Conversation en Syrie : “Hier, j'ai déserté l'armée d'Assad”

Dans le cadre de notre collaboration avec Syria Deeply [anglais], nous publions une série d'articles qui donnent la parole à des civils syriens pris entre deux feux, ainsi que des opinions d'auteurs du monde entier sur le conflit.

Ci-dessous, nous publions une conversation entre News Deeply et une jeune homme de 20 ans qui a déserté la base militaire de l'Armée Syrienne de Sulas et rejoint les rebelles. À sa demande, nous ne dévoilerons pas son nom dans cet article.

Nous nous sommes rencontrés dans une maison utilisée par l'Armée Syrienne Libre au creux des montagnes du Jebel Turkman, dans la province de Lattaquié. Tandis que des bombes font tinter les fenêtres, il nous éclaire sur l'état d'esprit complexe partagé par de nombreux soldats de Bachar al-Assad : des jeunes hommes forcés à participer à des missions militaires obligatoires, et attendant désespérément de rejoindre l'opposition.

“C'est la première fois que je vois un journaliste ou un Américain” dit-il timidement. “J'ai été dans l'Armée syrienne pendant un an. Dès le début, j'ai voulu déserter — quand j'ai vu l'Armée Syrienne Libre grossir. Avant que je la rejoigne, je pensais que la révolution allait finir et qu'Assad gagnerait.”

Il dit qu'un garde shabiha [voyou du régime] est assigné à chaque nouveau soldat, pour s'assurer qu'il ne déserte pas. Ceci après une récente vague de désertions qui a apparemment effrité la confiance en l'armée.

“Les soldats, ils ont peur de l'Armée Syrienne Libre. Un grand nombre d'entre eux voudraient déserter, mais les shabiha restent avec nous, ils nous observent comme des gardes de sécurité afin que nous ne partions pas.”

La destruction de Douma, Damas. Photo de Shaam News Network

Les jeune soldats en parlent à peine entre eux.

“Je ne parlerais de ça qu'avec ma famille. Je ne pourrais pas en parler avec les autres, bien que nous voulons tous partir. Ma famille est à Damas, et ils sont tous avec la révolution. Ils sont contents que j'aie quitté l'armée.”

Il n'a jamais voulu tuer des rebelles, qu'il soutenait secrètement, et dit que certains soldats de l'armée ont adopté des tactiques visant à éviter de causer des lésions sérieuses.

“Je ne le ferai jamais [tirer pour tuer]…Je tirerai en l'air, je tirerai sur n'importe quoi, sauf sur les combattants. Beaucoup font ça – les gars qui surveillent ne s'en aperçoivent pas.

“Les officiers ont le pouvoir et continuent de dire “nous gagnerons, nous rentrerons chez nous [après avoir gagné]”. Mais les combattants, eux, savent que ça approche.”

Il a passé la plupart de son temps dans l'armée à Idlib, et a été stationné dans les montagnes de Lattaquié ces deux derniers mois. Pendant ce temps-là, dit-il, “Je n'ai jamais eu de vacances. Je ne suis jamais allé en ville.”

Avant qu'il ne soit amené à l'intérieur de la maison pour notre entretien, je m'étais inquiété de ma sécurité en sa présence. Comment le chef du bataillon de l'ASL qui nous a présentés pouvait-il garantir que son nouveau combattant n'était pas en fait un agent double, communiquant au régime des informations sur nous ? “J'ai discuté avec son père à Damas” me dit le chef. Essayant de me rassurer, il dit qu'étant donné la sécurité en vigueur sur la base du régime, et la configuration du terrain, seuls les hommes les plus déterminés réussissent à s'échapper. Il dit : “c'est très très difficile de déserter.”

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