#FreeBoussa : Indignation au Maroc contre le procès du baiser d'adolescents en public

Moroccan Adolescents On Trial for Kissing in Public Photocredit: Facebook

Des adolescents marocains devant la justice pour un baiser en public
Crédit photo : Facebook

Trois jeunes Marocains ont été arrêtés le 3 octobre à Nador dans la région du Rif, au nord-est du Maroc. Les adolescents sont des amoureux de 15 et 14 ans et leur photographe de 15 ans. Leur crime : avoir mis en ligne sur Facebook une photo du couple en train de s'embrasser à l'extérieur de leur lycée. Dans la loi marocaine, cela peut se traduire par attenter à la “décence publique.”

La région montagneuse du Rif dépasse notoirement en conservatisme musulman un Maroc déjà conservateur. De telles photos publiques osées choquent. Un autre baiser en public a provoqué cette réaction violente d'un badaud :

L'homme furieux de la vidéo crie une insulte au jeune couple et traite d'irrespectueux de tels actes dans un pays musulman.

L'arrestation a immédiatement déclenché un tollé chez les compatriotes internautes et les utilisateurs de réseaux sociaux à travers le monde. #Freeboussa, liberté d'embrasser en arabe, est depuis l'arrestation le nouveau buzz des médias sociaux.

L'affaire a fait le tour des médias de l'Amérique du Nord à la Nouvelle Zélande, mais en contournant le Moyen-Orient.

Le scandale de cette incrimination ne s'est pas limité aux médias sociaux. Des Marocains ont créé des événements sociaux contestataires pour défier les autorités en s'embrassant publiquement, comme cette manifestation de baisers samedi 12 octobre devant le parlement national à Rabat.

L'événement Facebook originel a disparu sans explication le lendemain, dimanche 13 octobre.

Manifestation de “kiss-in” public à Rabat – 12 octobre
Crédit photo : @BelkouchHicham

Les Marocains de Paris ont tenu leur manifestation publique devant l'ambassade du Maroc vendredi dernier, jour prévu du procès à Nador.

Crédit photo : page Facebook “nous la signons”

Génération Active“, un mouvement de développement local créé par de jeunes Marocains, a lancé une pétition qui se fixe de rassembler 10.000 signatures. Si le mouvement ne précise pas ses objectifs une fois ce but atteint, une telle pétition ne manquera pas de susciter plus de réactions et de discussions en ligne. La pétition n'a encore recueilli que 2.813 signatures (29%).

Photo du site de la pétition
Crédit photo freeboussa.wesign.it/fr

Amnesty International a qualifié les charges contre les jeunes gens arrêtés pour ce baiser d’ “absurde“. Son directeur Moyen-Orient Philip Luther a exhorté la justice marocaine à abandonner les charges contre les adolescents :

Ces jeunes gens n’auraient jamais dû être placés en détention. Il n’existe pas la moindre raison imaginable pour que ce type d’expression donne lieu à des poursuites. Ouvrir une enquête judiciaire à partir d’une plainte pour quelque chose d’aussi inoffensif que deux adolescents qui s’embrassent est ridicule. Cette idée devrait être rejetée d’emblée.

De nombreux internautes se sont précipités pour mettre en ligne d'autres photos symbolisant leur refus que soient jugés des jeunes qui se sont embrassés.

Anas Oulmidi, qui vit à Marrakech, a twitté une photo de deux jeunes enfants qui s'embrassent également en public, au milieu de visages amicaux et souriants pour contraster avec le procès et le risque d'emprisonnement.

La co-éditrice de Jadaliyya Samia Errzouki, qui vit à Washington DC explique :

Ces ados étaient de Nador. La marginalisation socio-économique et politique y a une histoire enracinée et est un énorme facteur.

Le kiss-in est certainement perturbateur. Mais ne sous-estimons pas les raisons politiques et socio-économiques de l'arrestation de ces ados.

La schizophrénie arabe, vous connaissez ? c'est la fréquente dualité des normes dans les pays majoritairement musulmans.

Moroccan Sheriff parle de la question sur sa chaîne YouTube. Il fait la remarque pertinente que les Marocains acceptent souvent les normes non-islamiques comme une réalité, mais rechignent à défendre ces libertés publiquement. Ils peuvent même se retourner soudainement contre ces normes. Les Marocains sont sous la pression du conformisme. Sheriff avance aussi dans sa vidéo que les Marocains consomment 13 millions de litres d'alcool par an. Le Maroc est l'un des plus gros exportateurs de haschich au monde, pour un montant d'échanges deux fois plus élevé que le chiffre d'affaires du tourisme dans le royaume.

Ces contradictions ne sont pas propres au Maroc. Les mêmes ont été relevées en Tunisie.

L'auteur laïciste Kacem El Ghazali (@emkacel), un célèbre militant et blogueur marocain actuellement installé à Zurich, a aussi partagé sa pensée sur la question sur sa page Facebook [arabe] :

مايفهم من خلال وقفة البارحة للقبل بالمغرب هو أننا بحاجة إلى ثقافة تطبع بين الحريات الفردية والفضاء العام. أغلب المغاربة يمارسون الجنس دون زواج ويشربون الخمر لكن مادام فعلهم محاطا بسرية تامة فكل شيء جيد و مقبول. مجتمع سكيزوفريني منافق ومريض.

Ce que j'ai compris de l'opération Kiss-in au Maroc et des réactions sur les médias sociaux est qu'il nous faut une culture de normalisation entre les libertés individuelles et l'opinion. Beaucoup de Marocains ont effectivement des relations sexuelles hors mariage et boivent de l'alcool… tant que tout reste dans l'ombre, tout va bien. Quelle société schizophrène et malade !

Le gouvernement marocain et le Roi ont quant à eux affirmé l'importance que la justice soit et reste indépendante de l'exécutif.

Sous la pression sociale, le procureur régional de Nador a ordonné la mise en liberté sous caution des adolescents. Après l'audience de vendredi dernier, le verdict est attendu le 22 novembre après “une enquête sur le contexte social des adolescents,” a indiqué leur avocat, selon la chaîne d'information internationale France 24 [anglais].

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