Bulgarie : Les étudiants de Sofia s'opposent à un projet de couvre-feu

Le 29 février, un étudiant de 19 ans est mort pendant une rixe avec trois condisciples. Le tragique accident s'est produit à Sofia, dans le quartier de Studentski Grad (la Ville étudiante), dans lequel les universités publiques bulgares fournissent des logements bon marché à leurs inscrits. On ignore qui est précisément responsable du décès de l'étudiant, mais l'affaire a allumé un débat dans les médias tant généraux qu'en ligne.

Le gouvernement a réagi [en bulgare] en voulant imposer un couvre-feu dans le quartier : les immeubles d'habitation seront accessibles jusqu'à 23 heures, et nul ne sera autorisé à y entrer entre 23h et 6h. De plus, à partir du 5 avril, les invités auront interdiction d'y pénétrer sans identification. Et enfin, les autorités ont promis d'installer des caméras de surveillance à chaque étage des immeubles du quartier.

Des mesures aux relents des pratiques de l'ère communiste, qui en ont choqué plus d'un. L'utilisateur de Twitter @GreenLSK a écrit [en bulgare] :

@GreenLSK: Колко се радвам, че не живея в Студентски град… Как ще им слагат вечерен час, бе?

Que je suis content de ne pas habiter Studentski Grad… Comment se peut-il qu'on leur impose un couvre-feu ?

Le couvre-feu a été aussitôt dénoncé comme inefficace et insultant. Ainsi, le blogueur Anguel Igov offre un avis [en bulgare] propre à faire réfléchir aux raisons pour lesquelles “le couvre-feu ne marchera pas ” :

Мярка лесна за въвеждане, трудна за налагане и в крайна сметка напълно безсмислена. Вечерни часове има в подобни общежития по света и практиката показва, че потърпевшите от тях са много изобретателни в заобикалянето им. Но вечерният час е безсмислен не защото няма да се спазва, а защото дори да се спазва, няма да реши проблема с атмосферата на Студентски град – която предразполага към всичко друго, само не и към учене, и очевидно създава ред опасности за здравето и живота на обитаващите го.

Като съм казал “проблема”, дайте да видим къде е всъщност той. Предлагам ви два отговора: а) проблемът е в студентите; б) проблемът е в кръчмите и чалготеките, превзели квартала. Мярката “вечерен час” почива на логиката, че верен е отговор а): дайте да затворим студентите по стаите след определен час и всичко ще бъде наред.

La mesure est facile à instaurer, difficile à appliquer, et est au final complètement inepte. Les heures limites de soirée sont fréquentes dans des résidences analogues d'autres pays et l'expérience montre que leurs victimes sont très imaginatives pour les contourner. Mais si le couvre-feu n'a pas de sens, ce n'est pas parce qu'il ne serait pas respecté, mais parce que, même observé, il ne résoudra pas le problème d'atmosphère à Studentski Grad, qui prédispose à tout sauf à l'étude et met clairement en danger la santé et la vie de ceux qui y habitent. Puisque j'ai dit “problème”, voyons où il se trouve en réalité. Je vous propose deux réponses : a) le problème c'est les étudiants ; b) le problème est dans les bars et les discothèques [de tchalga] qui empoisonnent le voisinage. La mesure “couvre-feu” repose sur la logique que la réponse juste est a) : enfermons nos étudiants en sécurité après une certaine heure et tout ira bien.

Comme il le relève, le vrai problème, ce sont les conditions de vie à Studentski Grad, dénoncées comme insalubres et complètement inadaptées à des études de qualité. En effet, trois étudiants partagent habituellement une chambre de 25 à 30 m², dans tout le quartier il n'y a qu'une seule bibliothèque, aucune librairie, mais d'innombrables bars et clubs de tchalga. Les éditoriaux des médias [en bulgare], décrivant en termes souvent très péjoratifs les étudiants comme des fainéants, ne s'intéressant à rien et saouls en permanence, de moralité douteuse, n'ont jamais cessé de se multiplier. Il est frappant que ceci arrive après de rares accidents tragiques, lorsque les médias traditionnels et des spécialistes en tous genres expliquent ad nauseam à quel point les étudiants sont violents et menacent le développement de la Bulgarie.

Student quizz at the Faculty of History, University of Sofia: another entertainment is possible! Photo by Zornitza Radulova (CC-by-SA 3.0)

Un test étudiant à la Faculté d'Hstoire de l'Université de Sofia : on peut s'amuser autrement ! Photo Zornitza Radulova (CC-by-SA 3.0)

Le couvre-feu est ainsi présenté à la population comme le seul moyen de calmer une horde d'individus que leurs instincts les plus bestiaux transforment en danger public. Pour sa part, les autorités agissent en dompteurs, pour compenser le supposé échec de l'université. Certains ont estimé [en bulgare] que cette mesure n'est qu'un succédané d'action :

Вечерният час няма да реши нищо по никакъв начин. Това е поредният блъф на държавата за пред обществото, с надеждата, че като отчетат някаква дейност, всичко пак ще се забрави. Най-вероятно то така и ще стане… засега.

Le couvre-feu ne réglera rien du tout. C'est un bluff de plus de l'Etat envers la société, dans l'espoir qu'en prenant en compte n'importe quelle action, tout sera à nouveau oublié. Très certainement… pour le moment.

D'autres, comme le contributeur à Global Voices en bulgare Ivaylo Dinev, ont réagi à cette représentation erronée avec de nombreux arguments décrivant [en bulgare] où se trouve le problème réel : non pas les gens, mais l'environnement dans lequel ils évoluent et l'irresponsabilité qui en résulte :

Не считам, че пресилено ще прозвучи, ако реша да определя българското студентсване като една самозаблуждаваща се свобода на безотговорността. Една свобода без отговорности. […]

Студентите обаче, и бих се самоцитирал, не сме виновни, защото ние сме продукт.
Социалната роля „Студент” е продукт на цялото общество, което задава изискванията към своите най-жизнени части. Нужно е да разберем, и това е пределно ясно, че студентите не се самопроизвеждат.
Занижените критерии към студентите не стимулират дейното им участие в образователния процес. Оценките се изкарват лесно, а изпитите са веднъж на семестър. Защо тогава да не се напиват и пребиват ежедневно? Защо да не мързелуват? Всъщност мързел ли е, когато никой не изисква да свършиш някаква, дори минимална работа през годината?

Je ne pense pas aller trop loin en voulant définir l'état d'étudiant bulgare comme une liberté auto-illusoire d'irresponsabilité. Une liberté sans responsabilité.[…] Les étudiants, et j'en fais partie, ne sont pourtant pas coupables, car nous sommes un produit. Le rôle social d'un “étudiant” est un produit de la société, qui édicte les exigences pour ses parties les plus vitales. Il nous faut le comprendre et il est clair que les étudiants ne naissent pas du néant. Les standards abaissés de l'université n'encouragent pas les étudiants à participer activement au processus de l'enseignement. Les notes sont faciles à obtenir et les examens ont lieu une fois par semestre. Pourquoi ne pas boire et se bagarrer chaque jour ? Pourquoi ne pas paresser ? Est-ce vraiment de la paresse si personne ne vous oblige à terminer un travail, même minime, pendant l'année ?

La mobilisation estudiantine contre la mesure a été telle que BNR (la radio nationale bulgare) a mené un entretien [en bulgare] avec trois étudiants et l'a diffusé, à quoi le Ministère de l'Education a riposté en déclarant [en bulgare] qu'il allait contrôler tous les bars du quartier et fermer ceux qui sont illégaux.

Dans l'entretien, les étudiants ont pointé [en bulgare] le problème réel soigneusement éludé jusqu'à présent par les autorités :

Не трябва да се лъжем, че има някакви лоши хора в Студентски град, мутри, примерно, които са дошли ей така. Те са дошли, защото им е позволено, и то от ректорите на университетите.

Ne nous leurrons pas, il y a des voyous à Studentski Grad, la mafia, par exemple, qui est arrivée sans aucune difficulté. Ils sont venus parce qu'on le leur a permis, et cela par le rectorat universitaire.

Certes, les doyens de faculté sont les représentants officiels des universités publiques et sont responsables des résidences et de l'utilisation de leurs parties inhabitées par des entrepreneurs privés. Ainsi, on reproche aux étudiants de fréquenter les bars au lieu d'étudier, mais ce sont les doyens des facultés qui signent les baux commerciaux avec les propriétaires de bars.

Screenshot from the Facebook event page

Capture d'écran de la page de l'événement Facebook

L'imposition d'un couvre-feu total, ou non, sera décidée le 5 avril, par le Conseil des Doyens. Un événement Facebook [en bulgare] a été créé, appelant à manifester si le couvre-feu est imposé. La motivation [en bulgare] est sans ambages :

Поощряването на простотията в една самозаблуждаваща се свобода без отговорности направи Студентски град „Град на греха”. И докато данъкоплатците осигуряват пиршества и забавления, смятайки че зад тях се крият денонощия четения на тежки томове, обществото ще се самозаблуждава, че висшето образование е качествено.

Някой трябва да прекъсне затворения кръг. И неминуемо това ще се случи.

Promouvoir l'imbécillité dans une liberté auto-illusoire sans responsabilité a transformé Studentski Grad en “Sin City.” Et pendant que les contribuables assurent fêtes et amusements, en croyant que des journées surchargées d'étude se cachent derrière, l'opinion persistera dans l'erreur que l'enseignement supérieur est de bonne qualité. Quelqu'un doit briser le cercle. Cela arrivera inévitablement.

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