République Tchèque : Les Roms d'Ostrava résistent aux expulsions

Přednádraží, un petit quartier d’Ostrava, a été cet été au centre d'une bataille contre les expulsions illégales des habitants en grande majorité Roms. Pour la République Tchèque, cette affaire est à la fois exceptionnelle et historiquement connotée.

La communauté rom est l'objet d'un mouvement constant vers l'exclusion sociale et la dépossession, et l'affaire des expulsions à Přednádraží n'est hélas qu'une nouvelle illustration spectaculaire de cette tendance. On reproche collectivement aux Roms leurs “nomadisme,” “absence de racines,” et “refus d'adopter la culture dominante.” Les habitants de Přednádraží ont décidé de se dresser à la fois contre les expulsions illégales et ces poncifs.

Přednádraží children holding posters that read: "The media are censoring our reality! Tell the truth!" Photo by Daniela Kantorova.

Des enfants de Přednádraží tiennent des affiches où on lit : “Les média censurent notre réalité ! Dites la vérité !” Photo Daniela Kantorova.

Pendant que les faits ont attiré l'attention des mass média pendant un été où il ne s'est pratiquement rien passé au plan politique, le contexte d'oppression historique où s'est déroulée la lutte est resté largement ignoré. Un portail indépendant d'information, Romea.cz, centré sur la vie de la communauté rom et leur lutte pour les droits civiques, a chroniqué les événements avec constance [en tchèque], en détail – et dans une perspective de meilleure justice sociale.

Histoire

Construit en 1902, Přednádraží est un ensemble de onze immeubles d'appartements en brique, situé dans un ancien quartier juif. Il y a des affirmations non étayées que les habitants de ces maisons auraient été les premiers déportés du camp de concentration de Nisko, en Pologne, en 1939.

Les médias tchèques appellent Přednádraží un ghetto, sans réfléchir un instant au sens de ce mot et à ses rapports à l'histoire. Přednádraží, qui veut dire littéralement “devant la gare,” se trouve en fait derrière la gare centrale d'Ostrava, cette même gare devant laquelle est érigé le modeste mémorial aux Juifs d'Ostrava victimes de la Shoah. Des milliers de Roms tchèques ont péri dans la Shoah, mais ils ne sont pas inclus dans ce mémorial.

Les immeubles de Přednádraží se dressent dans un îlot triangulaire, entouré par une autoroute, un dépôt de chemins de fer et un terrain industriel clôturé, ce qui donne une impression d'isolation, de relégation. Přednádraží est difficile d'accès : un seul bus y va, à intervalles espacés, et les chauffeurs de taxi refusent de conduire jusqu'à son unique rue goudronnée.

La zone manque aussi d'infrastructure sociale. Dans une ville qui vient d'ouvrir, il y a six mois, un centre commercial flambant neuf de 56.000 m2 à seulement 6 km de là, les environs immédiats de Přednádraží ne comptent que deux petits magasins de voisinage vendant des produits alimentaires de base (pas toujours frais), et un café qui, d'après son gérant, fait aussi office de salle de réunion parce que les gens n'ont nulle part ailleurs où aller. Bien que les enfants soient nombreux dans le quartier, il n'y a ni terrains de jeux ni autres équipements qui leur soient accessibles.

Residents of Přednádraží and activists get ready for an anticipated raid. Photo by Daniela Kantorova.

Habitants de Přednádraží et militants se préparent à un raid escompté. Photo Daniela Kantorova.

Chez eux pour combien de temps ?

Le quartier a beau être marqué par l'isolement, ses habitants s'y considèrent chez eux, mais le danger est que cela ne soit plus pour longtemps.

Début août, le Service des Travaux immobiliers de la mairie d'Ostrava a déclaré les immeubles de Přednádraží inhabitables, au motif de canalisations d'égout cassées, et a ordonné au propriétaire, Oldřich Roztočil, d'expulser tous les locataires sous 24 heures. Ostrava est connu pour son absence de logements à bas coût, et la municipalité n'a proposé aucune alternative, à part le conseil aux résidents de déménager vers des foyers excessivement chers et surpeuplés.

M. Roztočil a choisi de défendre ses locataires, et résiste toujours à l'ordre d'expulsion émis par la mairie. Environ 140 personnes ont refusé de quitter les maisons où beaucoup d'entre eux habitaient depuis 30 ou 40 ans. Ils ont joint leurs forces à celles de militants non Roms, ce qui représente aussi un véritable saut dans l'histoire de la lutte pour les droits des Roms, car la majorité des Tchèques de souche ne veulent rien savoir de ces derniers.

La pression des autorités ne cesse de croître depuis début août, ce qui ne manque pas d'ironie puisque le motif invoqué pour les expulsions est le mauvais état des égouts. Les canalisations ont été endommagées pour la première fois pendant les inondations de 1997, et leur état s'est fortement dégradé ces deux dernières années.

Selon l'habitude du discours médiatique de rendre les Roms responsables des problèmes dont la cause est les pratiques discriminatoires des administrations négligentes, c'est aux habitants de Přednádraží qu'on reproche les canalisations d'égout cassées ; et ceci alors qu'il y a au moins trois procès en cours dans les divers services de la mairie pour en définir la propriété, et donc la charge de la maintenance.

Une question se pose : pourquoi cette hâte soudaine à expulser les habitants, au lieu de réparer les égouts ? Une explication possible est qu'un établissement d'enseignement privé devait ouvrir ses portes en septembre dans la rue avoisinante, et la zone est devenue attirante pour les promoteurs. Ce ne serait pas la première fois que des Roms seraient mis dehors de leurs logements par la force de l'embourgeoisement. Dans les dix dernières années, les Roms ont été chassés d'un quartier du centre devenu une sorte de lieu de fête : sur quelques pâtés de maisons il compte désormais plus d'une centaine de cafés et de bars.

L'idée de “sortir les Roms” est fréquemment mise en avant par les Tchèques ordinaires comme leur solution souhaitée du “problème Rom.” En 2006, deux ans après l'entrée de la République Tchèque dans l'Union Européenne, après l'abolition par le Canada de l'exigence de visa pour les ressortissants tchèques, des élus du quartier Marianské Hory d'Ostrava ont élaboré un plan improbable : inciter les habitants Roms de leur circonscription à émigrer au Canada en leur offrant une contribution financière pour leurs billets d'avion.

Dans le cas de Přednádraží, les autorités n'ont pas proposé la moindre aide. Une des premières mesures a été, pour la Compagnie des Eaux d'Ostrava (OVAK) de couper la fourniture d'eau à tous les immeubles, soi-disant pour factures impayées. Pendant trois semaines, l'endroit a reçu son eau d'une coûteuse citerne livrée par la compagnie des eaux elle-même qui avait mis fin à l'approvisionnement. Il a fallu trois semaines de négociations pour rétablir la fourniture d'eau avec un unique robinet [en anglais] partagé entre tous les habitants.

Ensuite, les familles ont commencé à connaître des difficultés à toucher leurs allocations sociales. Les employés de la sécurité sociale leur ont expliqué que, n'ayant pas l'eau courante, elles ne sont pas en mesure de cuisiner ou faire la lessive, et sans logement permanent elles ne peuvent recevoir d'allocations-logement. Quelques semaines après le rétablissement de l'eau avec l'unique robinet collectif, c'est l'électricité que les autorités ont ordonné de couper.

The children of Přednádraží. Photo by Daniela Kantorova.

Enfants de Přednádraží. Photo Daniela Kantorova.

Depuis fin août, les travailleurs sociaux de la Ville se rendent à Přednádraží et menacent les familles de leur enlever leurs enfants [en anglais] s'ils ne déménagent pas immédiatement dans les foyers. Tout cela additionné aboutit à une énorme pression psychologique sans aucun souci du bien-être de ces familles. N'ayant pour perspectives de logement que des foyers inabordables et inadaptés, les gens ont naturellement peur de se trouver à la rue et de se voir ôter leurs enfants.

Des alliances se forment

Devant toute cette pression, des alliances ont commencé à se former.

La lutte a le soutien sans faille du militant tchèque-indien de la cause rom Kumar Vishwanathan, dont l'organisation, Vzájemné soužití (“Vivre Ensemble” ; @vzajemnesouziti [en tchèque et anglais] sur Twitter), travaille au plaidoyer et gère des programmes sociaux pour la communauté rom. Un entretien avec Kumar Vishwanathan [en tchèque] sur l'affaire a été publié récemment par Nový prostor, une publication à but non lucratif au profit des gens dans la rue.

Un petit nombre de militants de la section d'Ostrava d'un mouvement de libertés civiques récemment formé, ProAlt (sur Facebook, ici), ainsi que quelques militants anti-racisme de Prague, ont témoigné de la solidarité et proposé leur aide. Le porte-parole de ProAlt, Martin Škabraha, a beaucoup écrit sur les faits, et dans la dernière en date de ses analyses [en tchèque] il a appelé la situation une catastrophe fabriquée, citant la négligence des administrations ainsi que l'apathie de la population majoritaire comme les facteurs à l'origine de cette crise.

Une déclaration de soutien a été émise par Milan Šimáček, le directeur de l'agence publique pour l'Intégration Sociale. De plus, la Commission Européenne a adressé une lettre au maire d'Ostrava Petr Kajnar, exigeant un règlement de la situation.

La division tchèque d'Amnesty International a également publié une déclaration [en tchèque] sur cet état de fait.

Toutes ces voix n'ont pourtant pas suffi à amener le conseil municipal et de district d'Ostrava à agir pour véritablement aider Přednádraží. A ce stade, la situation est tendue, car les familles sont face à un ultimatum du bureau de la sécurité sociale d'Ostrava : ou elles s'installent dans les foyers, ou leurs enfants leurs seront retirés.

Montrer sa solidarité avec Přednádraží est fondamental. Si ces efforts aboutissent, cela servira de précédent, d'exemple qu'il est effectivement possible d'avoir des racines, qu'il est possible de se dresser de façon non-violente contre l'oppression mise en oeuvre par les institutions, qui ont pour mission de servir les citoyens – une mission à laquelle les institutions ont failli.

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