Liban : Quel sort pour les prisonniers libanais en Syrie ?

Ce billet fait partie du dossier de Global Voices sur la révolte en Syrie 2011.

Loin des manifestations quotidiennes en Syrie réclamant la fin des 40 ans de régime Bachar Al-Assad, un mouvement de mères, épouses, soeurs et filles occupent en permanence depuis avril 2005 une petite tente au centre de Beyrouth, la capitale libanaise pour demander le retour de leurs proches retenus en Syrie. Par tous les temps, elles défendent leur droit de connaître le sort de leurs maris, frères, fils et pères disparus pendant la guerre civile du Liban, suivie par l'occupation syrienne. Certains sont absents depuis plus de 30 ans.

The tent of the Families of Missing and Detained in Syria

La tente des Familles de Disparus et Détenus en Syrie

Le Président Assad a décrété une amnistie générale pour les prisonniers politiques [en anglais] en Syrie en mai 2011, qui laisse en suspens la question de savoir si elle s'étend aux prisonniers politiques libanais et aux disparus dans les geôles syriennes. Quel sera leur sort au milieu de la tourmente politique en Syrie ? Y a-t-il des raisons d'être optimiste si le vent du changement devait toucher Damas ?

La question a une place modeste dans la blogosphère et sur la scène des médias citoyens, avec principalement sur Facebook des groupes ou des pages [en anglais et arabe] où paraissent régulièrement des informations et nouvelles, comme Assad Libérez les détenus libanais en Syrie et Sauvez les détenus libanais en Syrie, ainsi que Familles des victimes libanaises de la politique de disparitions en Syrie, ou la page de Cause.com Prisonniers politiques libanais dans les prisons syriennes.

On trouve aussi quelques billets de blog comme celui-ci, de Elie Fares au Liban,du 16 mars sur son blog A Separate State of Mind (‘Un état d'esprit séparé’) [en anglais] :

Les détenus libanais dans les prisons syriennes sont traité comme des infra-humains. Une des rares qui en est sortie vivante est une institutrice de Tripoli qui a raconté sa torture par un procédé appelé le “pneu” (Douleib). Ça consistait à la placer à l'intérieur d'un pneu et à la frapper avec des câbles électriques sans faire attention où. Son oeil a reçu des coups et a gonflé comme un oeuf dans ne poêle à frire. Peu leur importait, ils continuaient à la frapper.

Il poursuit :

Alors aujourd'hui, j'en appelle à la fibre humanitaire de ceux qui l'ont encore. Il semble que le parti politique qui a les moyens d'aider ne s'en soucie pas du tout. C'est pourquoi j'espère de tout mon coeur qu'il sortira quelque chose des manifestations syriennes, qui mène à une conclusion pour les familles des détenus libanais et avec un peu de chance à une page neuve dans l'histoire de la relation syro-libanaise où nous serions vus comme des égaux et non une province qui ne l'était pas.

My Right to Know Campaign

Campagne "Mon droit de savoir". Image de la page Facebook des Familles des victimes libanaises de la politique de disparitions en Syrie (utilisée avec permission)

Un autre billet, de l'Egyptien Ahmed Hegab le 2 juin, sous le titre “Pourquoi personne ne parle des prisonniers libanais en Syrie ?” détaille [en arabe] :

عندما قرأت خبر العفو عن المعتقلين تخيلت و لو للحظه ان كلمة المعتقلين تضم المعتقليين اللبنانيين فى السجون السوريه !!!! الجيش السورى قبض على المئات فى سوريا قدر عددهم الرسمى 650 أسير لبنانى , أكاد أشك فى الرقم ! ولا أحسب هنا عدد المفقودين اثناء الإحتلال السورى للبنان , أكاد افهم صبر الناشطين و الحقوقيين فى لبنان حيث الدعم الأعلامى من حزب الله للنظام السورى و الإرهاب الفكرى للبنانيين فى أن يتكلم أحدهم عن النظام السورى و التضييق على اي فعاليات تدعم الثورة السوريه , لكن عن تجربتنا فى مصر اقول لكم ان النظام السوري سينهار ان عاجلا او أجلا , أبحثوا عن أسراكم و أضغطوا على الجامعة العربية , أضغطوا على المجتمع الدولى فالنظام السورى الأن على إستعداد ان يقدم اي تنازلات حتى لا يسقط

Lorsque j'ai lu la nouvelle de l'amnistie, j'ai imaginé un instant que le terme détenus incluait les prisonniers libanais dans les geôles syriennes !!!! L'armée syrienne a arrêté des centaines de gens en Syrie, leur nombre officiel est 650 détenus libanais, j'ai des doutes sur ce chiffre ! Et je ne compte pas ici le nombre des disparus pendant l'occupation syrienne du Liban. Je peux comprendre la patience des militants et contestataires au Liban par rapport au soutien médiatique du Hezbollah au régime syrien et au terrorisme psychologique des Libanais pour s'exprimer sur le régime syrien, et la répression de tout événement en soutien à la révolution syrienne. Mais au vu de notre expérience en Egypte, je vous le dis : le régime syrien tombera tôt ou tard. Allez à la recherche de vos prisonniers. Faites pression sur la Ligue Arabe. Faites pression sur la communauté internationale parce que le régime syrien est prêt à faire n'importe quelle concession pour rester en place et ne pas tomber.

Un entretien

Wadih al Asmar

Wadih al Asmar (photo utilisée avec permission)

A la lumière des récents événements et pour ne pas laisser cette question sombrer dans l'oubli, Thalia Rahme s'est entretenue pour Global Voices avec Wadih Al Asmar, Secrétaire Général du Centre Libanais pour les Droits Humains – CLDH (à lire aussi sur Facebook et Twitter).

Thalia Rahme : Quels sont les derniers développements concernant la situation des prisonniers libanais et des victimes des disparitions forcées en Syrie, en particulier dans les troubles qui font rage dans ce pays ?

Wadih al Asmar : La situation en Syrie est très critique, incertaine et volatile, et cela se ressent naturellement dans la situation des Libanais disparus là-bas. En réalité, tout est suspendu au sort du régime de Bachar el Assad et de la Syrie en général. Bachar va-t-il rester ou partir ? En cas de changement dans le régime, y aura-t-il une amnistie générale ou des actes de revanche ? Si Bachar reste au pouvoir, réalisera-t-il des réformes ? Nos sentiments sont donc partagés entre doute, crainte et espoir. Ce qui donne de l'espoir, et là je suis cynique, c'est malheureusement que nous assistons en Syrie même à des disparitions forcées, des gens qui sont arrêtés puis relâchés… Ainsi, peut-être que quand tout sera plus clair, cette affaire sera traitée sous un angle plus large. Le dialogue avec les autorités devrait être repris. Le problème est : avec quelles autorités syriennes ?

TR : Que font à cet égard les organisations s'occupant de ce problème ?

W A-A : En réalité il y a trois autres entités qui s'activent pour cettequestion : Soutien aux Libanais en détention et exil (SOLIDE), le Comité des Familles de personnes enlevées et disparues au Liban, le Comité des Familles de prisonniers libanais en Syrie, et le CLDH. Nous travaillons de concert depuis des dizaines d'années, avec le même objectif et une stratégie unique. Nous avons des dossiers prouvant l'existence de Libanais dans les prisons syriennes (en-dehors de ceux condamnés à la suite d'un crime ou délit) et nous avons une stratégie et des mécanismes d'action… Ce qui nous manque, c'est une couverture officielle, puisque la Syrie refuse de collaborer avec nous.

Il y a un comité syro-libanais, chargé de traiter cette affaire depuis mai 2005. Malheureusement, il est d'une grande inefficacité, surtout du côté libanais qui persiste à répéter la position syrienne, qui est de nier toute détention, malgré les preuves.

Ce que nous réclamons donc, c'est un statut officiel pour pouvoir entamer un dialogue avec les Syriens qui n'auraient d'autre choix que de nous reconnaître. Dans ce cas, quel que soient le régime en Syrie et les forces en présence, nous pourrons agir. Cela devrait se faire sous la forme d'une commission libanaise officielle pouvant suivre les cas de tous les Libanais supposés disparus, où qu'ils se trouvent : Syrie, Israël, Libye, Liban …. n'importe où dans le monde.

TR : En quoi l'actuelle commission syro-libanaise est-elle inefficace ?

W A-A : Je vais vous donner un exemple. Chaque fois que nous avons une preuve suffisante sur un prisonnier, nous faisons rapport à la partie libanaise, qui se tourne vers la partie syrienne. La Syrie nie l'existence de cet individu sur son territoire et l'histoire s'arrête là. Plus rien n'est fait.

Une fois nous avons soulevé le cas d'une femme, dont on disait qu'elle avait été exécutée. Comme d'habitude la Syrie refusa de le reconnaître. Sur notre insistance, les Libanais recontactèrent leurs homologues syriens, qui changèrent leur histoire et affirmèrent qu'en effet la femme était en Syrie et sur le point d'être pendue, mais au dernier moment, le verdict avait été annulé. A présent la question est : Où est la femme ? Pas de réponse, évidemment.

TR : Le Président a récemment décrété une grâce accordant l'amnistie à tous les prisonniers politiques. Les Libanais sont-ils inclus dans ce pardon ?

Odette Salem est décédée le 16 mai 2009. Elle attendait sa fille Christine et son fils Richard tous deux enlevés en 1985

W A-A : Nous avons plusieurs catégories de gens retenus en Syrie. 1) Ceux qui ont commis des crimes en territoire syrien et ont été jugés en conséquence. Ils ne nous intéressent pas en termes de disparitions, mais bien entendu toujours en terme de droits humains. 2) Ceux qui n'ont pas commis de crimes mais ont été arrêtés en Syrie pour des motifs politiques et y ont été condamnés. Ce que nous pouvons faire dans ce cas de figure est de leur assigner un avocat et de faire de notre mieux pour assurer un procès équitable. 3) Ceux qui ont été enlevés par des milices syriennes ou libanaises ou des organes d'Etat au Liban et emmenés en Syrie pour des motifs politiques ou quelconques, ceux-là sont la majeure partie de nos listes. Hélas, l'amnistie ne concernait que la deuxième catégorie et seules 2 personnes sur une liste de 120 ont été libérées.

TR : En tant que mouvements pour les droits humains, quel usage faites-vous ou avez-vous des médias sociaux pour trouver la trace des des prisonniers et collecter des données ?

W A-A : Nous utilisons Internet depuis plus de dix ans pour sensibiliser sur les questions de droits humains et en particulier sur les disparitions forcées. Les médias sociaux nous sont d'une très grande aide pour être en contact plus fréquent avec certaines familles, notamment celles à l'étranger.

TR : Quels avantages, à votre avis, les mouvements de défense des victimes de disparitions forcées peuvent-ils tirer des médias sociaux pour sensibiliser à leur cause ?

W A-A : Principalement l'élargissement de l'audience des personnes informées et désireuses de les soutenir dans ce problème complexe et tout à fait humanitaire.

TR : Quels sont vos projets à cet égard ?

W A-A : Nous avons travaillé avec les gouvernements précédents et continuons à le faire avec celui-ci pour arriver à une solution. Nous espérons atteindre un résultat concret très bientôt.

L'événement le plus récent co-organsé par le CLDH était le 3 septembre. C'était une exposition d'art et un jeu de piste intitulé “La Tente nous unit” près du sit-in des familles pour encourager les jeunes et les mobiliser.

Ce billet fait partie du dossier de Global Voices sur la révolte en Syrie 2011.

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