- Global Voices en Français - https://fr.globalvoices.org -

Brésil : Claudia Ferreira da Silva, victime de la police militaire, oubliée des médias

Catégories: Amérique latine, Brésil, Droits humains, Gouvernance, Média et journalisme, Médias citoyens
Imagem do Coletivo ñ, uso livre. [1]

Dessin du Collectif ñ, libre de droits.

Le 16 mars 2014, Claudia Ferreira da Silva a été assassinée [2] par la Police Militaire (PM) de deux balles qui l'ont touchées au cou et  dans le dos,  lors d'une intervention au Morro da Congonha, dans la banlieue nord de Rio de Janeiro. Sans connaissance, cette femme, mère de famille de 38 ans, connue sous le surnom de Cacau, a été jetée dans le coffre d'une voiture de police afin d'être soit-disant emmenée à l'hôpital. 

Avant qu'elle ne parte, des voisins et amis ont tout fait pour éviter [3] que Claudia ne soit embarquée par la PM, qui a quitté les lieux en tirant en l'air pour éloigner la foule, et, le coffre encore grand ouvert, ont finalement réussi à l'emmener.  Un peu plus loin, sur la route Intendente Magalhães, son corps apparemment sans vie est tombé du coffre et, retenu par un pan de vêtement, a été trainée sur le goudron [4] pendant 250 mètres au moins, sans que les policiers présents dans la voiture ne prêtent attention aux cris et aux avertissements des conducteurs et des piétons qui assistaient à la scène. 

Cette scène choquante, du corps de Claudia brinquebalant de gauche à droite sur la chaussée, a été filmée [5] par “un activiste des médias qui a vaincu sa peur et risqué sa peau en apportant sa pierre à la construction de la démocratie”, affirme l'activiste Bruno Cava sur Facebook.

Atenção: este vídeo contém imagens extremamente fortes. Clique para abrir numa nova página. [6]

Attention: cette vidéo, divulguée par le Journal Extra, comporte des images extrêmement dures. Cliquez pour lancer dans une nouvelle fenêtre.

Les Policiers militaires responsables [7] des faits, les sous-lieutenants Adir Serrano Machado et Rodney Miguel Archanjo et le sergent Alex Sandro da Silva Alves, ont été arrêtés  [8]le jour suivant, mais relâchés le 20 mars, suite à la requête de la défense, menée par Paulo Roberto Cunha qui a déclaré [9]: “Si elle [Claudia] présentait des signes de vie, il s'agit plutôt d'un délit de blessures corporelles. Mais, si elle était déjà morte [quand elle a été placée dans le coffre de la voiture], alors ils n'ont commis aucun crime”. Les policiers restent en attente de leur jugement en liberté provisoire. 

Ato em homenagem a Claudia e contra a violência policial no dia 17 de março em Madureira, zona norte do Rio de Janeiro. Foto da Organização Anarquista Terra e Liberdade OATL, uso livre [10]

Manifestation en hommage à Claudia et contre la violence policière, le 17 mars à Madureira, banlieue nord de Rio de Janeiro. Photo de l'Organisation Anarchiste Terre et Liberté OATL, Libre de droits

La journaliste Monica Waldvogel a rappelé [11], sur son compte Twitter, que, rien qu'en ce qui concerne le sous-lieutenant Adir Serrano, il serait impliqué  [12]dans au moins 63 morts. Quant à l'autre sous-lieutenant, Rodney Archango, il est impliqué [12] dans 6 morts.

Selon [13] Thais Lima, fille de Claudia, les policiers rigolaient tandis qu'ils jetaient le corps dans la voiture.

Le professeur Eduardo Sterzi a mis en ligne [14] sur sa page Facebook, le témoignage anonyme d'un voisin qui a assisté à l'exécution de Claudia ainsi qu'à celle d'un autre habitant qui vient lui aussi de décéder :

(…) foi executado após já ter sido alvejado e estar caído. Ele tinha uma mochila com drogas, mas três pistolas foram plantadas pra ser dito que houve confronto, além de outras três mochilas que também foram plantadas.

Eles chegaram atirando em tudo e todos, por isso a morte da mulher.

(…) Il a été exécuté après avoir été blessé et s'être écroulé par terre. Il avait un sac plein de drogue, mais trois revolvers y ont été mis pour pouvoir dire qu'il y avait eu échange de tirs, ainsi que trois autres sacs, pour lesquels on a fait de même.

Ils sont arrivés en tirant sur tout ce qui bougeait, d'où la mort de la jeune femme.

Selon [15] le mari de Claudia, Alexandre da Silva, et de son frère, Julio Ferreira, Claudia aurait été abattue par la PM qui aurait ensuite maquillé [16] la scène de crime en y rajoutant 4 armes alors que, selon eux, elle ne portait sur elle qu'un paquet de café et six Réaux pour acheter à manger à ses enfants.

L'activiste Camila Pavanelli en parle [17] sur Facebook:

A mentira é o pressuposto do qual devemos partir ao ouvir qualquer declaração da PM. Mas nem sempre esse pressuposto se confirma. No caso de Claudia e suas quatro armas, não se estava tentando mentir para acobertar o crime (afinal, quem seria capaz de acreditar nesta versão?).

Afirmar que Claudia tinha quatro armas é nada menos que estender a tortura aos seus familiares.

Le mensonge est le postulat de départ dont nous devons être conscients avant toute déclaration de la PM. Mais ce présupposé ne se vérifie pas toujours. Dans le cas de Claudia et de ses quatre armes, ce n'était pas une tentative de dissimulation du crime (au bout du compte, qui aurait pu croire en cette version?)

Affirmer que Claudia avait quatre armes c'est comme étendre la torture aux membres de sa famille.

Foto postada pelo perfil Anonymous Rio, no Facebook. Uso livre. [18]

Photo postée sur la page Anonymous Rio, de Facebook. “Chaque vie est importante”. Libre de droits.

 

Le cas de Claudia a été comparé [19] à celui du petit João Hélio sur les réseaux sociaux [20], comme le rappelle [21] le député fédéral du PSOL, Chico Alencar, sur son compte Facebook:

Fevereiro de 2007. Três jovens abordam um carro no bairro de Oswaldo Cruz, subúrbio do Rio. Na mão de um deles, uma arma de fogo. Do lado de dentro, o menino João Hélio, sua irmã de treze anos e sua mãe.

Foi um dos crimes mais terríveis e chocantes que o Brasil já testemunhou. O pequeno João Hélio ficou preso ao cinto de segurança, do lado de fora do carro, e foi ARRASTADO pelos assaltantes por cerca de sete quilômetros. Seu corpo ficou completamente desfigurado. Até hoje, para muitos, lembrar e escrever sobre isso é tarefa que arrepia e arranca lágrimas.

Février 2007. Trois jeunes abordent une voiture dans le quartier d'Oswaldo Cruz, banlieue de Rio. Dans la main de l'un d'entre eux, une arme à feu. Dans la voiture, le petit João Hélio, sa soeur de treize ans et sa mère.

Ce fut l'un des crimes les plus terribles et choquants que le Brésil ait jamais connu. Le petit João Hélio était resté coincé dans la ceinture de sécurité et a été TRAINÉ par les agresseurs sur presque sept kilomètres. Son corps en était devenu totalement méconnaissable. Aujourd'hui encore, pour beaucoup d'entre nous, se souvenir et écrire à ce sujet est une tâche qui donne la chair de poule et arrache des larmes.

Le cas a aussi été comparé [22] à celui d'Amarildo, le maçon qui a d'abord été torturé jusqu'à la mort et dont le corps a été “escamoté” [23] par la police militaire dans la favela de la Rocinha, toujours à Rio de Janeiro, en juillet 2013.

Le souvenir de l'affaire João Hélio a d'autant plus révolté [24] les Brésiliens que la presse grand-public, au lieu de donne le nom [25] de Claudia, s'y réfère comme à “la femme trainée [26]“, ainsi que d'autres variations du même acabit.

L'activiste Niara Oliveira se demande [27] sur Twitter “Pourquoi nous rappelons-nous aujourd'hui encore du nom du gamin trainé par une voiture volée par des malfaiteurs ? PARCE QUE LA PRESSE RÉPÉTAIT SON NOM À L'ENVI”, et commente [28]:

Parce que quand une vie est importante elle a un nom, une identité, une histoire. RÉPÉTEZ LE À L'INFINI : Cláudia da Silva Ferreira, travailleuse, mère de 4 enfants.

Coleção de chamadas de notícias veiculadas pela mídia online sobre a morte de Claudia Ferreira coletadas pela ativista Ana Silva que escreveu: "POLÍCIA ASSASSINA, MÍDIA CÍNICA E PERVERSA. Mulher, mulher, mulher, moradora, moradora, moradora, morta, morta, arrastada, arrastada, arrastada, arrastada. Filha de arrastada, enterro de arrastada, viúvo de mulher, mulher arrastada. Assim mesmo: Sem nome, sem identidade, SEM HUMANIDADE. APENAS MAIS UM CADÁVER. APENAS MAIS ESTATÍSTICA." [30]

Collection de titres parus dans la presse en-ligne sur la mort de Claudia Ferreira rassemblés par l'activiste Ana Silva qui écrit: “POLICE ASSASSINE, PRESSE CYNIQUE ET PERVERSE. Femme, femme, femme, Habitante, habitante, habitante, morte, morte, trainée, trainée, trainée, trainée. Fille de trainée, enterrement de trainée, veuf de sa femme, femme trainée. C'est ça: Sans nom, sans identité, SANS HUMANITÉ. JUSTE UN CADAVRE DE PLUS. JUSTE UNE STATISTIQUE.”

 

L'activiste Thiago Paiva conclut [31] en une série [32] de tweets [33]:

Por qual razão a vítima quando é de classe média/alta tem nome e sobrenome? Pensando no que eu disse de manhã. Guri arrastado de carro. Estereótipo completo de ~classe média~ – nome, sobrenome, série de reportagens. Uma moça arrastada de carro, pobre, não tem “potencial” pra ser uma musa que gere uma causa… é só “mulher arrastada”

Pour quelle raison, lorsque la victime est issue de la classe moyenne/haute elle a un nom et un prénom ? En repensant à ce que je disais ce matin. Un gamin trainé par une voiture. Stéréotype total de la classe moyenne – nom, prénom, série de reportages. Une jeune femme trainée par une voiture, pauvre, sans “potentiel” pour devenir une muse qui engendre une cause… c'est juste une “femme trainée” 

L'ambiance était au désespoir parmi certains activistes et utilisateurs de Facebook [34] et Twitter, comme par exemple Rodrigo Cardia, qui affirme  [35]que le cas “sera probablement très vite oublié, la victime étant pauvre et noire, comme tant d'autres personnes tuées quotidiennement par la PM à travers tout le Brésil.”

Le professeur Idelber Avelar se demande [36] ce qu'il va advenir des “criminels en uniforme”:

Nada. Não vai acontecer nada. Não serão julgados e, na remotíssima possibilidade de que o sejam, serão absolvidos. E o sistema político brasileiro continua incapaz de apresentar soluções minimamente decentes para a existência de organizações criminosas desse tipo, aparatos de tortura e morte, fardados, que atuam com o beneplácito do Estado e ao arrepio da lei.

Rien. Il ne va rien se passer. Ils ne seront pas jugés et, dans l'improbable éventualité où ils le seraient, ils seront disculpés. Et le système politique brésilien persiste dans son incapacité à proposer des solutions présentant un minimum de décence quant à l'existence de ces organisations criminelles, arsenal de torture et de mort, en uniforme, qui agissent avec l'agrément de l'État et en totale infraction de la loi.

Le journaliste Bruno Torturra a tweeté [37]:

L'impunité de la police a changé ses prérogatives. Elle a abandonné le monopole légal de la violence pour le monopole légal de l'illégalité

Le cas a ramené sur le devant de la scène le débat sur la fin [39] de la Police Militaire et son désarmement [40], comme le demande [1] le collectif Rio na Rua ou Rio dans la Rue:

A vítima de hoje foi uma mulher negra e pobre, moradora de uma favela situada em um bairro de classe média baixa do Rio de Janeiro. Cláudia, 38 anos, trabalhadora, mãe de quatro filhos, criava quatro sobrinhos. Mais uma vítima da ação bárbara da PMERJ. A voz das ruas diz que “a polícia mata pobre todo dia”. Quantos outros casos como o dela não ganharam voz na grande mídia? E qual voz o caso Cláudia ganhará? Sua morte é mais um exemplo de que a desmilitarização da polícia é uma questão urgente. Não queremos mais exemplos. Queremos o fim da Polícia Militar.

La victime du jour est une femme noire et pauvre, habitante d'une favela située dans un quartier de classe moyenne/basse de Rio de Janeiro. Cláudia, 38 ans, travailleuse, mère de quatre enfants, qui élevait quatre de ses neveux. Une victime de plus du comportement barbare de la PMERJ (Police Militaire de Rio de Janeiro). La voix de la rue dit que “la police tue des pauvres tous les jours”. Combien d'autres cas comme le sien n'ont pas eu cette répercussion dans les médias ? Et de quel écho le cas de Claudia va-t-il bénéficier ? Sa mort est un exemple de plus pour que le désarmement de la police soit traité d'urgence. Nous ne voulons plus de ces exemples. Nous voulons en finir avec la Police Militaire.

"Este ônibus foi queimado pelo povo após o assassinato de mais uma moradora de favela e negra na cidade do Rio. Isso não é vandalismo. Isso é revolta. Isso não é crime. É direito de indignar-se. Esta vida que foi tirada não apaga a dor desta família e de todas que são vítimas do genocídio promovido pelo Estado. PELO FIM DA PM!" Texto e foto do Organização Anarquista Terra e Liberdade OATL, uso livre [41]

“Ce bus a été incendié par la population après l'assassinat d'encore une habitante noire d'une favela de Rio. Il ne s'agit pas de vandalisme. Ce n'est pas un crime. C'est un droit de s'indigner. Cette vie qui a été prise n'éteint pas la douleur de cette famille et de toutes celles qui sont victimes du génocide soutenu par l'État. POUR LA FIN DE LA PM!” Texte et photo de l'Organisation Anarchiste Terre et Liberté OATL. Libre de droits.

De bons posts ont été publiés sur l'assassinat de Claudia Ferreira, parmi ceux-ci on peut citer: “Claudia Silva Ferreira, 38 ans, agent d'entretien, tuée et trainée sur la route par une voiture de la PM” publié [42] par Camila de Magalhães Gomes sur le blog “Blogueiras Feministas” ou Blogueuses Féministes:

Imagem postada pelo coletivo "Se não tiver direitos não vai ter copa" no Facebook. Uso livre. [39]

Photo postée par le collectif “Sans droits pas de coupe du monde” sur Facebook. Libre de droits.

Quem vai gritar por Claudia? Quem vai saber seu nome além dos familiares [43] e das pessoas de sua comunidade [44]? Quem vai se insurgir contra os criminosos fardados, agentes do estado? Quem pedirá a responsabilização desses agentes? Por que o barulho diante dessa brutalidade perpetrada por agentes públicos é tão menor?

Qui va défendre Claudia ? Qui va savoir son nom à part les membres de sa famille [43] et des personnes de sa communauté [44] ? Qui va s'insurger contre les criminels en uniforme, agents de l'État ? Qui va demander que ces agents soient reconnus responsables ? Pourquoi le bruit autour de cette affaire perpétrée par des agents de l'État est-il si minime ?

Ou encore le texte “Claudia Silva Ferreira: blessée par balle, trainée derrière une voiture puis tuée par la PM. Jusqu'à quand ?” publié [45] par Amanda Vieira sur le blog “FemMaterna”:

Para a grande maioria dos jornais, uma mulher faleceu. Para nós, faleceu Claudia Silva Ferreira, uma pessoa que tinha uma identidade, uma história, um nome digno de ser mencionado nas manchetes de jornais. Ela tinha uma vida digna de ser preservada, tanto quanto qualquer outra neste país que, pelo menos oficialmente, não aceita pena de morte.

Pour la grande majorité des journaux, une femme est décédée. Pour nous, Claudia Silva Ferreira est décédée, quelqu'un qui avait une identité, une histoire, un nom digne d'être mentionné dans les titres des journaux. Elle menait une vie digne d'être préservée, comme n'importe quelle autre personne de ce pays qui, au moins officiellement, a aboli la peine de mort.

Et dans le texte [46] “La femme trainée, corps violentables et normalisation de la violence policière” de l'activiste Fabiano Camilo :

A violência policial, que na sociedade brasileira adquiriu a dimensão de um hábito, passando a ser naturalizada e tacitamente justificada, motivo pelo qual não nos surpreende e não nos indigna, dirige-se, antes de tudo, contra os corpos que nossa cultura significa como passíveis de ser violentados: corpos índios, corpos negros, corpos pobres ou miseráveis, corpos femininos cisgêneros, corpos transgêneros, corpos não-heterossexuais. Não obstante, não são esses os únicos corpos que podem ser violentados pela polícia militar.

La violence policière a acquis, dans la société brésilienne, la dimension d'un habitus, au point d'être normalisée et tacitement justifiée, raison pour laquelle elle ne nous surprend plus ni ne nous indigne, car elle est avant tout dirigé, contre des corps que notre culture a assimilé comme passibles d'être violentés: corps indiens, corps noirs, corps pauvres ou misérables, corps féminins bigenres, corps transgenres, corps non-hétérosexuels. Néanmoins, ce ne sont pas ces seuls corps qui peuvent être violentés par la police militaire.

L'agent de la police civile Lucas Ed résume [47], sur Facebook, le sentiments général:

A Cláudia não merecia, o marido dela não merecia, os filhos, os sobrinhos que ela criava. Os cariocas não mereciam ver aquilo, os brasileiros, os seres humanos.
Que coisa triste.

Cláudia ne méritait pas ça, son mari ne méritait pas ça ni ses enfants, ses neveux qu'elle élevait. Les cariocas ne méritaient pas de voir ça, ni les Brésiliens, ni même les êtres humains.
Quelle tristesse.