Occupy Nigeria : du cyberespace au face-à-face

Ce billet fait partie de notre dossier central en anglais sur les mouvements  #Occupy à travers le monde et a été publié le 13 janvier sur notre version anglaise.

Occupy Nigeria est un mouvement de protestation national qui a commencé au Nigeria le lundi 2 janvier 2012. La révolte civile est organisée par des syndicats qui se sont mobilisés suite à la suppression des subventions sur les carburants décidée par le gouvernement. Le mouvement a été alimenté par la démocratisation de l'information, diffusée par de jeunes Nigérians sur les réseaux sociaux. Pendant des jours, le pays a été paralysé : personne ne travaillait, ne faisait du commerce ou n'étudiait [liens en anglais].

La synergie entre la mobilisation sur le Net et dans la vraie vie a été décrite par African Urbanism:

Occupy Nigeria Logo (Courtsey: Nigerianstalk.com)

Etant passionné par la communication, les médias et plus particulièrement les réseaux sociaux, deux choses dans ce mouvement m'ont particulièrement plu : 1) le rôle impressionnant que les réseaux sociaux jouent dans le suivi et la coordination d'activités et 2) la quantité incroyable de personnes qui utilisent ces réseaux pour se faire entendre… Suivez #occupynigeria et @fuelsubsidy ne serait-ce que deux minutes et vous comprendrez précisément ce que je veux dire – dans un pays extrêmement équipé en téléphones mobiles, de plus de 150 millions d'habitants, les tweets s'enchaînent si vite qu'il est presque impossible de suivre la conversation.

Le gouvernement nigérian a argumenté que la dérégulation du secteur pétrolier était non seulement destinée à stimuler le développement mais également un moyen d'éradiquer la corruption de ce secteur. Elle fait partie des réformes économiques menées par le Président, Goodluck Jonathan avec le soutien du Ministre de l'Economie, Ngozi Okonjo-Iwealla (@NOIweala) et Sanusi Lamido Sanusi (Directeur de la banque centrale).

Sanusi a expliqué la décision du gouvernement nigerian de ne plus subventionner le prix du carburant dans cet article :

La fraude telle que le vol se développe non seulement à cause de l'avidité des gens mais également des opportunités qui leur sont offertes… 1. Vous pouvez “décharger 5 000 tonnes et soudoyer la douane et autres officiers pour signer des documents attestant que vous avez déchargé 20 000 tonnes. Répétez la même activité tout au long du processus avec une trace écrite démontrant que vous avez déposé 20 000 tonnes dans un réservoir d'hydrocarbures, et éventuellement que vous l'avez peut-être transporté à Maiduguri ce qui vous donne l'autorisation de partager les fonds de péréquation des prix. Peut-être arriverez-vous à soudoyer tous ceux qui ont signé les documents pour 20-30 nairas (monaie du Nigéria) par litre. Vous achetez au Bénin, Ghana ou Cameroun 15 000 tonnes que vous revendez sur le marché à un prix X, faisant un bénéfice de 55 nairas/litre sur la totalité de la livraison ! 2. Vous pouvez aussi seulement contrefaire des documents et les faire estampiller sans rien donner en échange et recevoir la subvention de l'organe de régulation du secteur des produits pétroliers (PPPRA). 3. Vous pouvez livrer du pétrole, le stocker dans des réservoirs, en vendre une partie à 65 nairas, une autre à 80 et une autre à 100 de l'autre côté de la frontière. Voilà tout ce que vous pouvez faire et personne ne peut vous en empêcher et vous accuser parce que des individus ont été payés pour signer vos documents. Et la marge des bénéfices est trop importante pour éviter toute tentation de dénonciation, et les fonctionnaires se laissent facilement corrompre.

Il faut reconnaître que l'Etat nigérian subventionne le prix du carburant non pas tant pour le citoyen lambda  que pour certains parasites à la recherche de profit. Toutefois, Sanusi a clairement expliqué que cette suppression de la subvention du prix du carburant doit s'accompagner de l'éradication de la corruption et des dépenses inutiles du gouvernement.

Finalement, la suppression de la subvention ne constitue pas un remède miracle à nos problèmes économiques. Le gouvernement doit également combler un énorme manque de confiance. Il doit contrôler les paiements des subventions et punir toute violation de la législation en vigueur. Il doit mettre fin à toutes les dépenses inutiles et coûteuses. Il doit combattre la corruption et se montrer convaincant dans cette lutte. Il doit investir dans des projets majeurs, pour l'énergie et les infrastructures nécessaires dont un système d'irrigation, de stockage au niveau des exploitations et dans l'industrie agroalimentaire. Ce sont des questions importantes, qu'il faut prendre en compte EN PLUS et non à la place de l'arrêt des subventions sur le prix du carburant.

Cependant, cette décision du gouvernement n'a convaincu ni les syndicats et travailleurs, ni la société civile. @toluogunlesi déclare ici que :

Peu à peu la corruption s'est étendue dans tout le système, des importateurs douteux ont trouvé le moyen de gonfler leurs recettes. Entre janvier et octobre 2011, le gouvernement affirme avoir dépensé 1,3 trillions de nairas (environ 8 milliards de dollars) en subventions pour le prix du carburant, au lieu des 248 milliards prévus dans le budget. Le gouvernement a reconnu l'existence d'un cartel , mais n'a rien fait pour le sanctionner ou révéler son existence. La seule solution, selon eux, est d'abandonner complètement le système de subventions du carburant, alors que c'est l'unique chose ressemblant à une prestation sociale dans ce pays grouillant de pauvres.

Comme l'atteste @toluogunlesi, tout est dans la confiance :

La contestation s'est enracinée dans le manque de confiance. Pour la coalition Enough is Enough Nigeria ( Assez, c'est assez, Nigéria) ainsi que la plupart des Nigérians, le débat n'est pas tant consacré à la subvention sur les carburants qu'à la corruption et aux folies somptuaires des dirigeants, qui font de fausses promesses tout en demandant aux citoyens de se sacrifier en vue d'un meilleur avenir. Le message au Président Jonathan et à son gouvernement est simple : regagnez notre confiance avec les milliards que vous possédez déjà, et alors nous pourrons, et nous le ferons, vous donner chaleureusement ce milliard de subventions.

Les Nigérians se sont toujours méfiés de leurs dirigeants qui pendant des années n'ont pas tenu leurs promesses. Dans un blog, @feathersproject confirme les propos de @toluogunlesi : les dépenses inutiles du gouvernement ont modifié les revendications initiales du mouvement.

Occupy Nigeria ne proteste plus uniquement contre la fin de  la subvention des carburants mais aussi désormais pour les principes élémentaires de démocratie et de  bonne gouvernance. Celui qui cherche l'équité doit le faire les mains propres. Si le gouvernement prescrit une politique d'austérité à ses citoyens, alors les responsables politiques doivent également suivre la tendance. Tout autre attitude est d'une hypocrisie scandaleuse !

Dans une critique de l'article de Sanusi, Tunji Olatunji plaide pour une solution plus humaine :

Un manifestant tenant une affiche sur laquelle on peut lire : "LES NIGÉRIANS DISENT NON À LA SUPPRESSION DE SUBVENTION". Photo de starafrica.com (via myweku.com).

Comme diraient les Yorubas : “ori bibe ko ni oogun ori fifo”. Cela veut dire que vous ne pouvez ordonner la décapitation d'un homme comme remède à son mal de tête. Bien sûr que nous savons que la décapitation mettrait fin à la douleur, mais le prix pour cet homme est trop important. C'est pourquoi je pense qu'appauvrir davantage les Nigérians, comme conséquence de la suppression de la subvention des carburants, au moment où la nation est sous la menace de massacres religieux et politiques, montre que les décideurs politiques au niveau national sont trop détachés de la réalité de nos rues et possèdent une mentalité proche de la cruauté. Leur choix du moment pour imposer leur politique économique instable et controversée, coïncide avec celui où des centaines d'individus sont massacrés dans une partie du pays et où d'autre sont menacés  de représailles, tout cela prouve qu'ils ne possèdent pas le moindre brin de patriotisme. La véritable opportunité d'une réforme de ce secteur aujourd'hui serait de refuser d'accorder  d'autres opportunités à ceux qui ont abusé ou tiré avantage du système, grâce à un changement des procédures, qui pourraient être implémenté en utilisant des technologies modernes et appropriées.

Occupy Nigeria s'est étendu jusqu'au Royaume Uni. MyWeku a interviewé un des principaux organisateurs du mouvement (UK), Nicholas Ibekwe:

Q : Le mouvement Occupy est désormais synonyme des manifestations naissant de l'injustice sociale et économique à travers le monde. Le logo “Occupy”, néanmoins, semble banal, spécialement pour un mouvement nigérian ou africain. Où en sont les discussions autour d'un nom ou un slogan africanisé ?

A : Comme vous le remarquez dans une de vos questions, le mouvement Occupy est synonyme des manifestations qui ont lieu partout dans le monde. Il était donc normal que la révolte populaire nigériane soit nommée conformément à la tendance internationale. Cela a indéniablement aidé à attirer l'attention sur le mouvement national même si le gouvernement s'acharne à faire taire les média (électroniques) nigérians et empêche leur diffusion au delà des frontières. Mais grâce aux réseaux sociaux et au logo Occupy associé à la lutte des jeunes Nigérians qui ont toujours souhaité la fin d'un mauvais status quo dans leur pays, ils ont pu s'identifier avec le mouvement. En fait le mouvement londonien n'était même pas appelé Occupy Nigeria. Le mouvement londonien était organisé par un groupe composé essentiellement d'étudiants nigérians résidant au Royaume-Uni.

Les Nigérians auraient dû choisir un autre nom pour leur mouvement ?

Le logo “Occupy bla bla” aide les manifestants quelles que soient leurs revendications, à se rassembler autour d'un symbole qui est désormais signe de protestation. Néanmoins, il est certain que jusqu'à ce jour, contrairement aux “vraies” révolutions nord-africaines, ce mouvement Occupy et ses protestataires ont peu accompli. C'est par conséquent une surprise de voir que les Nigérians utilisent de plus en plus le logo “Occupy” pour relancer leur campagne contre la suppression de la subvention des carburants. Pour chaque mouvement “Occupy”, il est de nos jours nécessaire de créer une page Wikipedia détaillée et sophistiquée et c'est ce qu'a fait Occupy Nigeria ces derniers jours. On trouve également une pétition Occupy Nigeria et une ou deux pages Facebook. Il y a enfin un lien au site Web à partir du compte Twitter #OccupyNigeria.

Toutefois, beaucoup de Nigérians souhaitent une résolution rapide du conflit. Mais les opinions diffèrent sur la meilleure solution pour y arriver. Deux scénarios de sortie de crise se profilent  : ou bien le gouvernement cède et accepte les demandes des syndicats, des travailleurs et de la société civile ou bien le mouvement s'éteint et tout le monde reprend son travail comme d'habitude. Trouver un compromis entre ces deux extrêmes n'est  pas impossible. [Ndt : depuis, les syndicats nigérians ont voté la fin de la grève générale mais la tension reste vive]

Ce billet fait partie de notre dossier  #Occupy à travers le monde.

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