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L'opposant Michel Kilo : « Il reste un léger espoir pour une solution en Syrie »

Catégories: Afrique du Nord et Moyen-Orient, Syrie, Guerre/Conflit, Médias citoyens, Politique

Dans le cadre de notre collaboration avec le média en ligne Syria Deeply [1] nous publions une série de leurs articles qui donnent voix à des civils pris entre deux feux, ainsi que des opinions d'auteurs du monde entier sur le conflit. 

Opposant politique au président Bachar Al Assad, Michel Kilo [2] fait partie des dissidents syriens les plus connus. Il s'était notamment fait remarquer lors du Printemps de Damas [3] [en anglais comme les quelques liens du billet], qui vit durant quelques mois seulement de l'année 2000 s'épanouir la liberté politique et d'expression.

Michel Kilo a quitté la Syrie huit mois après le début de la révolution et vit aujourd'hui à Paris avec sa famille. Il a répondu aux questions de Syria Deeply sur Skype. Pour en savoir plus sur son parcours, vous pouvez visionner l’interview vidéo [4] au cours de laquelle il évoque son expérience de la prison, où il fut jeté en raison de ses activités politiques et dissidentes.

Syria Deeply : Supportez-vous officiellement la Coalition nationale syrienne ? Quelles sont, selon vous, ses forces et faiblesses ?

Michel Kilo : Je ne suis pas membre de la Coalition nationale syrienne, car je considère que le mouvement islamiste y est représenté de manière excessive et que cela l'affaiblit. Elle ne représente pas l'ensemble des diverses tendances des forces d'opposition, démocratiques et laïques notamment.

 

S. D. : Comment analysez-vous la situation sur le terrain de la guerre en Syrie ?

Michel Kilo

M. K. : Je perçois un lent changement en termes de relations de pouvoir entre l'opposition et le régime qui pourrait ouvrir sur de nombreuses possibilités de rebondissements inattendus. Cela inclut des gestes désespérés (de la part du régime d'Assad), comme par exemple l'utilisation d'armes interdites par la communauté internationale pour contrer sa perte de contrôle croissante du territoire syrien. Les combats ont par ailleurs progressé jusqu'à Damas où plusieurs organes du pouvoir sont assiégés.

 

S. D. : Gardez-vous un quelconque espoir d'une solution négociée ? Quel le meilleur scénario envisageable ?

M. K. : En effet, je conserve un léger espoir d'une solution négociée. Plusieurs membres du régime se sont démarqués d'Assad pour se rapprocher de l'opposition en acceptant l'idée d'une transition vers un système démocratique.

 

S. D. : Comment peut-on empêcher les sunnites et les alaouites de s'affronter ? Y-a-t-il seulement un moyen ? Un espoir ?

M. K. : Je ne vois pas comment on peut empêcher les heurts confessionnels sans un programme national impliquant l'ensemble des parties. Ce plan d'action multipartite n'existe pas pour le moment, l'opposition n'ayant pas su saisir l'opportunité de le mettre en place précédemment. Aujourd'hui, nous avons besoin d'un programme qui encourage tout un chacun à participer à un projet national commun, ce dans le but de couper l'herbe sous le pied aux conflits confessionnels sectaires ou, tout du moins, de tenter d'en réduire le risque.

 

S. D. : Pensez-vous que certains membres du régime actuel pourraient, ou devraient, conserver un rôle en Syrie dans le futur ?

M. K. : Oui, certains parmi ceux qui sont au pouvoir pourraient jouer un rôle dans la Syrie du futur… notamment ceux qui font défection et se détournent de la famille Assad pour rejoindre le peuple.

 

S. D. : Comment le régime d'Assad fait-il pour tenir aujourd'hui ?

M. K. : La résistance et la force dont fait preuve l'armée d'Assad sont liées au support de la Russie, de la Chine et de l'Iran, qui profitent du manque de fermeté des critiques énoncées à leur encontre par les Occidentaux. Rien ne s'opposent donc vraiment à leur implication qui est comme un feu vert à Assad pour opprimer son peuple et détruire la Syrie.

 

S. D. : Pensez-vous que le régime d'Assad serait vraiment capable d'utiliser des armes chimiques pour assurer sa survie ?

M. K. : Absolument. Il ne respecte ni les vies, ni les droits des êtres humains – sinon, il n'aurait pas entrepris de détruire son pays – et il ne fait aucun doute qu'il pourrait avoir recours à n'importe quelle sorte d'armement, y compris les armes chimiques.

 

S. D. : Comment Assad peut-il s'en sortir selon vous ?

M. K. : J'ai peur que la crise destinée à renverser le régime change de nature pour se transformer en guerre civile et chaos politique et meurtrier. Par ailleurs, il ne faut pas oublier que la Syrie est un champ de ruines et que beaucoup de gens sont sans domicile, souffrent de la faim ou bien ont été déplacés. Tout cela ne peut qu'encourager le chaos.

 

S. D. : Quelle est votre plus grande crainte en ce qui concerne l'avenir proche de la Syrie ?

M. K. : Assad veut remporter une victoire irrévocable sur son peuple, c'est le but de la guerre engagée il y a bientôt deux ans. Toutes les formes de solution politique proposées par l'opposition sont dans ce cadre exclues ; il s'imagine qu'il peut encore gagner la guerre.

 

S. D. : Que doit faire la communauté internationale pour aider la Syrie ?

M. K. : La communauté internationale devrait faire des propositions claires, concrètes et applicables en vue de mettre un terme à la tuerie en cours en Syrie et chercher sans plus attendre une solution politique à la crise. Les grandes puissances ont fait preuve de leur incapacité à faire quoique ce soit, elles ont abandonné leurs responsabilités en prenant pour prétextes la faiblesse de l'opposition et les divisions de la société syrienne.

 

S. D. : Si vous pouviez demander au président américain Obama d'opérer un changement dans la politique menée à l'égard de la Syrie, quel serait-il ?

M. K. : Je lui demanderais de veiller à ce que je ne cesse de répéter : à savoir que la politique américaine doit s'appuyer sur le respect des droits de l'homme, partout dans le monde.

 

S. D. : La communauté internationale devrait-elle mettre en place une zone d'exclusion aérienne au-dessus du nord de la Syrie ? Doit-elle intervenir pour empêcher les forces d'Assad d'utiliser les voies aériennes ?

M. K. : Je ne pense pas que cela soit nécessaire. Les Syriens ont prouvé, tout au long de ces deux années, qu'ils étaient capables de défendre leurs foyers sans intervention extérieure et grâce au minimum d'armement requis pour la victoire. Leur liberté ne dépend plus des pays étrangers. Ils pensent d'ailleurs que les nations occidentales ne souhaitent pas le départ d'Assad et que celui-ci restera en place jusqu'à la destruction totale de ce qui fait la société syrienne.