Bulgarie : Après le scandale des écoutes, des élections sous le signe de la désillusion

Les Bulgares seront placés devant des choix difficiles lors des élections législatives du 12 mai 2013.

Le scrutin était initialement prévu en juillet, mais la date a changé après la démission le 20 février du Premier Ministre bulgare Boïko Borissov, à la suite des manifestations d'ampleur nationale [anglais] contre le prix élevé de l'électricité, le bas niveau de vie et les scandales de corruption. Le 13 mars, le Président Rossen Plevneliev nommait un gouvernement par intérim, en charge jusqu'aux élections.

Le Parlement bulgare compte 240 sièges, il en faut donc 121 à un parti pour former une majorité. Après une série de scandales et de manifestations, la question du vainqueur potentiel divise la société bulgare. Les principales forces politiques en concurrence dans les urnes sont [.pdf] : le parti précédemment au pouvoir Citoyens pour le Développement européen de la Bulgarie (GERB); le parti socialiste, actuellement la principale force d'opposition ; le Mouvement des droits et des libertés, qui représente la minorité turque de Bulgarie ; les Démocrates pour une Bulgarie forte, menés par l'ex-Premier Ministre Ivan Kostov ; le Mouvement Bulgarie pour les Citoyens [anglais], de l'ex-Commissaire européenne (2007-2009) et ex-Ministre des Affaires Etrangères (2002-2006) Meglena Kuneva ; et le parti d'extrême-droite Attaque.

"Bulgarian Roulette," featuring logos of the parties running in the upcoming election. Image by Vladimir Doychinov, used with permission.

La roulette bulgare, avec les logos des partis concourant à la prochaine élection. Image de Vladimir Doïchinov, utilisée avec sa permission.

Ivan Bakalov, rédacteur-en-chef de E-vestnik.bg, un média alternatif en ligne bulgare, explique [bulgare] dans un éditorial :

Qui va remporter l'élection ? Pour le moment, la réponse est : personne. Une étude de l'institut de sociologie BBSS Gallup International (7-12 mars) a montré que le GERB et le Parti Socialiste Bulgare sont presque à égalité des voix.

Elections 2013. Image by Vladimir Doychinov, used with permission.

Elections 2013. Image de Vladimir Doïchinov, utilisée avec sa permission.

Une lectrice nommée Georgieva a exprimé son humeur dans ce commentaire [bulgare] :

Pour la première fois j'éprouve un dégoût complet pour les partis politiques de toutes sortes. Je ne veux aucun visage familier, ni de gauche ni de droite, d'aucun des points du spectre politique. […]

On trouve des commentaires similaires sur Facebook. L'utilisatrice Radosveta Dimova, par exemple, écrit [bulgare] :

[…] Ceux qui espèrent la venue d'un sauveur et ne sont pas autonomes, ceux qui veulent quelqu'un d'autre pour les “remettre en état”, ne sont ni de droite, ni de gauche, ni du centre. Ils ne savent pas ce qu'ils veulent, ils ne veulent pas apprendre comment y arriver et ne veulent pas travailler comme ils devraient ni voter pour qui il faudrait. Ceux-là ne s'intéressent pas aux valeurs démocratiques, ils ne les reconnaissent pas, et n'ont pas vécu dans une société avec cette sorte de valeurs. […]

Un certain nombre de scandales politiques accompagnant la campagne électorale n'ont fait qu'obscurcir davantage l'humeur des électeurs bulgares.

Fin avril, les médias de Bulgarie ont reçu un compte-rendu anonyme [transcription en anglais], sténographié, d'une réunion entre l'ex-Premier Ministre Boïko Borissov, l'ex-Ministre de l'Agriculture et de l'Alimentation Miroslav Naïdenov et le Procureur de Sofia Nikolaï Kokinov. La lettre, expédiée de l'adresse boykonaydenov@gmail.ru, commence ainsi :

Si vous croyez que l'ex-Ministre de l'Intérieur, Tsvetan Tsvetanov a cessé de vous espionner après le 20 février 2013, vous vous trompez. Mais je suis presque certain que vous le savez. Parce que je suis un de ceux qui vous espionnent. Je suis un agent du SDOTO (Direction Spécialisée “Opérations techniques opérationnelles”) ; j'y travaille toujours, et fais ce que les chefs m'ordonnent de faire. Par ce courriel je vous informe de la dernière affaire d'écoutes illégale à laquelle j'ai participé. […]

L'expéditeur développe le sujet de la conversation écoutée :

[…] Début avril, mes collègues et moi avons écouté une conversation entre Borissov, l'ex-Ministre de l'Agriculture Naïdenov, et le Procureur de la ville de Sofia Kokinov, sur les moyens d'abandonner les accusations de corruption contre Naïdenov et un certain nombre d'autres choses importantes pour le pays. On nous a dit que nous étions en “mission d'entraînement” sur ordre de Tsvetanov, malgré le fait que Petia Parvanova était déjà Ministre de l'Intérieur par intérim. Pourquoi avons-nous accepté d'être impliqués ? Un seul mot pour l'expliquer : la PEUR !

Après tout ce à quoi je me consacre au bureau, honnêtement, je suis écoeuré et fatigué. J'ai consulté des avocats et ils m'ont appris ce que dit la loi de cette conversation que nous avons enregistrée : ceux qui étaient enregistrés et ceux qui enregistraient ont commis un délit. C'est clair en ce qui nous concerne : nous avons fouiné illégalement, peu importe qui : que ce soit l'ex-Premier Ministre ou un serveur du café d'à côté. Mais de ce que m'ont dit les avocats, je pense que ce qui est plus important, ce sont les délits commis par Borissov, Naïdenov et Kokinov tout en bavardant. Tous trois sont complices dans l'infraction, selon le code pénal, puisqu'ils ont conspiré pour nuire aux procédures pénales afin d'éviter à quelqu'un les poursuites et la condamnation. Cela vaut 1 à 6 ans derrière les barreaux. Je reste un peu perplexe quant à un autre crime – dévoiler des secrets d'Etat. A-t-il été commis par Kokinov seul, ou en sont-ils coupables tous les trois ? C'est punissable de 2 à 6 ans de prison. […]

Les révélations sont survenues au lendemain du serment par l'ancien Ministre de l'Intérieur de n'avoir pas mené d'écoutes téléphoniques. Conséquence du scandale, le Procureur Kokinov a démissionné, et quelques jours plus tard, des procédures pénales ont été ouvertes contre quatre hauts-fonctionnaires du Ministère de l'Intérieur.

Entre temps, un récent sondage mené par la sociologue Mira Radeva indique [bulgare] que le parti précédemment au pouvoir pourrait obtenir la majorité des voix. La publication alternative Offnews.bg a accusé [bulgare] Mme Radeva de partialité en faveur du gouvernement.

Sur E-vestnik.bg, Ivan Bakalov fait ces pronostics [bulgare] dans un autre éditorial :

[…] Il semble que le parti de Borissov commence à tomber dans l'isolement. Quelle est l'alternative ? Beaucoup de gens ne veulent pas voter pour ce parti, mais ne trouvent pas d'alternative qui vaille. Quelles sont les possibilités ?

[…]

Quels sont les arguments contre le Parti Socialiste ? [Ils] promettent de construire la centrale nucléaire de Béléné, un investissement risqué pour un Etat en situation financière difficile. Et elle est un risque du point de vue écologique aussi. […]

Bakalov souligne que le Parti Socialiste a aussi “promis de lever l'interdiction de fumer en Bulgarie”, du “populisme” selon lui. Quant au Mouvement pour les Citoyens, Bakalov en écrit :

[…] Ceci est un autre parti qui a une chance d'entrer au prochain Parlement (outre le parti socialiste, le Développement européen de la Bulgarie (GERB), le Mouvement des droits et des libertés et “Ataka”). C'est le parti le plus attaqué par les médias contrôlés par le GERB. […]

Bulgaria's ex-PM Boyko Borisov sitting on top of a citizen, luring him to vote. Image by Vladimir Doychinov, used with permission.

L'ex-Premier Ministre bulgare Boïko Borissov assis sur les épaules d'un citoyen l'appâte pour voter. Image de Vladimir Doychinov, utilisée avec sa permission.

Le journaliste bulgare Ivo Indjev écrit [bulgare] sur son blog, dans un billet repris par nombre d'organes de médias alternatifs :

[…] Une de nos particularités nationales dominantes est à l'évidence qu'ici la cloche sonne vraiment deux fois pour les sourds avant qu'ils ouvrent les yeux. C'est une explication de la tendance marquée du GERB de l'emporter dans les sondages, bien qu'en toute logique démocratique, ils devraient perdre de façon catastrophique […].

[…]

Borissov sait ce qui lui attire les gens, et il leur dit : “Plus on utilise de dispositifs d'écoutes, plus on est forts.” En d'autres termes, il plaît à tous ceux qui ne se soucient pas de procédures démocratiques pour s'unir sous sa direction comme le “prolétariat” contre la démocratie. Si quelqu'un est aussi franc, comment ne pas croire aux affirmations complotistes que le GERB a organisé lui-même le scandale des écoutes ? […]

Le lecteur PETQ a répondu [bulgare] à Indjev :

M. Indjev, plus l'élection approche, plus les partisans du GERB se mobilisent. C'est visible même dans votre blog. Dernièrement, les premiers commentaires sous presque tous vos articles étaient écrits par des gens qui soutiennent le GERB. Je suis sûr que ce ne sont pas vos lecteurs habituels et qu'il y a des milliers de sites plus idoines où les fans de Borissov peuvent écrire. Pourtant nul doute qu'un tas d'argent est dépensé pour manipuler l'opinion publique sur l'Internet. Et nul doute qu'ils s'attendent à ce que les lecteurs de votre blog disent : “Eh bien, même ici les gens ont changé d'avis et on dirait que la plupart vont voter pour le GERB.”

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