Malawi : Le Printemps arabe va-t-il s'étendre au-delà du Sahara ?

Mise à jour : le Malawi a connu de violentes émeutes le 20 juillet qui ont fait, selon le Ministère de la santé, au moins 18 morts.  Voici ce qu'écrivait notre blogueur Steve Sharra au Malawi à la veille de ces manifestations. Tous les liens suivants sont en anglais.

C'est l'hiver en Afrique australe, mais la température au Malawi rappelle davantage le printemps – de ceux qu'ont récemment connus certains pays arabes. La tension y [était]  à son comble dans l'attente de ce qui pouvait devenir un véritable affrontement entre la population et le gouvernement, le mercredi 20 juillet 2011 .

Des militants de la société civile avaient choisi cette date comme lancement d'une série de manifestations destinées à exprimer leur mécontentement vis-à-vis du gouvernement.

Une tension palpable

Affiche «Unis pour la résistance pacifique contre la mauvaise gouvernance économique et politique».

Le Malawi fait face à une sévère pénurie de carburant depuis le début du mois juin, une situation récurrente depuis 2009. Il est régulièrement en déficit de devises étrangères, à une époque où les exportations de tabac, dont c'est actuellement la saison, devraient pourtant lui en amener beaucoup.

Jeudi 14 juillet le gouvernement britannique a annoncé l'arrêt de son soutien budgétaire au gouvernement du Malawi, se disant préoccupé par l'interdiction des manifestations, par les pressions exercées sur certaines organisations et par une loi empêchant les citoyens d'obtenir des injonctions de justice contre le gouvernement.

Le gouvernement britannique a aussi jugé la monnaie du Malawi, le Kwacha, surévaluée et responsable des pénuries chroniques de devises étrangères « qui affaiblissent sérieusement la capacité du secteur privé malawite à impulser une dynamique de développement. Aujourd'hui on fait la queue pour du carburant, les exportations de tabac ont diminué et le Malawi ne respecte plus le programme du FMI. »

La scène politique est crispée depuis que, en décembre 2010, l'actuel parti au pouvoir (Democratic Progressive Party, DPP) a écarté la vice-présidente Joyce Banda dans ce qui est communément considéré comme une manœuvre du président Bingu wa Mutharika pour ouvrir la voie à son frère, le professeur Arthur Peter Mutharika. La vice-présidente a depuis formé son propre parti, bien qu'officiellement elle occupe toujours son poste gouvernemental.

Le président Bingu wa Mutharika a récemment promulgué des lois largement décriées. L'une d'elles donne le pouvoir au Ministère de l'Information d'interdire tout publication considérée comme” contraire à l'intérêt public”. Une loi plus récente empêche les individus d'obtenir une injonction judiciaire contre l’État et d'éventuels dédommagements du gouvernement.

L'Institut Polytechnique et le Chancellor College, deux établissements de l’Université du Malawi, étaient fermés depuis que les enseignants refusent de faire cours, de peur d'être espionnés. L'histoire a commencé en février 2011 lorsque l'inspecteur général de la police, Peter Mukhito, a convoqué un maître de conférences en sciences politiques du Chancellor College, le Dr Blessings Chinsinga, afin de l'interroger sur son évocation des soulèvements tunisien et égyptien lors d'un cours.

Le conseil administratif de l'Université du Malawi est actuellement en procès avec le syndicat du Chancellor College (le CCASU) qui conteste le renvoi de quatre enseignants, dont le Dr Chinsinga et le Dr Jessie Kabwila-Kapasula, président suppléant du syndicat.

La crainte d'émeutes

Certains craignaient des violences lors des manifestations du 20 juillet. Les partisans du président wa Mutharika et le DPP avaient annoncé une contre-manifestation le même jour. Le journal en ligne Malawi Voice rapporte que 800 agents de police s'étaient préparés en vue de disperser les manifestants « sans faire aucune victime ».

Dès le jeudi 14 juillet, l'ambassade des États-Unis au Malawi avait mis en garde ses citoyens résidant au Malawi contre les manifestations et leurs possibles débordements. Cette alerte est d'abord apparue le vendredi sur le forum Nyasanet, avant d'être publiée par le journal en ligne Nyasatimes. Un membre du forum Nyasanet a fait remarquer que le simple fait que l'ambassade américaine ait fait une telle annonce laissait penser qu'il se préparait quelque chose.

Alors que la tension augmentait à l'approche du jour tant attendu, on apprit dimanche qu'un véhicule de la radio indépendante Zodiak Broadcasting Station avait été vandalisé par des hommes masqués.

La plupart des appels à la manifestation ont été faits en ligne, tandis que de son côté, le gouvernement répondait par le biais de conférences de presse sur des chaînes de télévision et des stations de radio nationales. Un évènement Facebook intitulé ‘DEMO YA TIYENI TONSE PA 20 JULY’ (“Manifestation générale le 20 juillet”) avait été créé pour l'occasion. Plus de 2400 personnes y ont indiqué qu'elles participeraient. Une description détaillée des lieux et heures de rassemblement est fournie sur la page Facebook ainsi que par des journaux en ligne et des journaux papier. Les commentaires laissés sur Facebook étaient de styles variés.
Ainsi, un commentateur citait la Bible :

There4,let us follow aftar the things dat mek 4 peace & things by which 1 may edify another” Roman 14:19

Ainsi donc, recherchons ce qui contribue à la paix et à l'édification mutuelle.

Tandis qu'un autre adoptait un ton plus profane :

It's our right to demonstrate, that is the only way we can ring a bell in to an obstinate and gullible this stupid fool called ngwazi. Let us show him that Malawi does not belong to one tribe neither his family, gogogogogo! DEMO.

C'est notre droit de manifester, c'est la seule manière de nous faire entendre de cet obstiné naïf, ce stupide ngwazi. Montrons-lui que le Malawi n'appartient à aucune tribu, pas plus qu'à sa famille !

Un autre encore se montrait plus militant :

It Has to be done…Malawians Stand Up and Be Counted! No One Should Abuse Our Hard Fought For Freedom!

Nous devons le faire… Malawites, ayez le courage de vos opinions ! Personne ne devrait insulter notre dur combat pour la liberté !

Plus retenu, un commentaire citait Nelson Mandela :

It always seems imposible until its done-Nelson mandela.

Ça paraît toujours impossible tant que ça n'est pas fait – Nelson Mandela

Cette journée d'action avait attiré l'attention au-delà  des frontières du Malawi. Un Malawite arrivé à l'aéroport international de Kamuzu dimanche parlait d'un groupe de journalistes étrangers avec qui il a voyagé dans le même avion :

Had a contingent of foreign media in the same flight this afternoon coming into Lilongwe, looks like the Demos have attracted the attention on the international media!” One passenger even asked a question the Malawian chose not to answer: “Some one asked me, is it true Malawians are changing regime on 20th July? I didnt give hima any answer.

Il y avait un groupe de journalistes étrangers sur mon vol cet après-midi, on dirait que les manifs ont attiré l'attention des médias internationaux ! L'un d'eux m'a demandé, c'est vrai que le Malawi va changer de régime le 20 juillet ? Je ne lui ai pas répondu.

Malgré cela, un observateur de la politique malawite relevait sur Twitter le peu d'attention portée par les médias internationaux à ces manifestations imminentes : « Toujours rien dans les actualités internationales sur les manifestations du 20 juillet au Malawi ».

Le hashtag (mot clé) sur Twitter pour la manifestation était #20July selon @chiume.

Réponse des autorités

«Unis pour la résistance pacifique». Affiche de l

Le président wa Mutharika semblait conscient des sentiments qui agitent beaucoup de Malawites et a préparé une réponse. De retour d'un voyage aux États-Unis fin juin, il a annoncé qu'il donnerait un discours dans lequel il aborderait les préoccupations des citoyens. Aucune date n'avait été précisée pour cette allocution, mai dès que les organisateurs des manifestations ont annoncé la date du 20 juillet, le gouvernement a choisi la même pour le discours. Le porte-parole du gouvernement et Ministre de l'Information et de l’Éducation Civique Vuwa Kaunda, ainsi que le porte-parole du président Dr Heatherwick Ntaba, ont tenu une conférence de presse pour dissuader les Malawites de participer aux manifestations et les encourager à assister au discours présidentiel. Parmi les arguments avancés par les deux représentants figurait une liste des réalisations du parti au pouvoir, la DPP. Vuwa Kaunda est reconnu pour sa litanie élogieuse, débitée sur un rythme rapide, des exploits du président wa Mutharika : la fin de la pénurie alimentaire, un nouveau réseau de routes goudronnées à travers tout le pays, six nouvelles universités prévues pour les dix prochaines années, un nouveau bâtiment pour le Parlement, un hôtel 5 étoiles ainsi qu'un centre de conférences international dans la capitale Lilongwe, un nouveau port, Nsanje World Inland, pour connecter le Malawi à l'Océan Indien, etc.

Jusqu'à sa réélection pour un second mandat en mai 2009, le président Bingu wa Mutharika bénéficiait d'un large soutien local et d'un grand respect sur la scène internationale. Des militants avaient organisé des manifestations pour défendre sa politique contre une opposition majoritaire qui ne semblait œuvrer que pour contrarier ses projets de développement. Il a introduit de nouvelles subventions aux intrants agricoles, réputées avoir transformé le Malawi importateur alimentaire en pays exportateur. Il a été le premier président malawite à présider l'Union Africaine en 2010, ce qui lui a permis de raffermir sa position internationale et lui a valu la première page de grands journaux aux États-Unis, en Grande-Bretagne et ailleurs. Espoir et fierté renaissaient dans les cœurs de bien des Malawites, et le président wa Mutharika était vu comme la nouvelle figure d'une nouvelle Afrique.

A en juger par l'atmosphère actuelle, les choses ont beaucoup évolué en deux ans. Un économiste du développement, malawite, écrivait sur Nyasanet en mai :

I was at the world economic forum last month. Only two years [ago] bingu was a hero. Now Malawi was a source of bewilderment.

J'étais au forum économique mondial le mois dernier. Il y a seulement deux ans, Bingu était un héros. Aujourd'hui le Malawi laisse perplexe.

Afin de dissuader les citoyens de participer aux manifestations de ce mercredi 20 juillet, la Malawi Broadcasting Corporation (MBC) avait diffusé, trois soirs consécutifs, des bulletins d'information affirmant que la population était trompée à propos des manifestations dont le but réel serait, selon le présentateur, de soutenir la cause homosexuelle, une cause pour laquelle les associations auraient reçu des millions de kwachas. Toujours selon cette chaîne, les organisateurs auraient l'intention d'utiliser les photos des manifestants comme preuves, à destination des donateurs, du soutien populaire au Malawi pour la cause et les mariages gays.

Les commentateurs estimaient que cette fable révélait le désespoir du gouvernement et se sont empressés de la tourner en ridicule. On pouvait ainsi lire sur Twitter :

Malawians urged not to listen to MBC TV & Radio on 20 July – coz of its tendency to misinform in news coverage

Les Malawites sont invités à ne pas écouter MBC TV & Radio le 20 juillet en raison de sa tendance à la désinformation.

Un autre tweet relevait une certaine ironie dans la tenue du présentateur :

MBC TB news anchor, Nyang'wa in a red tie – maybe in some dress rehearsal for the July 20 demo (dress attire is red)

Le présentateur du JT de MBC TV, Nyang'wa, en cravate rouge – peut-être une répétition pour la manif du 20 juillet (le dress code est rouge)

Le 14 février des associations avaient déjà organisé une manifestation pour protester contre les pénuries de carburant, mais celle-ci avait été dispersée par la police. Selon le journal en ligne Malawi Voice, les participants avaient été largement dépassés en nombre par les forces de l'ordre qui avaient déployé 250 agents face à une poignée de manifestants (une trentaine selon The Nation).

Le responsable de cette manifestation manquée, Mabvuto Bamusi, avait entre temps changé de camp. Il est aujourd’hui fréquemment invité à la télévision nationale pour dispenser analyses et commentaires favorables au gouvernement, tout en fustigeant ses anciens compagnons d'armes de la société civile.

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