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Sénégal : Les raisons de la colère

Catégories: Afrique Sub-Saharienne, Sénégal, Droit, Élections, Gouvernance, Médias citoyens, Politique

Avec la période pré-électorale mouvementée que vit le Sénégal, les Sénégalais assistent à une mise à mal progressive de la démocratie qui inquiète beaucoup d'observateurs à quelques semaines des élections présidentielles.
Rappelons qu’ Abdoulaye Wade a été élu à la tête du pays en 2000 et il a décidé de se représenter pour un troisième mandat bien que cela soit interdit par la constitution. Beaucoup de Sénégalais protestent la décision de le laisser se présenter. Plusieurs facteurs inquiètent les électeurs au Sénégal.

[1]

Abdoulaye Wade (image via wikipédia CC-license-2.0)

Fatou Diop met en avant le fait que Wade est le candidat le plus âgé du monde [2]:

Le fait est sans doute unique dans les annales de l’histoire mondiale : Me Abdoulaye Wade est candidat à l’élection présidentielle de 2012 pour un mandat de 7 ans à l’âge de …86 ans. En filigrane du débat politique actuel, se pose la question de sa succession, beaucoup le soupçonnent de vouloir un troisième mandat pour transmettre le pouvoir à son fils.

Abdoulaye Wade, depuis son arrivée au pouvoir en 2000 manœuvre pour garder le pouvoir. Langangui revient sur le fait que Wade avait été l'homme du changement quand il a été élu. Mais ses promesses n'ont pas été tenu et le temps du changement semble bien révolu [3]:

Tout juste élu en 2000, animé, pensait-on de bonnes intentions il remanie la Constitution. Un nouveau texte instituant le quinquennat au lieu du septennat initial, stipulant que le mandat présidentiel « est renouvelable une seule fois » est adopté. Chacun avait compris que Wade serait lui-même concerné par cette disposition quoiqu’il ait été élu un an après la modification du texte constitutionnel. D’ailleurs en 2007, après sa réélection, il déclara publiquement qu’il ne se représenterait plus.

Pourtant, Wade est revenu sur sa parole et se déclare candidat à sa succession pour 2012 [3].

C’était mal connaître le bonhomme. Dans l'intervalle, en 2008, il fit à nouveau modifier la Constitution pour réinstaurer le septennat renouvelable une fois (vous suivez ?), avant d'échouer l'année dernière dans une autre tentative de modification constitutionnelle qui consistait à organiser un scrutin présidentiel à un tour, dans un système de ” ticket présidentiel ” à l'américaine (chaque candidat aurait été affublé d'un vice-président, Wade se présentant avec son fils Karim, par exemple). Deux mandats donc, un de sept ans et un autre de cinq qui s’achèvent, mais qu'il voudrait prolonger par un énième septennat
Quand on rappelle au « Vieux » sa promesse de ne plus se représenter il répond « Ma Waxoon ? Waxeet » (« je l’ai dit, je me dédis ») » en wolof [4], la langue la plus parlée dans le pays.

Babacar NDiaye souligne le népotisme flagrant de Wade qui positionne son fils Karim sur plusieurs postes-clés gouvernementaux [5].

Le fait le plus marquant du « règne » de Wade est certainement la mainmise de son fils sur l’Etat. Ce même fils qui n’a jamais rendu compte sur sa gestion de l’ANOCI et qui, après sa défaite inoubliable lors des élections locales en 2009 [dans son propre bureau de vote] , a été nommé au poste de Ministre d’Etat avec un portefeuille qui empiète sur d’autres ministères. En plus d’être le ministre de la coopération internationale qui n’est rien d’autre qu’un démembrement du ministère des Affaires Etrangères, il est également le ministre de l’énergie, des transports aériens et des infrastructures. Il est ainsi à la tête d’un « mini gouvernement » dans le gouvernement. Dans le pure style « Wadien », il s’agissait de faire un « pied de nez » aux sénégalais qui ont freiné l’ascension fulgurante du « Prince » en quête de légitimité et de popularité. La raison évoquée par Wade sur l’attribution d’un tel « super ministère » à son fils est qu’il a « une formation particulière et rare ». Il est diplômé de la Sorbonne en audit et management (..) C'est ce népotisme que dénonce l’opposition et la rue et qui a aussi poussé le chanteur Youssou NDour à présenter sa candidature pour l‘élection présidentielle de 2012. Un acte qu’il voit comme un devoir à l‘égard de ses concitoyens.

Fatou Diop poursuit [6] :

En juin, il avait tenté un ènième tour de passe- passe : une modification qui devait permettre d’élire simultanément un président et un vice-président avec un minimum de 25% des suffrages exprimés au premier tour. Une manipulation qui a mis le feu aux poudres. De violentes émeutes éclatent à Dakar [7] et Wade finit par retirer le projet.

Langangui explique que Wade a mis en oeuvre beaucoup de moyens pour faire accepter sa candidature [8]:

S’agissant de l’interdiction que lui fait la Constitution de se présenter à un troisième mandat il requiert à grands frais des constitutionalistes étrangers. A la question de savoir si la première élection de M. Wade, en 2000, entrait pas dans le champ de la réforme constitutionnelle, adoptée en 2001 et limitant à deux le nombre de mandats consécutifs la réponse de ces derniers fut bien entendu négative. Pourtant cinq constitutionnalistes sénégalais – dont un membre du comité de rédaction et de la Constitution – avaient tous estimé que cette disposition devait s’appliquer au président candidat. « L’esprit et la lettre de la Constitution interdisent un troisième mandat à Wade. C’est pourquoi nous devons refuser le dépôt de sa candidature », avait alors déclaré Mounirou Sy, professeur de droit à l’université de Dakar…
Ce débat vient d’être tranché par « cinq Sages du Conseil constitutionnel », tous nommés par Wade. Ces derniers ont déclaré hier vendredi 27 janvier que le président sortant pouvait se présenter, avec treize autres candidats, à l’élection présidentielle du 26 février prochain, invalidant au passage la candidature du chanteur Youssou Ndour (Le Conseil constitutionnel a motivé son refus de valider la candidature de Youssou Ndour en constatant qu'il ” a produit une liste de 12.936 électeurs appuyant sa candidature, dont seulement 8.911 ont pu être identifiés et leurs signatures validées “, alors qu'il en faut 10.000 au minimum).
Le choc de la nouvelle a été rude, notamment chez les jeunes à Dakar. « Si Wade participe aux élections, il n’y aura pas d’élections. Si les membres du Conseil constitutionnel valident sa candidature, ils seront responsables de tout ce qui adviendra au Sénégal » avait averti un militant des droits de l’homme.

Sur sa page Facebook [9] le Mouvement du 23 Juin [10] explique les raisons de la colère :

On n'est pas riches, on n’a pas de pétrole, ni d'or, ni de diamant… mais on a toujours eu la paix, et notre honneur, aujourd'hui le Sénégal a honte… tout ça pourquoi… parce que pour Wade, il faut que Karim Wade soit Président… on ne se laissera jamais faire.

Depuis, les manifestations contre la candidature de Wade  ont provoqué 8 morts dont un policier et une fillette, une autre fillette a perdu un œil.
Abdoulaye Wade minimise les manifestations qu’il qualifie de “brise” [11] comme l'indique sur son blog Vincent Hugueux.

Le Mouvement du 23 Juin qui tenait meeting les 11 et 12 février a décidé qu’à partir de mardi 14 les manifestants occuperont la place de l'Obélisque et ne la quitteront que lorsque Wade retirera sa candidature.
Le premier tour des élections est prévu le 26 février, les candidats de l’opposition sauf un ont décidé de suspendre leur campagne jusqu’au 16 février et seraient en pourparlers avec le PDS (parti du président Wade)