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Les Égyptiens veulent-ils vraiment l'argent du FMI ?

Catégories: Afrique du Nord et Moyen-Orient, Egypte, Economie et entreprises, Manifestations, Médias citoyens

[Liens en angalis et arabe] Peu après le début de la révolution égyptienne, des négociations furent entreprises pour un prêt du Fonds Monétaire International (FMI) au gouvernement égyptien. Le but des négociations était d'assurer un prêt qui soutiendrait l'économie chancelante de l'Égypte.

Depuis le début, les négociations ont subi des contretemps. Avant d'accéder au pouvoir, le parti islamiste Liberté et Justice (la branche politique des Frères musulmans) ainsi que le parti salafiste Al-Nour avaient dénoncé le prêt, citant même des raisons religieuses pour s'y opposer. À la suite de l'élection du président Mohammed Morsi,  [1]les négociations ont repris et la proposition d’un prêt de 3 milliards de dollars a même été augmentée à 4,8 milliards.

Ce prêt devait donner un regain de vitalité à l'économie et encourager les investissements étrangers, mais il a provoqué critiques et manifestations. Dans une lettre [2] envoyée au directeur exécutif du FMI et au premier ministre égyptien en novembre 2012, 18 groupes militants pour les droits humains, des partis politiques et des mouvements de jeunesse ont critiqué le processus de négociations. La lettre mettait l’accent sur l’échec du FMI et du gouvernement à assurer un processus transparent et inclusif ainsi que sur le manque de consultations publiques. Ils se demandaient aussi si le prêt allait vraiment améliorer le niveau de vie des Égyptiens, en particulier de ceux qui en auraient le plus besoin. 

Protest against IMF loan in Egypt

Des manifestants contre le prêt du FMI défilent au Caire avec des bannières disant: ‘Assez’ et ‘Renaissance est l'extermination des gens’,  allusion au projet Renaissance promis par M. Morsi. Photo Mohamen Ali Eddin, utilisée avec permission.

Lors de la venue de la délégation du FMI en novembre dernier, les protestataires ont exprimé dans la rue leur colère contre le prêt du FMI et leurs inquiétudes des possibles “mesures d'austérité” qui conditionnent habituellement un prêt. Diverses manifestations étaient organisées sous le mot d'ordre ‘Non au prêt. On veut savoir. C'est nous les décisionnaires’.

En effet, le président Morsi s'apprêtait à mettre en œuvre un programme d'austérité combinant augmentation des impôts et suppression des subventions. En réponse aux critiques véhémentes du public face à ces mesures, Morsi a décidé de les suspendre [3], avec pour effet de nouveaux retards dans la négociation du prêt.

Diverses initiatives sur médias sociaux ont aussi été utilisées pour mobiliser contre le prêt. Dans une vidéo produit par Mosireen, un collectif de médias sans but lucratif avec un fort accent activiste, Dr. Amr Adly de l'Initiative égyptienne pour les droits personnels, dissipe les mythes concernant le plan d'austérité (en arabe avec sous-titres en anglais). Les médias d'Etat et quelques groupes islamistes ont essayé de faire croire que les augmentations de taxes visaient les produits nocifs comme la cigarette et les boissons alcoolisées.

Le site web Drop Egypt's Debt [4] (‘Annuler la dette de l'Egypte’) est l'un des mouvements militants qui se sont ralliés contre le prêt et ont utilisé Facebook [5]Twitter  [6]et Youtube [7] pour sensibiliser à cette cause. Sur Twitter, les internautes ont mis en garde contre les conséquences de ce prêt pour les gens ordinaires. Sous le nom ‘Musulman mais pas Frère’ cet utilisateur de Twitter pestait:

#مرسى علشان يثبت حكمة لازم ياخد قرض , وعلشان يجيب القرض يزود الاسعار ويرفع الدعم ويخلى الفقر شعار المرحلة ,, يسقط حكم ابن الوسخة #مصر

@Egypt_077 [8]: Pour que Morsi fotifie son régime, il doit obtenir le prêt. Et pour obtenir le prêt, il augmente les prix et supprime les subventions et déclare que la pauvreté est le slogan pour la période à venir. A bas le fils de pute !

Mohammad Gramoun a ajouté:

#اقتصاد الإخوان: اللهث لتطبيق اشتراطات صندوق النقد الدولي دون حوار مجتمعي يعني الكارثة ثم الثورة الكبرى، اصلحوا هيكل الضرائب بدلا من زيادتها

@mgramoun [9]: L'économie selon les Frères Musulmans: s'empresser de mettre en place les conditions du FMI sans dialogue public ce qui veut dire désastre et révolution majeure. Réforme la structure des impôts au lieu de les augmenter.

Mettant leur créativité au service de la contestation, des artistes ont réalisé une vidéo musicale satirique (en arabe avec sous-titres en anglais) sur le prêt du FMI. La chanson s'est prouvée un grand succès et a en quelques jours amassé plus de 145000 vues.

Les relations entre le FMI et les gouvernements successifs de l'Egypte sont une longue histoire. Le blog [10] axé sur l'économie Rebel Economy en a produit une chronologie [11]. Quand le président Anwar Sadate a commencé a introduire les politiques néo-libérales ‘d'ouverture’ dans les années 70, le FMI et la Banque Mondiale ont ordonné la suppression des subventions sur les aliments de base qui ont conduit aux manifestations de masse connues sous le nom d’émeutes du pain [12]. La violente répression qui a suivi a fait 80 morts et des centaines de blessés.

'Your money increases our poverty' banner raised by protesters against IMF loan during IMF delegation visit to Cairo. Photo by Mohamed Ali Eddin [13]

Votre argent nous appauvrit’ dit l'affiche tenue par un manifestant lors d'une manifestation contre la délégation du FMI en visite au Caire. Photo par Mohamed Ali Eddin, utilisée avec permission.

 

 

Les critiques  [14]de certains observateurs de la fronde anti-FMI n'ont pas levé les inquiétudes et soupçons. Les prêts accordés à l'Egypte ont contraint le gouvernement à mettre en oeuvre certaines mesures économiques. Notamment, l'ajustement structurel appliqué dans les années 90 sous le règne de Hosni Moubarak a entraîné un cortège de politiques impopulaires : privatisation, dévaluation et suppression des subventions. Des mesures accusées [15] d'avoir causé un chômage massif et une pauvreté en hausse, figurant parmi les catalyseurs de la révolution égyptienne.