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One Billion Rising : Les danses des femmes

Catégories: Europe de l'ouest, Egypte, Etats-Unis, France, Inde, Liban, Royaume-Uni, Ukraine, Droits humains, Femmes et genre

Aujourd'hui 14 février a lieu un mouvement féministe médiatique de grande ampleur, One Billion Rising [1] [en], très suivi sur Twitter grâce au hashtag #1BillionRising [2]. Le site de cette campagne en appelle aux femmes du monde entier :

Pour le 15ème anniversaire du V-Day [Journée contre la violence], le 14 février 2013, nous invitons un milliard de femmes et ceux qui les aiment à marcher, danser, se lever et demander la fin de cette violence. One Billion Rising va émouvoir la terre, activant femmes et hommes à travers chaque pays. V-Day veut que le monde voit notre force collective, notre nombre, notre solidarité à travers les frontières.

 

Affiche de la journée One Billion Rising Franc

Affiche de la journée One Billion Rising France

One Billion Rising [1], projet profondément humaniste, s’est fixé pour but de secouer le monde vers une nouvelle conscience [shake the world into a new consciousness [3]], par l’expression corporelle et quasi-rituelle de la marche et la danse,  pour réintroduire dans la conscience humaine la force et l’intégrité féminine radicale.

Une nouvelle conscience de la violence

Dans son livre J'ai tué Schéhérazade : Confessions d'une femme arabe en colère, (Actes Sud 2010, p. 57) contant son parcours de femme militante, Joumana Haddad [4] écrit :

Un ami m'a demandé un jour : “Quel est ton endroit préféré dans le monde ?”…”Ma tête.”

Voici une réponse toute simple qui peut paraître trop facile à bon nombre mais qui décrit pourtant un combat encore non résolu.

En Egypte par exemple, les femmes ne se laissent pas faire [5] [fr], et encore aujourd'hui – deux ans après le soulèvement populaire contre le régime politique – des marches ont lieu à Tahrir contre les harcèlements [6] [en] dont elles sont victimes. Selon le témoignage de Laurie Penny sur son blog [7] [en], depuis la place Tahrir :

‘Nous les jeunes allons libérer l'Egypte’ – marche contre le harcèlement sexuel, 6 février 2013

En Inde, si des manifestations ont régulièrement lieu pour dénoncer la normalisation des agressions quotidiennes, c'est le viol collectif à Delhi [8] en décembre 2012 qui a enflammé les foules [9] et attiré l'attention des médias.
En France, l'opinion se passionne pour les Femen, ce groupe d'activistes ukrainiennes qui manifestent torse nu à travers toute l'Europe aussi bien dans le cadre du mariage pour tous que dans celui des lois concernant la prostitution.
Sur Twitter, les opinions divergent. Les anonymes ne sont pas unanimes mais l'information circule : les marches sont rapportées en direct, on témoigne, on s'insurge, on questionne et on transmet son ressenti et son expérience personnelle. Cette violence s'inscrit dans un rapport agressif au corps et survit bien après, comme en témoigne Mona Eltahawy dans une interview [10] :

J'ai été battue et agressée sexuellement, alors quand je parle de misogynie et de haine des femmes, je l'ai expérimentée personnellement sur mon corps. C'est le point central de ma rage.

Les violences quotidiennes faites aux femmes [11] [fr] ne sont pas restreintes à une seule catégorie : elles touchent toutes les femmes, toutes les couches socioprofessionnelles, toutes les cultures ; des femmes aborigènes du Bangladesh [12] [fr] jusqu'aux communautés numériques, comme l'écrit Asher Wolf sur son blog [13] [en] :

L'inégalité ne fait pas irruption de nulle part. Et les femmes ne se retirent pas seulement des communautés de hackers à cause de cette rhétorique fatiguée “les maths et le hacking sont des affaires de garçons.” Non, les femmes restent en dehors des hacker-spaces, des conférences et des projets technologiques à cause des expériences continuelles de misogynie, d'abus, de menaces, de rabaissements, de harcèlement, de viol.

Les voix portent si loin que les médias décrivent un phénomène visuel, un mouvement radical et mentionnent une révolution en marche.

 “Les femmes ne savent toujours pas prendre leur espace”

Pourtant, les femmes réunies dans le cadre de la performance artistique Silver Action, le 3 février 2013, par Suzanne Lacy au Tate Modern en Angleterre [14] [en], ne semblent pas de cet avis. Lors de cette performance, des centaines de femmes britanniques, âgées de plus de 60 ans, ont transmis leurs ressentis par le biais d’une performance orale relayée sur Twitter par des auditrices/eurs invité/e/s, et ont témoigné de leur rôle actif au sein des manifestations féministes des années 50 à 80, dévoilant des avancées en matière de droits mais également des similitudes entre hier et aujourd'hui.

Sur Twitter, les auditrices rapportent les propos, par exemple de @leepster [15] [en]:

“Mon fils a des amitiés avec des femmes, qui ne sont pas sexuelles. Avant c'était inconcevable” #Silveraction me fait réaliser ce que je prenais pour acquis.

@ahaworthbooth [16] [en] :

“Les hommes ont changé, et nous devons continuer à les encourager à poser les mêmes questions que nous posons” – à propos du pouvoir et du statu quo #SilverAction

@JulieTomlin [17] [en] :

“Les femmes jeunes ont des téléphones portables mais elles ont l'air d'être aussi ignorantes que nous l'étions…”

@JoannaSawkins [18] [en] :

Les femmes ne savaient toujours pas prendre leur propre espace. Ce fait est effrayant #silveraction

La question de la transmission intergénérationnelle militante s'est également posée car si les femmes ont au fil des années obtenu plus de libertés, le problème fondamental auquel elles se trouvent encore aujourd'hui confrontées demeure le même : quelle place doivent-elles occuper ?

Cette question n'est pas anodine puisque les termes d'espace et d'occupation sont au cœur des expressions populaires actuelles, comme en témoigne la branche féministe du mouvement Occupy [19] [en].

 

Se réapproprier son corps

Illustration de Chili Con Cacahuete, utilisée avec autorisation.

Illustration de Chili Con Cacahuete, utilisée avec autorisation.

Prendre possession de son espace, pour une femme, c'est en premier lieu se réapproprier son propre corps (avortement, prostitution [20] [fr] et sexualité, par exemple). Exister en tant qu'être humain, c'est d'abord pouvoir être présente en tant que moi, pour reprendre le mot de Joumana Haddad. En France, l’homme contrôle sa terre, ses meubles, ses enfants et sa femme jusqu’en 1793, année qui voit proclamer l’égalité de cette dernière dans le mariage. Jusqu'en 1793, le corps de la femme est donc un objet appartenant juridiquement à l'homme, tel un meuble. Après 1793, si l'égalité dans le mariage lui reconnaît une première valeur, son statut d'être humain à part entière n'en demeure pas moins conditionné par son rattachement à l'homme. Les mentalités n’évoluant que très lentement, dans le Code Civil de 1802, la femme est encore une « incapable civile ». Incapacité qui ne sera supprimée qu’en 1938.
Ce corps de femme comme objet appartenant à l'homme n'est pas restreint à la seule société française. Martine Costes Peplinski [21] [fr], sexologue, aime à commencer ses conférences avec une référence à un conte populaire :

Schérazade, voilà des années que je raconte cette histoire pour introduire mes exposés sur la violence conjugale : comment les femmes ont dû – faute de pouvoir civil, civique et économique – développer ce savoir-faire conjugal que les hommes ont longtemps nommé : « le pouvoir sur l’oreiller ». Utiliser les quelques heures partagées pour obtenir par mille habiletés et stratagèmes ce que le droit vous refuse.

 

Dans les Mille et Une Nuits [22], Schéhérazade se porte volontaire pour faire cesser le massacre perpétré par le roi de Perse, Shâhriar qui, persuadé de l’infidélité de toutes les femmes, épouse chaque jour une vierge qu’il tue au matin de la nuit de noces. Schéhérazade, pendant mille et une nuits, lui raconte un conte qui le tient en haleine, repoussant son exécution.
Il est question pour cette femme de conserver l'intégrité de son corps, c’est-à-dire le contrôle sur sa vie. Si l’on peut aujourd’hui taxer ce roi de tyran et de fou, le texte n’en relate pas moins le recours, de la part de Schéhérazade, à une imagination quotidienne qui reste la même que celle à laquelle doit encore aujourd'hui faire appel chaque femme prisonnière d'une relation abusive. Il peut s’agir de mécanismes d'évitement de tous genres, de la soumission à l’indignation ou la rage, pour reprendre le terme de Mona Eltahawy.

Il n'en a pourtant pas toujours été ainsi, rappelle Martine Costes Peplinski (dans son livre Nature, culture, guerre et prostitution, 2002) en s'appuyant sur des données archéologiques et ethnologiques. L'homme, raconte-t-elle, a pris conscience de son rôle fécondateur et par là même de la gravité de sa paternité au cours du Néolithique [23] : s’il peut être certain que la femme est la mère de l'enfant qu'elle porte, comment l'homme peut-il être sûr de sa propre paternité ? Si ce n’est en possédant ce corps.

R-évolution globale

Aussi la lutte contre les violences faites aux femmes s’inscrit-elle depuis toujours sur deux axes : celui d’une réappropriation corporelle et spatiale, et celui d’une r-évolution humaine globale. Parce que les hommes ne sont pas les seuls à procéder à ces violences, mais également parce que – par transfert – les femmes ne sont pas les seules à les subir.

C'est le point de vue de Joumana Haddad dans son article de blog intitulé Boys against men [24] [en]:

Ce dont nous avons besoin maintenant, en parallèle à la révolution féminine, ce n'est pas moins qu'une révolution masculine : une révolution radicale, structurelle, non-violente, non-sloganistique, ce qui pourra promouvoir une relation plus mature et accomplie entre les deux sexes. Et ce faisant, messieurs, souvenez-vous simplement de ceci : le machisme ce n'est pas les hommes contre les femmes. Ce sont les garçons contre les hommes.