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Inde : Les émeutes en Assam, entre réalités et désinformation

Catégories: Asie du Sud, Bangladesh, Inde, Droits humains, Ethnicité et racisme, Gouvernance, Guerre/Conflit, Manifestations, Médias citoyens, Peuples indigènes, Politique

[Liens en anglais] En juillet dernier, des affrontements ont éclaté dans l'Etat indien de l'Assam entre tribus indigènes Bodo et colons musulmans [1], qui ont engendré émeutes, tueries et déplacements massifs de populations. Près d'un mois plus tard, le calme n'est pas encore revenu même si la police indique avoir opéré des centaines d'arrestations et enregistré autant de plaintes.

Ce reportage d'investigation [2] de NDTV révèle comment politiciens et organisations de part et d'autre ont répandu la peur et les revendications exagérées sur la question de l'immigration illégale, avant de recourir à la violence pour favoriser leurs ambitions politiques.

Harini Calamur [3] souligne la façon disproportionnée dont les média gonflent les événements :

Il n'y a pas de soulèvement dans le NE (le Nord-Est de l'Inde composé de sept Etats adjacents), les émeutes ont lieu dans une partie d'un seul district, celui de Kokrajhar, Assam.

In search of Greener Pastures [4] (‘En quête de verts pâturages’) donne la parole à une source bien informée :

La vérité est que les émeutes n'ont lieu que dans une certaine partie du Bas Assam, une région qui représente au plus vingt pour cent de l'Assam, une région appelée Bodoland des Bodos. Les quatre-vingt pour cent restants de l'Assam sont sûrs, pour le moment dirais-je, mais si le gouvernement n’ouvre pas les yeux et n'écoute pas les gens, un jour ça pourrait être bien pire. Le coeur du problème, ou plutôt, le seul problème en l'espèce, c'est l'immigration incontrôlée.

Cela a débuté dans les années 70, lorsque le parti du Congrès alors au gouvernement, sous la direction d'Indira Gandhi, a distribué gratuitement des terres à beaucoup de gens du Bangladesh, et a créé pour eux des implantations dans tout le Nord-Est de l'Inde. [..] En permettant aux Bangladeshis de s'installer dans l'Inde du nord-est, et en les munissant de cartes d'électeurs, le Congrès s'était assuré un shoot permanent de votes, à la manière d'une seringue de dose concentrée qui allait servir de catalyseur à leur accès au pouvoir. Et depuis lors, depuis les trente dernières années, cet entrée de Bangladeshis illégaux en territoire indien se poursuit de façon incontrôlée.

[5]

Rassemblement de quelque 3.000 membres de l'AASU (Syndicat des étudiants de tout l'Assam) dans le district de Sivasagar pour exiger l'application de l'Accord de l'Assam, dont la non-application facilite selon eux l'installation des immigrants illégaux en Assam. Photo Manash jyoti Dutta. Copyright Demotix (14/8/2012)

Le blogueur ajoute :

Les Bangladeshis ne sont pas en cause. Ils ne sont que les pions du grand jeu. Les ramifications sont profondes, jusque là où le coeur du système doit être changé et reconstruit.

et évoque l'exploitation médiatique de la situation :

Et en continuant leur battage, lesmédia finissent par aggraver les choses. La vérité à ce jour est qu'à part le Bodoland, le reste de l'Assam et le Nord-Est de l'Inde sont sûrs. Il vaudrait mieux que les média se concentrent sur le Bodoland, au lieu de présenter la totalité de l'Assam comme livrée aux émeutes. Les articles parlent de plus de 500.000 personnes déplacées et sans abri, à l'instar d'une histoire pathétique de l'Afrique ravagée par la guerre. Des conneries ! J'ai été au Bodoland moi-même, et imaginer 500.000 déplacés au Bodoland est grotesque. La région est peu densément peuplée et il n'y a aucune possibilité d'existence même d'une telle situation de masse.

Dans un billet invité sur Kafila.org, Nilim Dutta [6], directeur exécutif de l'organisation de recherche et analyse stratégique Guwahati, démolit le mythe des illégaux bangladeshis et des responsables des violences en Assam :

La situation a été rendue plus compliquée par une ‘manifestation’ à Mumbai contre les ‘violences contre les Musulmans en Assam’ [7] tournée à l'émeute ou par diverses attaques en guise de ‘représailles’ contre des gens du Nord-Est ailleurs en Inde. Grâce à des opinions, soit outrageusement désinformées soit aux motivations impudentes diffusées sans relâche à tous vents, pour beaucoup dans les médias nationaux électroniques ou imprimés, le discours dominant qui s'est formé autour de la question a créé trois perceptions distinctes :

  • Un, que l'immigration illégale de paysans musulmans bengalis du Bangladesh voisin en Assam ne diminue pas, biaisant les profils démographiques des districts d'Assam frontaliers du Bangladesh, et par là-même faisant basculer plusieurs districts d'Assam contigus dans une majorité musulmane.
  • Deux, que ces immigrants musulmans bengalis du Bangladesh ont empiété avec rapacité et occupé les terres appartenant aux communautés autochtones, créant ainsi une situation volatile portant en germe violence et heurts mortels entre immigrants illégaux et autochtones.
  • Trois, que l'affrontement ethnique qui a débuté entre les autochtones (hindous) Bodoset les immigrants illégaux musulmans installés à Kokrajhar a été le résultat de l'agression et de l'attaque de ces derniers contre les Bodos.

Dutta écrit :

Ces perceptions sont pourtant loin d'être exactes. Afin de comprendre pourquoi, il importe de réexaminer attentivement comment elles sont apparues, les failles dans les hypothèses et ce qu'est vraiment la réalité.

Les ‘migrations’ plutôt que l’ ‘immigration illégale’, sont largement responsables de la mutation démographique.

C'est un fait que les paysans musulmans bengalis ont commencé à migrer des décennies avant la partition et l'indépendance. Au moment de la Partition, une population importante d'immigrés Bengalis musulmans a choisi de rester en Assam comme citoyens indiens, ils se sont assimilés dans la société et ont adopté l'assamais comme leur langue. Beaucoup dans la population actuelle sont leurs descendants.

Il est donc simpliste de supposer que l'immigration illégale endémique de Bangladeshi se poursuit encore aujourd'hui en s'appuyant sur des chiffres sélectifs de recensement sans examiner en profondeur les processus historiques complexes à l'oeuvre dans la transformation démographique en cours.

[6]

Image de la page Facebook du leader Bodo Hagrama Mohilary. Aimable autorisation de Kafila.org

Le blogueur évoque aussi le tableau politique actuel des Bodo et la revendication par les groupe armés opérant dans les régions à prédominance Bodo de l'Assam [8] d'un Etat séparé pour les Bodos taillé dans l'Assam. Lire le billet de Nilim Dutta [6] pour plus de détails.

Raja Basu [9] sur Potpourri indique :

L'émeute a mis sous le scanner les réalités du Conseil territorial du Bodoland, beaucoup de gens y compris des Bodos soulignant comment et pourquoi le Conseil a échoué à réaliser l'objectif de sa création.

Il est à noter que les Bodos ont exprimé leur mécontentement de la présence de non-Bodos en nombre dans cette région, sans montrer de griefs particuliers contre la présence de supposés immigrants illégaux en provenance du Bangladesh. Cela signifie qu'ils sont contre la présence de tous les non-Bodos.

Nitin Pai [10] sur the Acorn est d'avis que ce qu'il faut à l'Inde, c'est un ferme contrôle sur les questions de migrations :

L'approche nationale de l'Inde en matière de migration doit se centrer sur une gestion des flux qui ne fragilise pas le tissu social déjà affaibli dans tout le pays, et particulièrement dans les régions ‘éloignées’. [..]

Un système de permis de travail autorisant les Bangladeshis et d'autres à travailler légalement en Inde et à rentrer dans leur patrie s'impose. Emettre des permis de travail et autoriser les administrations d'Etats et locales à instaurer des limitations du nombre de détenteurs de permis de travail sur leurs territoires serait une amélioration du statu quo.