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De la difficulté de débattre sur la précarité en Afrique

Catégories: Afrique Sub-Saharienne, Cameroun, Madagascar, République Centrafricaine, République Démocratique du Congo (RDC), Sénégal, Action humanitaire, Alimentation, Développement, Droits humains, Economie et entreprises, Gouvernance, Idées, Médias citoyens

Malgré des indices de croissance au beau fixe [1] par rapport aux autres continents en 2012, la précarité reste un problème bien présent pour la majorité des personnes résidant en Afrique (47% des Africains vivent avec moins d’un euro par jour [2]). Les inégalités se creusent certes [3] mais la notion de précarité évolue aussi sur le continent. Il semble difficile de trouver une solution à la pauvreté sans y impliquer les principaux concernés.

Définir la pauvreté

La notion de pauvreté ou de précarité est par définition subjective et relative. Cependant, il est important de délimiter le périmètre des enjeux qu'englobe la précarité pour pouvoir évaluer les solutions possibles. Qui sont les pauvres et de quoi souffrent-ils ?

[4]

Nomades au Maroc sur Flickr par Antonioperezrio (CC-NC-2.0) publié initialement dans l'article sur les solutions à la pauvreté dans le monde [5]

Rangot Tsasa de la république démocratique du Congo pose la question “Sommes-nous réellement pauvres ? [6]“:

La pauvreté est l’insuffisance de ressources matérielles, comme la nourriture, l’accès à l’eau potable, les vêtements, le logement, et des conditions de vie en général, mais également de ressources intangibles comme l’accès à l’éducation, l’exercice d’une activité valorisante, le respect reçu des autres citoyens. [..] Des jeunes désoeuvrés qui tuent et volent au su et au vu des autorités en place. Devrions-nous interpeller les parents qui sont responsables de l’éducation de base ? Pas de boulots, rien a faire, on se retrouve dans les rues.

 

Au Sénégal, Seydina Oumar Touré  explique sur le site Bonne Gouvernance Afrique qu'il existe plusieurs dimensions à la pauvreté [7] :

Lorsqu’on interroge la population sur ce que signifie « être pauvre », 90% invoquent avant tout la définition la plus classique de la pauvreté qui retient comme critère : un niveau de consommation inférieur à un seuil minimum de subsistance. Une large majorité des Dakarois (87%) définit parallèlement la pauvreté en soulignant l’incapacité à influer sur ses conditions. Enfin, 84% des individus l’associent à des conditions matérielles d’existence difficiles ou à la faiblesse du capital humain.
Mais il convient de souligner que plus les individus sont démunis du point de vue monétaire, plus ils mettent en avant les différentes dimensions de la pauvreté. En effet, ils sont relativement plus nombreux parmi le quartile des revenus les plus faibles (comparé aux quartiles plus riches) à caractériser la pauvreté par diverses formes telles l’incapacité à influer sur ses conditions ou la marginalisation/exclusion.

 

Cette lutte contre la marginalisation et l'exclusion est une thématique qui est maintenant très présente aussi sur le continent  européen due à une crise économique persistante. Une initiative pour l'application d'un revenu de base universel [8] argumente ainsi que cette allocation minimum pourrait réduire ce sentiment d'exclusion.

Comment faire entendre les voix des plus démunis

Hélas ces voix s'exprimant sur les différentes dimensions de la pauvreté sont encore trop rarement entendues dans l'opinion publique. Les solutions proposées en termes de politiques publiques dans les pays concernées se basent sur des évaluations économétriques qui ne sont pas homogènes dans leurs définitions de la pauvreté.  Plusieurs propositions de solutions ont été proposées.

Ndoedje Michel au Cameroun pense qu'il ne peut y avoir de solutions durables sans avoir au préalable bien ciblé les causes antérieures [9]:

au Cameroun par exemple le salaire minimum est de 28 000 FCFA et dans la plupart des cas moins que cette somme, une fille de chambre ou de ménage touche 15.000 FCFA. Alors que le ministre Secrétaire, le Général de la Présidence des pays l’Afrique Centrale, en plus de leurs salaires qu’ils reçoivent une prime de pétrole de plus 2 500 000 FCFA par jour [..] On serait tenté de se demander en quoi ceci est pertinent dans la discussion qui nous intéresse ? Eh bien, quand toute la richesse est concentrée aux mains de quelques uns, la monnaie ne circule pas dans toutes les couches de la société et même le plus entreprenant des citoyens ne trouve personne pour acheter ce qu’il produit. Pas de production pas d’emploi et même quand il y a des emplois, ce sont des emplois de 25 000 fcfa à 28.000 fcfa ! Le nombre de ceux qui ont des richesses pour acheter étant limité, ainsi que leurs besoins individuels, les basses couches de la société se contentent de survivre et non de vivre le temps qu’ils peuvent et de mourir silencieusement.

Le débat sur l'aide ou le commerce comme solutions à la précarité fait souvent référence au fait que la dignité des êtres exige qu'une solution durable implique l'épanouissement individuel et la possibilité de vivre sans avoir recours à une aide extérieure. Cette notion met aussi l'accent sur le fait que nombreux ne s'estiment pas faisant partie de la population fragilisée et ne ressentent pas le besoin d'exprimer une situation sociale précaire.

Ainsi les besoins des populations en situation précaire se font souvent entendre par l'intermédiaire des NGO ou autres médias associés.  L'organisation Panos a ainsi choisi d'interviewer directement les paysans du sud de Madagascar [10] [en anglais] sur leurs situations et de retranscrire leurs points de vue avec un filtre éditorial réduit au minimum. Voici la vidéo de ses entretiens menés de par le monde:

Les activistes passionnés de l’Afrique comme “continent sur la pente ascendante [11]” estiment qu’ il est important que le continent soit perçu comme une terre d'opportunité [12] et non plus comme d'une terre à problèmes. Dés lors que le postulat de départ de la solution se pose en termes de croissance économique et qu'un nombre limité seulement de personnes indigentes peuvent participer à la conversation sur la lutte contre la pauvreté, est-il alors encore souhaitable de débattre de la précarité en Afrique ? En d'autres termes, la conversation a-t-elle encore un sens si les personnes les plus touchées par ce fléau ne peuvent avoir leurs mots à dire et que le débat se limite à un échange d'idées entre technocrates ?

Seydina Oumar Touré note que chez les populations les plus démunies de Dakar, la perception du niveau de vie propre et de l'efficacité des programmes [7] de lutte contre la pauvreté diffèrent à plusieurs niveaux:

87% des ménages du quartile des plus démunis ont des niveaux des revenus en deçà de ce qu’ils estiment comme le minimum requis pour une vie décente [..] Pour la capitale sénégalaise, il s’avère que 12% seulement des individus estiment faire partie du quintile des plus pauvres. Ils ne sont que 30% à être réellement convaincus de l’efficacité des politiques. Les plus pauvres – censés être les principaux bénéficiaires des politiques – doutent autant que le reste de la population sur les résultats de la stratégie mise en oeuvre.

Isabelle, originaire de la république centrafricaine, tient à ne pas s'isoler du reste de la société [13], malgré sa situation financière précaire :

Pour ne pas tomber dans la dépression, Isabelle continue de s’engager dans diverses actions : active dans une démarche de partenariat entre femmes françaises et centrafricaines (qui échangent sur les difficultés rencontrées dans les deux pays), elle accueille aussi en tant que bénévole les migrants