Espagne : La banque gagne, le peuple perd

Ce billet fait partie du dossier de Global Voices sur l'Europe en crise.

(Billet d'origine publié en espagnol le 2 octobre 2012)

[liens  en espagnol] Il y a quelques jours, le cabinet de consultants Oliver Wyman, qui analyse la solidité (ou son absence) des principales banques espagnoles, a publié ses conclusions : les banques ont besoin de 52 milliards d'euros pour sortir de la situation précaire dans laquelle la bulle immobilière et la mauvaise gestion les ont placées. Comment ont-elles pu arriver à cette situation ? L'explication tient au fait que l'essentiel de la somme estimée doit être répartie entre BFA/Bankia (26 milliards d'euros), Catalunya Caixa (7,8 milliards), Novacaixagalicia (6,400 milliards) et Banco de Valencia (3 milliards).

Ces banques et caisses d'épargne qui connaissent actuellement une situation critique étaient traditionnellement contrôlées par les hommes politiques, qui non seulement les ont utilisées pour placer leurs amis et proches aux compétences douteuses à des postes de responsabilité et bien rémunérés, mais aussi comme une tirelire personnelle destinée à financer toutes sortes de projets pharaoniques dont le seul intérêt était généralement de permettre au politicard du moment de faire les grands titres dans la presse. L'occasion, pour plusieurs d'entre eux – et pour leurs amis – de remplir leurs caisses à l'abri dans un quelconque paradis fiscal.

José Mataestime pour sa part, sur Twitter :

Manifestations du 25-29 septembre à Madrid. Photo de la page Facebook de Redes Quinto Poder.

Manifestations du 25-29 septembre à Madrid. Photo de la page Facebook de Redes Quinto Poder.

@JMataMata: “NOUS AVONS vécu au-dessus de VOS moyens”. Commentaire d'un homme politque conseiller de l'établissement “Caja de Ahorros” (caisse d'épargne). #rescate #cajas #bancomalo

Le tweet d’Anibal Fernández donne une idée du sentiment général :

@anibalochevi: Ces messieurs se sont mal comportés et certains sont actuellement au gouvernement : est-ce une raison pour que les autres (nous tous) devions payer pour le #sauvetage ? Eh bien, ça n'est pas juste.

Les banques, à leur tour, sont responsables de la bulle immobilière pour avoir financé des entreprises du secteur qui ont construit à tour de bras dans le pays (alimentées, à leur tour, par les crédits inconsidérés que leur accordaient les banques allemandes). Ces mêmes banques ont ensuite accordé des crédits hypothécaires pour que ces maisons se vendent. Pressées de vendre et de faire de l'argent rapidement, elles ont fait crédit à des personnes occupant des emplois précaires, qui pouvaient difficilement supporter les échéances qui leur étaient imposées pendant toute la durée des hypothèques, courant sur 20, 30 ans ou des durées plus longues encore. Et ce n'était pas que pour un seul appartement : bien souvent, les banques ont poussé les gens à élargir leur crédit en achetant une deuxième résidence de vacances.

Ce comportement a eu deux conséquences : la première est, qu'en créant une demande quasiment fictive, le prix de l'immobilier a explosé en Espagne, au point de devenir l'un des plus chers de l'UE. La deuxième, qu'avec l'éclatement de la bulle immobilière, les banques se sont retrouvées avec un pourcentage élevé de leur capital investi dans des constructions qui sont actuellement pratiquement invendables et avec un nombre considérable de crédits extrêmement difficiles à rembourser, des familles qui ont cautionné leurs hypothèques avec leur propre appartement, et qui sont actuellement mises à la rue lorsque la banque saisit ces biens.

Cristóbal Montoro, Ministre du Budget, par Forges. Dessin du blog du parti Izquierda Unida-Almuñécar

“Comment osez-vous donc parler d'économie si vous êtes un des responsables de la bulle économique ?” “C'est parce que beaucoup d'entre vous continuent à voter pour moi”  Cristóbal Montoro, Ministre du Budget, par Forges. Dessin du blog du parti Izquierda Unida-Almuñécar

 

Actuellement, ces mêmes banques font appel au gouvernement – à tous les Espagnols – pour assainir leurs actifs. Entre 2010 et 2011, les gouvernements espagnols ont injecté 11 milliards d'euros dans ces banques, une somme considérée comme étant perdue, ce qui a entraîné une augmentation du déficit selon les aveux mêmes du Ministre du Budget, Cristóbal Montoro. Désormais, pour pouvoir continuer à injecter les sommes dont elles ont besoin, d'après Oliver Wyman, l'Espagne devra demander à l'Europe un sauvetage bancaire, ce qui signifie que l'État aura la responsabilité de rembourser ce crédit européen et, afin de faire face à cette dette et à ses intérêts, émettre une dette publique, qui va mobiliser une part considérable des budgets généraux de 2013. C'est la raison pour laquelle le gouvernement a fait des coupes sombres dans les budgets de la santé, de la culture, de l'éducation, etc.

Vicenç Navarro, professeur d'économie et de sciences politiques et sociales explique sur le blog Rebelión :

C'est le citoyen lambda, qui n'a pas la moindre responsabilité dans la création de la bulle immobilière, qui devra payer les pots cassés, intérêts compris. C'est une situation profondément injuste, car c'est maintenant l'État qui garantira le remboursement de la dette de ces banques à leurs créanciers. On peut difficilement concevoir un système plus injuste.

Ce qui aurait été juste aurait été de faire payer les banques pour leurs erreurs et de leur faire absorber leurs pertes. Ou au moins de mettre au point un accord entre les créanciers et les emprunteurs pour absorber les pertes. En revanche, désormais, c'est le créancier – national ou étranger – qui gagne toujours et ne perd jamais. Ensuite, s'il ne peut pas se faire payer à titre privé, c'est le citoyen moyen qui devra payer par l'intermédiaire de l'État.

C'est ce qu'on appelle sauvetage du système financier. Par ailleurs, une partie de cette dette privée est détenue par la banque étrangère (et essentiellement, la banque allemande) ce sauvetage financier est, comme ça été le cas en Grèce, au Portugal et en Irlande, un sauvetage de la banque allemande (et dans une moindre mesure, de la banque française). Par ailleurs, dans la cas présent également, si la banque ne paie pas la dette privée qu'elle détient, c'est l'État espagnol qui paiera. C'est la socialisation des pertes, qui consiste à rendre l'État responsable de la dette bancaire.

utopiacarmona apporte son commentaire :

En d'autres termes, l'État espagnol est devenu le principal garant des pertes de la spéculation financière. Il utilise tous les mécanismes et moyens à sa portée, y compris notre argent et nos droits, pour éviter que la banque perde le moindre euro qu'elle a misé, dans ce qui est supposé être une economie de marché libre. Libre, pour que les gens normaux perdent, libre, pour que les banques gagnent à tous les coups.

Y La Clave résume la situation ainsi :

Ils privatisent les gains et ils socialisent les pertes.

Ce billet fait partie du dossier de Global Voices sur l'Europe en crise.

1 commentaire

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