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Thaïlande: Un rédacteur en chef condamné à 11 ans de prison pour lèse-majesté

Catégories: Asie de l'Est, Thaïlande, Droit, Droits humains, Gouvernance, Liberté d'expression, Média et journalisme, Médias citoyens, Politique

C'est dans la consternation [1]qu'une salle d'audience bondée a accueilli le verdict de la Cour Pénale de Bangkok condamnant Somyot Prueksakasemsuk à 11 ans de prison ferme. Le rédacteur en chef de Voice of Taksin, engagé dans la lutte pour les droits des travailleurs, était jugé pour lèse-majesté. Le verdict de culpabilité, et a fortiori la sévérité de la peine [2], ont causé l'indignation. Alors que la peine maximale pour lèse-majesté est de 15 ans, les affaires précédentes avaient donné lieu à des peines de prison plus courtes. Somyot n'a pas eu cette chance : il a été condamné à 5 ans de prison ferme pour chacun des deux délits dont il a été jugé coupable, ainsi qu'une année supplémentaire, correspondant à une année de sursis transformée en prison ferme, dont il avait écopé en 2009 sous un autre chef d'accusation.

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Somyot escorté hors de la Cour Pénale après sa condamnation à 11 ans de prison ferme. Photo de Lillian Suwanrumpha, Copyright @Demotix (23 janvier 2013)

C'est une vraie déception pour Somyot, qui était semble-t-il optimiste quant à ses chances d'être blanchi car il était persuadé de n'avoir commis aucun délit. Prachatai rapporte [4]qu'un ami de Somyot détenu en Thaïlande dans la prison où Somyot a passé 20 mois, avait révélé l'espoir entretrenu par l'accusé de voir la Cour honorer la justice et “prendre la bonne décision”. Son avocat va faire appel du jugement de la Cour Pénale et demander une libération sous caution. L'optimisme de Somyot provient de la nature des délits dont il est accusé. Il était rédacteur en chef du magazine politique Voice of Taksin(interdit de publication depuis 2010), dans lequel ont été publiés en 2010 deux articles qui auraient enfreint la loi sur la lèse-majesté. Il a été mis en examen en 2011, s'est vu refuser 12 fois une libération sous caution, et a finalement été condamné le 23 janvier 2013. Les articles étaient publiés sous des pseudonymes et ne mentionnaient pas directement la monarchie. Cependant, la Cour a tranché que la cible des articles était claire et qu'en tant que rédacteur en chef, Somyot devait connaître la portée de ses publications mais avait malgré tout choisi de les approuver.

“La procédure pénale a montré que les articles publiés par M. Somyot ne contenaient pas une opinion académique sur la monarchie. Il étaient insultants par leur nature même et ont causé du tort au Roi” selon le Juge Thawee [5].

Ce verdict a été abondamment critiqué par les groupes de défense des droits humains en Thaïlande et à l'étranger et par les agences de presse internationales. En Thaïlande, en revanche, la nouvelle a reçu une couverture plutôt sobre de la part des médias traditionnels. Les réactions des internautes au verdict de l'affaire Somyot ont été, comme par le passé, divergentes. Certains pensent qu'il n'a eu que ce qu'il méritait pour avoir continué de s'exprimer ouvertement contre l'article 112 [6]. Sur le forum du Bangkok Post, mitrapaap a écrit [7]:

Il encourait une peine avec sursis. Il savait fort bien quels étaient les risques s'il ne se taisait pas. Il faut faire ses choix selon les lois en vigueur, que cela vous plaise ou non. On ne change pas les lois en les enfreignant.

ploydonut a ajouté [7]:

La Thaïlande est un bon pays, et les mauvaises gens qui insultent notre pays, nos institutions et commettent des délits, devraient être mis derrière les barreaux de longues années.

Khon Thai Hua Jai Singh a écrit [8]sur le forum du Manager:

Aux partisans du mouvement anti-monarchique : si vous trouvez que la Thaïlande n'est pas un bon endroit pour vivre à cause de la monarchie, alors quittez notre pays bien-aimé, ce pays qui révère son roi. Ou, si vous croyez que vous avez été trompé par le délinquant avéré M. …. C'est le moment de changer d'avis. Il n'est pas trop tard pour cette société et votre famille vous pardonnera pour ce que vous avez fait. Il faut choisir votre camp.

A l'inverse, les groupes de défense des droits humains, en Thaïlande et à l'étranger, ont condamné le verdict et certains affirment que la sévérité de la peine infligée à Somyot peut être imputée au fait qu'il était également un activiste en faveur d'une réforme [9]de l'article 112.

“10 ans, c'est une peine trop lourde pour quelqu'un qui a une opinion différente des autres. Respecter la diversité d'opinions et de valeurs est une chose que notre société doit apprendre” affirme [10] un activiste thaï.

Luk Chaona Thai a posté [11]ce commentaire sur le forum Prachatalk:

Le jugement de culpabilité de Somyot constitue un emprisonnement pour libre pensée. Il est naturel que les êtres humains aient divers points de vue sur les sujets de société et on doit être capable de vivre dans une société où les gens ont différentes opinions.

La plus grande déception, bien qu'elle ne soit pas surprenante, est l'absence de réaction du gouvernement Yingluck. Après tout, cette affaire concerne le magazine pro-Thaksin [12] qui a donné naissance à la publication des “chemises rouges”, Red Power [Le mouvement dit des chemises rouges est proche de l'ancien Premier ministre, Thaksin Shinawatra [12], le frère du Premier ministre actuel, Yingluck Shinawatra [13]]. Le Président de l’UDD [14] (Front national uni pour la démocratie et contre la dictature), Thida Thavornseth, était présent lors du procès de Somyot et plusieurs groupes de “chemises rouges” ont organisé des activités de soutien [15] à la campagne “Libérez Somyot”. Pourtant, comme on pouvait s'y attendre, le parti au pouvoir, le Pheu Thai, n'a aucune intention d'intervenir dans cette affaire. Comme le souligne [16]le Professeur Duncan McCargo:

Yingluck Shinawatra se livre à un délicat numéro d'équilibre pour préserver le contrat politique qui la maintient au pouvoir – et cela implique de garder de son côté les institutions conservatrices du pays, dont la monarchie, les instances judiciaires et l'armée.