Inde : Dalit Camera, une chaîne d'information pour les exclus

Dalit” est le terme employé en Inde pour désigner des personnes traditionnellement considérées comme “intouchables”, soit du fait qu'elles exercent un travail perçu comme très ingrat par la société indienne – comme de fabriquer ou réparer des chaussures, être boucher, s'occuper de la lessive ou de la vaisselle, balayer,  ramasser les déchets ou les cadavres d'animaux, faire de la récupération, être en charge de crémations, etc. – ou encore parce qu'ils appartiennent à l'une des quelques rares tribus mangeant du bœuf.

Considérés comme socialement inférieurs, les dalits ont longtemps subi une discrimination à la fois économique, politique et sociale, au point qu'ils n'appartenaient même pas au traditionnel système indien des castes – ou de la Varna – (bien qu'ils obéissent à une hiérarchie propre en tant que sous-caste ou jati).

Le Mahatma Gandhi avait à son époque tenté de généraliser le mot “harijan” [en anglais, comme la plupart des liens suivant] (enfants de Dieu) pour évoquer l'ensemble de ces communautés, ce dans un effort d'intégration sociale. Mais au fil du temps, ce mot a de plus en plus été perçu comme condescendant et dévalorisant.  Aujourd'hui, ces populations affirment collectivement leur identité en tant que dalits, ce qui signifie littéralement “opprimés” ou exploités”.

A girl of an untouchable community dancing a traditional Indian dance. Jaisalmer, India. Image by Franck Metois. Copyright Demotix (30/6/2012)

Une jeune fille, membre d'une communauté d'intouchables de Jaisalmer, dans l'Est du Rajasthan, se livre à une danse traditionnelle indienne. Photo Franck Metois © Demotix (30/6/2012)

Si le principe d'intouchabilité a été officiellement aboli par la Constitution du pays en 1950, le gouvernement indien a reconnu le préjudice historique subi par ces communautés et mis en place un système de protection en leur donnant le statut de castes et de tribus répetoriées et en pratiquant une politique de quotas pour promouvoir une forme de discrimination positive et leur permettre d'évoluer socialement et économiquement.

Ces vingt dernières années, de nombreuses actions visant à diminuer la discrimination à l'égard de ces groupes marginaux ont été couronnées de succès et les préjugés dont ils étaient traditionnellement victimes ont semble-t-il largement disparu en zone urbaine et dans la sphère publique. L'Inde a aussi vécu l'élection démocratique de K. R. Narayanan, un dalit, au poste de président de la République d'Inde. La discrimination à l'égard des dalits reste cependant présente dans de nombreuses régions rurales ainsi que dans la sphère privée.

Les exemples de discrimination quotidienne ne manquent pas, mais retiennent rarement l'attention des médias traditionnels indiens qui ne se donnent pas la peine d'approfondir la question. B. Ravichandran travaille pour Dalit Camera, une chaîne d'information diffusée sur YouTube. Il écrit :

Il y a un an, une femme dalit (faisant partie des Arunthathiyar) et présidente d'un panchayat (gouvernement local) fut violemment attaquée. Elle était très efficace en tant que présidente de son panchayat. C'était la quatrième fois qu'un président dalit de panchayat était agressé. Elle a été la seule victime à avoir survécu. L'ensemble de la communauté arunthathiyar a manifesté son indignation. Je voulais participer au mouvement et c'est ainsi que j'ai réalisé un documentaire (la vidéo ci-dessous : Mme Krishnaveni, présidente de panchayat, victime du système des castes). Ce fut le début de ce qui est aujourd'hui connu sous le nom de Dalit Camera.

Dalit Camera a commencé à mettre en ligne des vidéos sur l'action d'activistes locaux, évoquant des problèmes rencontrés par les dalits, les adivasis, les bahujans, les musulmans et bien d'autres minorités. Sur sa page Facebook, l'équipe de Dalit Camera indiquait ceci le 6 juillet 2012 :

Quand Dalit Camera a été lancée, la chaîne comptait environ 4 000 internautes-spectateurs, mais en quelques mois, ils sont passés à plus de 50 000. Cette popularité croissante, elle la doit entièrement aux activistes de base qui n'ont jamais hésité à accorder une interview exclusive à Dalit Camera, allant jusqu'à ignorer les médias traditionnels. Dalit Camera s'est aussi fait un nom grâce à tous ceux qui la soutiennent, continuent de la regarder et d'encourager son travail.

La chaîne vidéo compte actuellement 137 abonnés et ses vidéos ont été visionnées 75 000 fois.

Ravichandran poursuit :

Quand la statue d’Ambedkar a été profanée dans l'Andhra Pradesh en janvier 2012, les leaders dalit et bahujan ont fait des communiqués de presse qu'aucun média traditionnel n'a repris avec exactitude ni dans leur entier. J'ai de mon côté enregistré la totalité d'une conférence de presse ensuite mise en ligne, afin de compenser la myopie sectaire qui semble frapper les grands médias chaque fois qu'ils couvrent un événement dalit. Depuis, j'ai continué d'assister à de nombreuses conférences de presse organisées par les dalits et de les enregistrer.

Dans le même article, il explique :

Nous tenons à insister sur le fait que Dalit Camera n'a rien apporté de nouveau à la cause dalit. Nous avons juste filmé des militants sur le terrain et conduit des interviews. A cet égard, Dalit Camera fait office de chroniqueur et de facteur.

Dalit Camera s'est rendu dans une communauté dalit à Kottayam, dans le Kérala, en compagnie du professeur Yesudasan, enseignant d'anglais à l'université CMS de Kottayam.

S. Anand, journaliste pour le magazine Outlook, relève l'esprit de créativité “multimédia” qui anime la classe moyenne dalit et lui permet de mieux se faire connaître et entendre :

Encore largement maintenu à l'écart des médias traditionnels, du secteur privé et de nos universités – qui affichent sans rougir leur dédain pour la plus grande arme d'Ambedkar : les quotas –, les dalits ont créé, en Inde et à l'étranger, leurs propres sites internet, listes de diffusion et blogs, tels Round Table Conference, Dalit & Adivasi Students’ Portal and Savari, une chaîne sur YouTube intitulée Dalit Camera, sans compter les pages Facebook. Ils ne dépendent plus désormais des médias institutionnels qui peuvent prendre un mois pour réagir.

Dalit Camera récolte actuellement des fonds par l'intermédiaire des médias sociaux afin d'investir dans une caméra professionnelle munie d'un micro extérieur. Voici le lien vers sa page Facebook.

Aparna Ray a participé à l'écriture de ce billet.

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