Gouvernement devrait durcir sa position, à l’image de Jesus CubaValladares:

A mon grand regret, je ne peux être étranger à ce qui se passe à  Puno. Analysons la situation froidement : Quand est-ce que ces emmerdeurs des provinces les plus nécessiteuses du Pérou vont-ils cesser de nous emmerder et comprendre une bonne fois pour toutes que sans investissements privés on n’avancera pas ? IGNORANTS !!!!
Bien que le Gouvernement sortant essaie de solutionner ces conflits, il ne fait de doute pour personne que le Président élu Ollanta Humala va devoir faire face à d’énormes défis sociaux et politiques dans cette région où il a obtenu les plus hauts pourcentages de voix.

Selon le journaliste d’investigation Raúl Wiener :

Le nouveau Président doit comprendre le message. Les électeurs des provinces qui ont aussi gagné les élections et qui ont placé celui qu’ils considèrent comme leur Président au Palais du Gouvernement à Lima, ne vont pas se contenter de rester chez eux en attendant l’arrivée des commissions qualifiées de “haut niveau” pour qu’on se mette à discuter de leurs problèmes….

Juan Arellano (@cyberjuan), a collaboré à la sélection des tweets pour ce billet.

Note de la traductrice: Le 24 juin est aussi dans tout le Pérou la fête de l’Inti Raymi. Les Incas avait, en effet, pour coutume de célébrer et d’honorer à cette date le soleil, considéré comme leur père. Ce culte de l’astre solaire marquait non seulement  le solstice d’hiver et donc le commencement d’une nouvelle année mais aussi le temps des moissons

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