Le président de la Guinée-Bissau mis en cause dans une affaire de trafic “armes contre cocaïne”

Le Président par intérim de la Guinée-Bissau repousse des allégations qu'il aurait joué un rôle [anglais] dans un accord avorté “armes contre drogues” impliquant la livraison d'armes à de supposés rebelles colombiens des FARC en échange de cocaïne.

Les chefs d'accusation [anglais] établis par les Etats-Unis contre sept hommes, y compris l'ancien chef d'état-major de la marine nationale bissau-guinéenne, incluent leur témoignage faisant état du Président Manuel Serifo Nhamadjo. Les hommes ont été arrêtés au large des côtes du Cap Vert la semaine dernière.

D'après les documents, ces hommes, désormais inculpés, auraient dit aux agents infiltrés de la police américaine anti-narcotiques (qui se faisaient passer pour pour des rebelles des FARC) qu'ils étaient en contact avec le président à propos d'un échange de cocaïne et d'armes. La déposition qui mentionne M. Nhamadjo se trouve en page 7 [anglais] du document de mise en examen [pdf] :

CC-1 (inculpé) a donné son accord à une proposition d'envoyer en Guinée-Bissau de la cocaïne des FARC pour distribution ultérieure aux Etats-Unis et de faire parvenir des armes aux FARC, y compris des missiles sol-air. CC-1 a également affirmé qu'il allait discuter du projet avec le Président de la Guinée-Bissau. CC-1 a déclaré : “Je parlerai avec le Président de la République après-demain”.

Et à la page 10 du même document, les discussions concernant la commande d'armes :

CS-1 (agent infiltré) a procuré à CC-5 (inculpé) une liste d'armes demandées par les FARC qui comprenait, entre autres, des missiles sol-air, des fusils d'assault AK-47 et des pistolets automatiques. Mane (inculpé) a annoncé que lui et CC-5 (inculpé) allaient parler de la commande d'armes des FARC avec le Président et le Premier Ministre de Guinée-Bissau.

Le gouvernement aurait attendu en échange de ses services un pourcentage sur les 4 000 kg de cocaïne :

Au cours de l'entretien, CC-2 et CC-4 (inculpés) se sont dits d'accord pour faciliter la réception des 4 000 kg de cocaïne en Guinée-Bissau en provenance des FARC, dont 500 kg seraient ensuite envoyés à des clients aux Etats-Unis et au Canada.

Le président s'est insurgé contre ces allégations, qualifiées de “criminelles” [portugais].

L'instabilité politique et militaire est une constante de la vie en Guinée-Bissau, un pays où aucun président démocratiquement élu n'a atteint la fin de son mandat depuis l'indépendance de la colonisation portugaise acquise en 1974. Le dernier coup d'Etat, le 12 avril 2012], quelques jours après le second tour des élections présidentielles, a amené M. Nhamadjo à présider la transition suite à un accord entre le commandement militaire et les leaders politiques, religieux et de la société civile.

La journaliste Helena Ferro de Gouveia décrit sur son blog [portugais] ce que signifieraient ces allégations pour la Guinée-Bissau si elles étaient avérées :

indictment-GB-US

L'inculpation étatsunienne

A confirmar-se o envolvimento do presidente de transição num esquema de tráfico de cocaína e armas, milímetros separam o país do abismo.

Si l'implication du Président par intérim dans une affaire de traffic de cocaïne et d'armes se confirme, seuls quelques millimètres séparent le pays de l'abysse.

Même avant le coup d'Etat, les connexions entre certaines élites, des militaires en vue et des trafiquants de drogue étaient déjà un secret de polichinelle en Guinée-Bissau. Durant la dernière décennie, le pays est devenu un des principaux points de transit pour le trafic de cocaïne en provenance d'Amérique du Sud vers l'Europe.

Avant la nouvelle de l'implication présumée du président dans cette affaire de traffic de drogue et d'armes, José Ramos-Horta, Prix Nobel de la Paix et ancien Président du Timor Leste, qui dirige le Bureau intégré des Nations Unies pour la consolidation de la paix en Guinée-Bissau depuis février 2013, avait déclaré [anglais] que “la Guinée-Bissau fait face à une menace existentielle, en tant qu'Etat, en tant que nation” et espérait que les élites politiques et militaires “feraient leur examen de conscience, leur introspection” à l'occasion de l'anniversaire du coup d'Etat.

A l'approche de l'anniversaire du coup d'Etat fin mars, il décrivait sur son blog [portugais] le rôle de la Guinée-Bissau dans le trafic de drogue mondial :

A Guine-Bissau nao produz droga e o consumo e baixo. Ha sim grupos que funcionam como correio e pelo trabalho recebem umas migalhas e já ficam muito contentes. Individuos de outras nacionalidades – Colombianos, Bolivianos, Peruanos, Libaneses, Marroquinos e Nigerians – os profissionais do negocio. Face a eles, o Bissau-Guineense e um amador que se contenta com migalhas mas que fica com a fama!

La Guinée-Bissau ne produit pas de drogues et la consommation y est faible. Il y a néanmoins des groupes qui travaillent comme passeurs et reçoivent pour leur travail quelques miettes du gâteau et s'en portent très bien. Les individus d'autres nationalités – les Colombiens, Boliviens, Péruviens, Libanais, Marocains et Nigérians – sont les professionnels dans cette entreprise. Comparés à eux, les Bissau-Guinéens sont des amateurs qui se satisfont des miettes mais récoltent toute la gloire !

Les propos de Mr. Ramos-Horta sont confirmés par le blog autobiographique tenu en amateur par l'amiral Bubo Na Tchuto [portugais], baron de la drogue supposé. Ancien chef d'état major de la marine, M. Na Tchuto est désormais sous les verrous à New York. Il avait été libéré de prison en Guinée-Bissau sur les ordres du chef d'état major des armées bissau-guinéen en juin 2012, après quelques mois en détention suite aux accusations qui en faisaient un instigateur du coup d'Etat manqué de décembre 2011 [anglais].

En mars dernier, Guilherme Dias du blog Lusomonitor [portugais] résumait les découvertes d'un reporter du Spiegel enquêtant sur le trafic de drogue dans les îles Bijagos aux côtés d'un magistrat aux services sous-financés :

As drogas chegam em carregamentos de 600 ou 1.200 quilos e são armazenadas em três depósitos, de onde são enviadas para a Europa. Dois países europeus têm satélites apontados à região e os investigadores internacionais sabem que um destes depósitos está numa zona militar. “Eu até sei que um voo vai aterrar esta semana no sul”, afirma Biague, sem dinheiro para qualquer operação de apreensão. Com um custo estimado de 115 euros, o repórter decidiu financiar. No final, foi um fracasso.

La drogue arrive en livraison de 600 à 1 200 kg et est stockée dans trois entrepôts, depuis lesquels elle est envoyée vers l'Europe. Deux pays européens ont des satellites pointés sur la région et les enquêteurs internationaux sont au courant que l'un d'entre eux est situé dans une zone militaire. “Je sais même qu'il y a un arrivage par avion programmé pour cette semaine” dit M. Biague [Directeur de la police d'investigation en Guinée-Bissau], sans moyens pour faire une saisie. Pour un coût de 115 €, le reporter décidait donc de financer l'opération. Ce fut au final un échec.

Satellite image of Guinea-Bissau in January 2003. The Islands are known as Bijagos Archipelago. Image in the public domain.

Image satellite de la Guinée-Bissau en janvier 2003. On voit les îles de l'Archipel des Bijagos. Image du domaine public.

Au même moment, un autre article de la presse généraliste, cette fois du quotidien portugais Público [portugais] met en lumière les efforts héroïques de deux femmes, Lucinda Barbosa Ahucarié et Carmelita Dias, pour faire respecter la loi en Guinée-Bissau. Mme Barbosa Ahucarié, ancienne directrice de la police d'investigation du pays, a déclaré à Público que Bubo Tchuto l'avait menacée, l'accusant de fournir des informations aux enquêteurs américains.

L'article en question semble être passé inaperçu, ne bénéficiant que de peu d'attention de la part des médias sociaux et de la blogosphère malgré sa reprise dans la presse brésilienne et au-delà.

Ecrit en collaboration avec Janet Gunter.

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