Quelques clés pour comprendre les violences communautaires dans l'ouest du Myanmar (Birmanie)

Le Myanmar (Birmanie) fait actuellement la Une des journaux pour deux raisons : la visite historique en Europe d'Aung San Suu Kyi – arrivée vendredi 15 juin à Oslo pour y prononcer son discours d'acceptation du prix Nobel de la Paix reçu en 1991 – et les violences [en anglais comme quasi tous les liens du billet] secouant l'Etat de Rakhine (ancien État d'Arakan), dans l'ouest du pays.

Il est bien difficile de faire porter par une communauté plutôt qu'une autre la responsabilité des émeutes [en français], des attaques meutrières et des incendies de maisons qui se sont propagés ces deux dernières semaines à travers l'état, mais force est de constater que les victimes sont de simples Arakanais, ethnie bouddhiste peuplant majoritairement la région, et des membres de la minorité Rohingya, qui milite pour sa reconnaissance par l'État du Myanmar.

Selon un rapport gouvernemental, 2 528 maisons ont été brûlées depuis le début des affrontements. Parmi elles, 1 336 appartenaient à des Arakanais et 1 192 à des Rohingyas. Le rapport précise que, dans le même temps, 29 personnes ont été tuées : 13 étaient Arakanaises et 16 Rohingyas.

Des milliers de gens ont fui les violences communautaires : 37 camps de réfugiés accueillent déjà quelques 31 884 victimes de ces déplacements forcés.

Les médias traditionnels et le monde universitaire ont souvent tendance à décrire les Rohingyas comme étant “la minorité la plus persécutée d'Asie”. Mais au Myanmar, l’opinion publique est divisée. Par ailleurs, dans les faits, le gouvernement ne reconnaît pas les Rohingyas comme faisant partie des groupes ethniques du pays.

Aung Zaw, rédacteur en chef du magazine alternatif  The Irrawaddy a publié un article au sujet de l'opinion négative qu'entretient la majorité de la population à l'égard des Rohingyas.

Il semble que les Birmans considèrent unanimement les Rohingyas comme des immigrés illégaux venus du Bangladesh voisin. Un point de vue davantage lié à un problème de souveraineté nationale que d'animosité religieuse.

De fait, nombreux sont ceux – et plus particulièrement parmi la minorité arakanaise – qui ont souffert du fait que tout cela soit décrit comme un conflit religieux, même si beaucoup ont usé d'injures à caractère racial et religieux lors de leurs attaques verbales contre les “Bangladais”, comme ils préfèrent appeler les Rohingyas.

(…) Dans la rue, l'opinion la plus répandue prônait l'adoption de mesures radicales à l'encontre des Rohingyas.

La majorité des Rohingyas sont musulmans. C'est ce qui conduit de nombreux observateurs étrangers à se demander s'il s'agit d'une situation de persécution religieuse. Mais plusieurs organisations religieuses du Mynamar ont dénoncé cette approche des faits. Il y a quelques jours, elles ont publié la déclaration suivante sur le sujet :

1. Les affrontements dans l'État de Rakhine ne sont pas le fait d'une querelle d'ordre religieux, mais sont dûs à des infractions à la loi.

2. L'ensemble des organisations religieuses de l'Union du Myanmar cohabitent depuis toujours en harmonie et de manière amicale, et entendent perpétuer cette tradition positive.

4. Nous faisons le serment de faire de notre mieux afin d'empêcher que ces violences ne s'étendent à d'autres régions du Myanmar.

May Thingyan Hein écrit pour sa part sur les conséquences variées et contradictoires que peuvent avoir les affrontements dans l'État de Rakhine :

Sur Internet, les troubles sont évoqués de plusieurs manières : certains pensent qu'il s'agit d'une ruse du gouvernement pour détourner l'attention de la population ; d'autres affirment que le gouvernement et les Arakanais sont de mèche pour éliminer les Bangladais ; une troisième théorie affirme que les Rohingyas espèrent faire douter le gouvernement et Madame Aung San Suu Kyi et demander leur autonomie dans cette région.

Sur le site internet de The Irrawaddy, Kyaw Zwa Moe accuse les médias sociaux d'attiser les flammes du discours de la haine et du racisme.

Pourquoi cet embrasement ?

A cause des médias et des médias sociaux, évidemment : certains internautes ont mis en ligne, sans aucun état d'âme, des images du premier massacre sur leur page Facebook. Elles ont ont été rapidement diffusées à grande échelle et ont poussé d'autres internautes à partager leurs sentiments et répondre sous le coup de l'émotion.

Heureusement, il y a également des voix plus modérées pour appeler à la paix et l'unité sur la Toile. Dave Gilbert et Violet Cho ont ainsi publié des images trouvées sur Facebook et promouvant l'entente dans le pays.

Photo de New Mandala

La légende dit en birman :

“Nous aimons tous notre pays. Ne laissons pas les problèmes s'étendre. Différentes croyances ne doivent pas mener à des désaccords. Laissons où ils sont ceux qui veulent revenir en arrière, nous pourrons alors passer à autre chose.”

Photo de New Mandala

Peace Warriors est le nom d'un groupe d'activistes inquiets de la menace lancée de s'en prendre aux musulmans de Yangoon (Rangoon), la capitale du Myanmar :

“Ces derniers jours, des tracts distribués dans les rues de Yangoon appelaient la population à attaquer les musulmans, leurs mosquées, leurs magasins et leurs maisons. Les femmes musulmanes étaient aussi prises pour cibles. Du coup, les musulmans et les gens d'origine indienne ont peur de se rendre à leur travail, voire simplement de sortir seul. Des familles musulmanes ont baissé le rideau de leur boutique tandis que les écoles religieuses ainsi que les universités musulmanes ont fermé leurs portes il y a deux jours.”

L'organe de presse du pouvoir New Light of Myanmar s'est fait l'écho de la visite rendue par des membres du gouvernement dans des camps de réfugiés :

Suite aux affrontements qui ont lieu dans l'État de Rakhine, des bataillons locaux ont été dépêchés sur place, à compter du 8 juin, pour restaurer la paix et la stabilité, protéger la vie des habitants et faire prévaloir l'ordre et la loi. A partir de ce soir, ces bataillons locaux fourniront toute l'assistance nécessaire à la population. Par ailleurs, plusieurs navires ont vu leur mission de protection des eaux territoriales du Myanmar allégée afin de se rapprocher de Maungtaw (ville la plus occidentale du pays mais également située à la frontière avec le Bangladesh) et d'empêcher l'infiltration d'individus sans scrupules.

Violet Cho fait part de son point de vue plus critique lors de son analyse de la situation dans le Rakhine pour The Irrawaddy :

La pauvreté et la répression étatique conduisent à un sentiment intense de frustration qui ne peut s'exprimer que brutalement et peut être considéré comme une source classique de violences communautaires un peu partout dans le monde.

En creusant un peu sous la surface, on s'aperçoit que les violences communautaires qui touchent l'ouest du Myanmar ont pour origine un processus bien plus profond et complexe mêlant des données historiques, sociales, politiques, culturelles et liées aux castes. Peut-être devrait-on commencer par rédéfinir des thématiques paraissant dépassées, comme celle de la race, et aborder les choses d'un autre angle. Cela pourrait aider à aboutir à des analyses plus efficaces.

Des organismes de défense des Droits de l'Homme demandent au Myanmar et au Bangladesh d'ouvrir leurs frontières respectives et de laisser aux Rohingyas la possibilité de fuir les violences. Voici un appel lancé par la Commission asiatique des Droits de l'Homme :

…Afin de pouvoir fournir de la nourriture et les soins adéquats à la population en difficulté, nous demandons à vos deux gouvernements  de coopérer ensemble afin d'offrir aux agences internationales un accès total, libre et sécurisé le plus vite possible. Ce pour que ces organisations puissent se rendre sur place et organiser l'arrivée de l'aide d'urgence.

A la surprise de nombreux militants et journalistes extérieurs au Myanmar, les membres du mouvement d'opposition, né en 1988, 8888 Generation Student Leaders, ont publié un communiqué dans lequel ils rejoignent la ligne suivie par le gouvernement dans sa non-reconnaissance des Rohingyas en tant que citoyens du Myanmar :

Ko Ko Gyi (un des leaders du mouvement) : Bien que cela soit incontournable, nous avons tenté d'éviter patiemment d'aborder certains problèmes. Il est temps à présent de donner clairement notre point de vue sur la question des Rohingyas. Ceux-ci ne font absolument pas partie des ethnies peuplant le Myanmar. Nous constatons que les affrontements se déroulant actuellement à Buthedaung et à Maungdaw, dans l'État d'Arakan (ou de Rakhine) ont été causés par des immigrés illégaux venus du Bangladesh et appelés “Rohingyas” ainsi que par les provocations malicieuses de certains acteurs de la communauté internationale. Par conséquent, les tentatives menées par certains pays puissants pour intervenir sur la question (des Rohingyas), ce sans même comprendre réellement les enjeux ethniques et autres problèmes touchant la Birmanie, seront considérées comme une atteinte à la souveraineté de notre nation.
Comme aucun pays ne veut les accueillir, nous éprouvons de la compassion pour ces gens au nom du fait qu'il sont humains et réfugiés. Mais nous n'accepteront jamais que les grandes puissances se servent de notre gentillesse et de notre prévenance pour nous rendre responsable de ce problème.

Certains militants se demandent si Suu Kyi, qui a préconisé l’application de la loi (sur la citoyenneté) pour résoudre la situation dans l'État de Rakhine, partage la même vision des choses que les leaders de 8888 Generation Student.

Le gouvernement du Myanmar affirme que la situation est aujourd'hui sous contrôle. Mais les souffrances endurées dans les villages Rohingyas ne font qu'empirer chaque jour.

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