Des Ethiopiens emprisonnés pour avoir protesté contre l'édification d'un Mémorial au “Boucher de l'Ethiopie”

43 manifestants ont été arrêtés en Éthiopie pour avoir protesté contre un monument financé par des fonds publics dans un petit village italien, érigé à la mémoire de Rodolfo Graziani, un général italien sous le dictateur fasciste Benito Mussolini et dont les atrocités pendant la guerre lui ont valu le surnom de “boucher de l’Éthiopie”.

Les autorités ont affirmé que les manifestants n'avaient pas eu l'autorisation de manifester et encerclé l'assistance à peine s'était-elle rassemblée devant l'ambassade d'Italie à Addis-Abéba, la capitale du pays le 17 mars 2013. Les manifestants ont été contraints de passer la nuit en prison jusqu'à leur libération le lendemain.

Rodolfo Graziani, le Boucher d'Ethiopie. Image du domaine public

La construction d'un mausolée et d'un parc à la mémoire du Général Graziani dans le village italien de Affile, inaugurés en août 2012, a touché une corde sensible en Éthiopie. Commandant militaire impitoyable, Graziani a dirigé l'invasion italienne de l’Éthiopie en 1935. Au cours de l'année, il avait vaincu les forces éthiopiennes et le pays est devenu une colonie italienne.

Après une tentative d'assassinat en 1937 par deux résistants locaux, Graziani avait ordonné le massacre de milliers d’Ethiopiens.

C'est la première protestation contre le mémorial en Éthiopie. Befeqadu, un blogueur et traducteur de Global Voices en amharique, qui était l'un des manifestants détenus, a publié le récit de son bref séjour dans l'une des prisons insalubres. Il a réfuté les allégations selon lesquelles la police n'était pas informée de la manifestation [amh]:

የተቃውሞ ሰልፍ ለማድረግ የሚያስፈልገው ቅድመ ሁኔታ ለመስተዳድሩ ማሳወቅ ሲሆን፣ መስተዳድሩ ደግሞ በ24 ሰዓት ውስጥ ‹‹አይሆንም›› የሚል ደብዳቤ ካልጻፈ እንደተፈቀደ ይቆጠራል፡፡ ስለዚህ ሰልፍ ማድረጉ ሕጋዊ ስህተት የለበትም፣ ጉዳዩ ባንድ ጀምበር የተወለደ ሳይሆን ጋዜጦች ዜና የሰሩለት፣ ቁጥቦቹ ሬድዮዎች ሳይቀሩ ያወሩለት ጉዳይ ስለሆነ ወንጀል ነው ፍርድ ቤት ሊያቀርቡት አይችሉም/አይገባቸውምም፡፡

L'un des critères pour organiser une manifestation pacifique est d'informer l'administration municipale. Mais si l'administration ne parvient pas à informer les organisateurs du refus d'autoriser la manifestation par lettre dans les 24 heures,  on peut supposer qu'elle autorise la démonstration. Donc, il n'y a pas de faute en maintenant la manifestation pacifique. Après tout, cette manifestation n'était pas inattendue. Elle a été annoncée par certains médias locaux. Ils savent que ce n'est pas un crime passible de poursuites devant un tribunal.

Dans le billet d'un blog largement diffusé, l'avocat Kiflu Hussain a critiqué la réaction des autorités éthiopiennes contre la manifestation:

Pouvez-vous imaginer le gouvernement israélien être indifférent si les Allemands décidaient d'ériger un monument à Adolf Eichmann ? À l'heure actuelle, nous, Ethiopiens, non seulement nous avons des dirigeants “éthiopiens” indifférents. Mais, depuis mai 1991, nous avons un tas de vendus au Palais Menilik [palais, voisin du parlement à Addis-Abeba, construit par l'empereur Ménélik] qui remplissent les ordres de nos pires ennemis, dont certains ont été mis à l'index par l'histoire comme ayant commis des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité. Pas plus tard qu'hier, 17 mars 2013, le régime éthiopien a encerclé en face de l'ambassade d'Italie à Addis, des manifestants qui tentaient de protester pacifiquement contre l'érection d'un monument à un criminel fasciste.

Le blogger caricaturiste en exil Abetokichaw a ajouté [amh] :

ጣሊያንን የተቃወሙ ኢትዮጵያውያን በገዛ መንግስታቸው ታሰሩ እኔ የምለው… እንዴት ነመው ነገሩ ጣሊያን ከኢትዮጵያ አልወጣም እንዴ…?

Des patriotes éthiopiens qui dénonçaient des fascistes ont été incarcérés … Je me demande simplement s'il y a des fascistes encore en Éthiopie ?

Cependant, le blogueur Daniel Berahane, considéré pro-gouvernemental, a demandé si la manifestation était authentique et a défendu [anglais] leur incarcération sur sa page Facebook:

#Ethiopian #opposition; des militants ont monté une petite scène aujourd'hui

Je n'ai jamais entendu un mot de leur part pendant plus de 6 mois sur la statue construite à la mémoire du fasciste #war #criminal #Graziani en #Italy (#guerre #criminel #Graziani en #Italie). Il n'y a eu aucune déclaration à la presse ni sur leurs sites Web, depuis septembre.

Aujourd'hui, ils sont sortis de nulle part et ils ont voulu procéder à une démonstration sur le sujet.
Apparemment, ils ne remplissaient pas les exigences légales, ce qui a conduit la police à mettre la situation sous contrôle en arrêtant certains d'entre eux aux fins d'enquête (probablement déjà libérés).

Alors… de quoi s'agissait-il?

1/Ces gars veulent demander à la diaspora une collecte de fonds, ils ont donc besoin de mettre en place un spectacle pour montrer qu'ils existent.

2/Ils sont sous la pression des militants, des journalistes, des diplomates, etc pour ne pas avoir organisé des événements publics, ils ont donc besoin d'un cas pour dire: “voyez, cette dictature ne nous permet même pas de nous opposer à Graziani”.

3/Peut-être ils espèrent pouvoir mobiliser un soutien politique important en faisant de Graziani un problème politique national.
———
Ps-je ne dirais pas qu'organiser une manifestation légale soit chose facile, mais je m'oppose fortement au recours à des tentatives illégales – surtout que personne n'est allé se plaindre au tribunal pour déni d'autorisation légale.

Dans un commentaire hilarant et mordant sur la question, Girma Tadesse a écrit un billet pour The Gulele Post [en anglais] dans lequel il a imaginé le dialogue qui pourrait être échangé entre les différents monuments de personnalités de premier plan, y compris celui de Graziani. D'autres ont inclus l'ancien Premier ministre éthiopien Meles Zenawi [fr] qui était considéré comme un leader visionnaire par son parti et son groupe ethnique, mais condamné comme un dictateur sans pitié par les autres, et Sir Alex Ferguson [fr] le manager actuel (et le plus ancien) du club de football Manchester United:

[Rodolfo Graziani] – Salut tout le monde … désolé d’être en retard, je regardais dehors quelques manifestants dans la rue

[Alex Ferguson] – ciao Grazziani [sic]; comment se fait-il que vous ne semblez pas avoir peur de ces gars-là?

[Graziani] – pourquoi devrais-je avoir peur?

[Ferguson] – vous avez tué leurs concitoyens il y a un certain temps

[Graziani] – Arrêtez, tout d'abord je ne les ai pas tués, j'ai simplement donné l'ordre après avoir reçu un ordre. Deuxièmement, c'est il y a longtemps, 77 ans. Vous, les gars, vous continuez de vivre dans le passé?  Pourquoi ne pas demander à ces deux-là, ils ont exécuté et mis en esclavage leurs propres concitoyens mais ils gardent toujours la tête haute ?

[Ferguson] – qui voulez-vous dire ?

[Meles Zenawi] – RG essaie de pointer du doigt vers moi et MII. Écoutez-moi vieux maître, je n'ai pas tué mes propres concitoyens, je n'ai pas de concitoyens à Gambella et très peu en dehors du Tigré. Je suis sûr que Ménélik n'a ni massacré ni asservi “son peuple” non plus. Donc mettez vos idées en ordre.

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