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Salvador de Bahia, des vélos pour la ville

Catégories: Amérique latine, Brésil, Cyber-activisme, Développement, Droits humains, Environnement, Idées, Médias citoyens, Sport

Le mouvement international Massa Crítica [1] ou Bicicletadas [2] (dénomination populaire dans les pays de langue portugaise), est devenu tendance chez les Brésiliens du fait de la saturation en automobiles des grandes villes. A Salvador, Thiana Biondo, correspondante de Global Voices, a essayé d'en savoir plus sur Bicicletada Massa Crítica [3]. Elle nous offre ensuite des moments de la première partie de sa rencontre avec Roques Junior, un étudiant en urbanisme à l'université de l'Etat de Bahia, et avec Rosa Ribeiro qui prépare un doctorat d'architecture et d'urbanisme à l'Université fédérale de Bahia.

Global Voices (GV) : Quand avez vous commencé à pédaler dans la ville de Salvador ?

Roque Júnior (RJ) : J'habite à Salvador depuis plus de 20 ans et j'y pédale depuis 10 ans. Quand j'ai commencé à pédaler ici, je n'avais pas encore pris conscience des problèmes de cette ville, du trafic, et de tous le reste, que j'ai compris et étudié après de façon empirique avec un ami. Je roulais avec lui, mais jamais de longs parcours, j'allais faire un truc ici ou là  dans le centre ville ou les quartiers proches, jamais sur des routes très encombrées, je n'avais pas encore pris conscience du moyen de déplacement que l'on appelle le vélo. Le virage a eu lieu il y a environ trois ans. Un changement dans mon lieu de travail quotidien. 15,5 km à faire du quartier Barra jusqu'au quartier Imbuí. Ce changement m'a beaucoup ennuyé, des histoires de bus, la voiture qui me tentait pas beaucoup…Un beau jour, j'ai eu envie de tenter l'aventure, de tester l'itinéraire pour voir ce que ça donnait. J'ai vu qu'il n'y avait pas de problème parce que le parcours n'était pas celui que la voiture ou le bus prendrait. Je roulais presque toujours sur la “Orla” (boulevard de bord de mer à Salvador) ou sur une piste cyclable. Je m'habituais physiquement à le faire quotidiennement, le vélo est devenu ainsi pour moi un véritable moyen de transport.

Imagem da página de Facebook Bicicletada Salvador Massa Crítica (com 5.302 likes) [4]

Image sur la page Facebook Bicicletada Salvador Massa Crítica [4] (5.302 likes)

 

Rosa Ribeiro (RR) :

J'utilisais déjà le vélo à Pituaçu [5], j'avais l'habitude d'emmener mon vélo dans la voiture jusqu'à Pituaçu ou jusqu'au boulevard du bord de mer (la Orla). J'utilisais le vélo comme un loisir, mais mon virage (rire)  pour parler comme Roque, a été pris il y a 7 ans. En 2004, j'ai commencé à travailler sur ma thèse de doctorat (TFG) à la faculté d'Architecture. Je suis tombé en panne sur la route, et j'ai demandé de l'aide à des personnes qui ont réussi à sortir ma voiture de la Paralela [6] et la faire entrer dans le Bairro da Paz [7] (quartier de la paix). Cette mésaventure a été l'occasion d'une prise de contact avec les gens qui m'ont aidée, on a parlé, et j'ai fini par me dire que j'avais trouvé là le sujet de ma thèse. J'ai commencé alors à déambuler dans ce quartier, à observer tout….J'ai vu passer dans ce coin des tas de gens à bicyclette, des adultes et des enfants. J'ai demandé à quelqu'un où allaient tous ces vélos : une rencontre, une compétition, un parc du coin ?  Il m'a répondu : “Non, je n'ai entendu parler de rien de tout ça….” Par la suite, j'ai appris en m'adressant à ceux qui semblaient utiliser quotidiennement leur vélo que c'était tout à fait habituel et qu'ils utilisaient ce véhicule comme leur moyen de transport principal.

Bicicleta em Piatã, Salvador da Bahia. Foto de DavidCampbell_ no Flickr (CC BY-NC 2.0) [8]

Bicyclette à  Piatã, Salvador de Bahia. photo de DavidCampbell_ sur Flickr (CC BY-NC 2.0)

Ils faisaient de grands déplacements dans la ville. Et, fait remarquable, ce qui au début n'était que l'occasion d'économiser le coût du transport, est devenu la transformation de celui-ci en une monnaie échangeable contre du pain, du gaz et bien d'autres choses… Mais il y avait encore autre chose qui les poussait à faire cela. Dans la ville de Salvador le vélo est un moyen de transport plus souple et beaucoup plus rapide que la voiture. Emerson, une des premières personnes que j'ai interrogées, allait du Bairro da paz (quartier de la paix) à Sete Portas (les sept portes) en 35 mn, quel est aujourd'hui le bus ou la voiture capable de faire ce parcours en 35mn ? A cette époque, ceux qui se déplaçaient à vélo dans Salvador et, je le pense, dans les grandes villes brésiliennes, appartenaient aux populations à bas revenus et étaient fortement stigmatisés.

GV: J'ai bien compris que vous souhaitiez inciter la population à utiliser le vélo comme moyen de transport. De quelle façon envisagez-vous de promouvoir ce choix ? Par Facebook ou d'autres moyens de communication, par des rencontres ? Comment fonctionne le militantisme pour un “vélo mondial” ? 

 RJ : Il y a environ 3 ans, quand j'ai commencé à utiliser le vélo comme moyen de transport, j'ai également commencé à chercher de la documentation sur internet, dans des blogs, dans divers sites d'information… C'est incroyable de voir comment, quand on commence à s'intéresser à quelque chose, on rencontre facilement des personnes qui s'y intéressent aussi. J'ai donc rencontré quelques personnes, on a échangé des idées.

Un jour, je suis tombé sur un blog d'Eduardo Luedy qui venait d'ajouter un post où il racontait un incident survenu dans l'avenue ACM [9] où il avait été poussé hors de la route par un bus roulant à vive allure. Je l'ai publié sur Facebook. Je me suis senti un peu gêné de l'avoir fait. Mais j'étais en même temps assez satisfait d'avoir trouvé cette histoire qui montrait très bien tout ce qui est susceptible d'arriver dans la rue à des cyclistes. J'ai conservé ce témoignage pour l'utiliser dans pas mal d'endroits. J'ai fait une liste de courriels des personnes qui n'étaient pas des amis mais des sympathisants à cette cause, qui se déplaçaient à vélo. Cette liste s'est vite démultipliée et je crois que ça a été un pas en avant important pour la création de “Bicicletada Salvador Massa Crítica“.

 

"Ontem, por volta das 14:00, um motorista de ônibus, na av. ACM, quase me atropela." O relato de Eduardo Luedy em seu blog, De Velo em Salvador, em agosto de 2010. [9]

“Hier au environ de 14 h un conducteur de bus m'a quasiment heurté sur l'avenue ACM”
Un récit de Eduardo Luedy sur son blog, A vélo dans Salvador, août 2010

GV : Il y a combien de personnes actives dans cette organisation ?

RJ : Pendant un moment, au début, on a été environ 15 personnes pour organiser des réunions, faire les propositions et les affiches. Aujourd'hui pour la Bicicletada ici à Salvador il y a  plus de 90 personnes les jours où nous organisions quelque chose.

RR : Actuellement, c'est grâce a un effort personnel important que cette formation de 90 personnes a pu être maintenue depuis quelques mois, quasiment un an. La bicyclette est un phénomène social. Je ne sais pas si les gens iront beaucoup vers le militantisme. Je pense qu'il existe un désir chez beaucoup le rouler à bicyclette et d'être identifiés comme tels. Il y a un renouvellement très important et aujourd'hui les gens organisent des “Bicicletadas” qui rassemblent autour de 25 personnes.

Bicycletada Salvador” existe depuis 2010. On a annoncé pour la capitale de l'état de Bahia le projet Cidade Bicicleta [10] : un réseau de pistes cyclables de plus de 200 km. Ce projet va-t-il se réaliser, sera-t-il un symbole d'orgueil pour les Bahianais ou une honte nationale (comme le métro [11] qui après dix ans n'est toujours pas entré en service), nous le saurons dans les mois qui viennent. Dans la deuxième partie de l'entretien, Roque et Rosa nous feront mieux connaître la politique publique des déplacements à Salvador.