Une importante décision de justice confronte le Brésil aux heures sombres de son passé

Deputy Rubens Paiva with his wife, Eunice. (Photo: Sao Paulo Legislative Assembly)

Le député Rubens Paiva avec sa femme, Eunice. Photo provenant du Parlement de Sao Paulo

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Cinq officiers militaires brésiliens à la retraite sont formellement accusés de torture et de la mort du député Rubens Paiva [anglais] en 1971, lorsque le pays était sous la dictature militaire. Le 26 mai 2014, par ce qui est considéré comme une décision historique, une Cour fédérale de justice a jugé recevable la procédure à l'encontre des officiers retraités, ouvrant ainsi un chapitre dans le passé sombre du Brésil.

En mars dernier, l'ancien colonel Paulo Malhães a avoué [anglais] le meurtre de Rubens Paiva ainsi que la mutilation et la dissimulation de son corps. Il est par la suite revenu sur son témoignage, disant qu'il craignait pour sa vie. Un mois plus tard, Malhães était assassiné [anglais] lors d'un supposé vol à main armée dans sa résidence, une affaire en cours d'investigation. De nouvelles preuves découvertes à son domicile, tels des documents mentionnant l'implication des cinq officiers mentionnés ci-dessus, ont été utilisées par le bureau du procureur pour engager une procédure contre eux.

La décision de la Cour était sans précédent. L'ancienne ministre des droits de l'Homme, Maria do Rosário, a écrit sur Twitter :

Fondamental pour l'histoire démocratique du pays, des poursuites contre des militaires pour la torture, disparition et mort de Rubens Paiva. 

Pendant ce temps, le blogueur de droite Reinaldo Azevedo disait que la décision du juge était le “plus exotique raisonnement que j'aie jamais lu.” La Loi d’amnistie du pays, qui a été réinterprétée pour protéger les membres de la dictature de toute poursuite, demeure valide. Aussi, selon Azevedo, même si le régime militaire n'a jamais eu le droit légal de torture et de meurtre (comme c'est le cas particulier du député, qui n'était pas un “terroriste”), les accusations actuelles ne devraient pas avoir de valeur juridique.

Cependant, le juge Caio Márcio Gutterres Taranto a relevé que les accusations à l'encontre des cinq officiers étaient qualifiées de crimes dans le code pénal, et non de crimes politiques. Néanmoins, les accusés ne sont pas protégés par le rideau de la Loi d'amnistie du pays.

Les accusés peuvent encore faire appel de la décision.

Décision historique

La dernière décision du tribunal fait partie d'un chapitre commémoratif de l'histoire du Brésil, où la nation oeuvre à faire amende honorable pour les années de silence concernant la période sombre de sa dictature. Depuis la création de la Commission nationale de la vérité en 2012, le pays fait face aux souvenirs enfouis de son passé. Un rapport préliminaire a découvert qu'il y avait 17 centres clandestins de torture dans le pays à cette époque. 

L'affaire Rubens Paiva est l'une des plus emblématiques. En tant que député du parti travailliste brésilien [anglais] de Sao Paulo, il a été obligé d'abandonner son mandat après le coup d'Etat militaire en 1964.

Avant le coup d'Etat, Paiva était aussi membre d'une commission d'enquête créée pour examiner [anglais] les activités de deux importantes ONG – l'Institut pour la recherches et les études sociales (Instituto de Pesquisas e Estudos Sociais) et l'Institut brésilien pour l'action démocratique (Instituto Brasileiro de Ação Democrática). La commission a découvert que ces organisations corrompaient des officiers de l'armée pour obtenir des informations qui étaient par la suite utilisées pour diffuser l'idée de “la menace rouge”- pour susciter la crainte que le Brésil soit soumis aux communistes. L'argent servait en retour à financer le coup d'Etat militaire.

Après une période d'exil au Chili, Paiva est retourné au Brésil et a été arrêté par la police en 1971 à son domicile à Rio de Janeiro. Suite à sa disparition et malgré la version officielle fournie à l'époque selon laquelle il avait été enlevé lors de son transfert en prison, on a fortement soupçonné qu'il avait été tué. Il est établi aujourd'hui qu'après avoir été torturé, il a été tué brutalement et ses dents ainsi que le bout de ses doigts ont été ôtés du corps pour empêcher toute identification [anglais]. 

Un long chemin

Après la mort de Paiva, on a supposé qu'une autre affaire, le “Masssacre du parc national de Foz do Iguaçu” pourrait aussi se retrouver devant le tribunal.. Connu sous le nom du “massacre du parc”, l'épisode s'est terminé par la mort de six militants politiques – cinq Brésiliens et un Argentin – mais leurs dépouilles n'ont jamais été trouvées. L'affaire fait désormais de nouveau l'objet d'une enquête des institutions académiques et de la Commission nationale pour la vérité afin que cette affaire soit élucidée et le(s) coupable(s) identifié(s), et ainsi mettre un terme aux interrogations concernant la mort mystérieuse et la disparition de militants politiques.

En dépit des avancées réalisées jusqu'à présent par la Commission nationale pour la vérité, beaucoup reste à découvrir au sujet de la véritable histoire de la dictature brésilienne. La journaliste Dal Piva déclarait au cours de l'une des sessions de la commission que tous ceux oeuvrant à exhumer la vérité – journalistes, la commission et même le bureau du procureur doivent encore se battre pour obtenir des informations de la part des forces armées. 

Peut-être que la condamnation criminelle de certains tortionnaires du régime militaire pourra marquer le début d'une réel changement.

S'ils sont condamnés, deux des cinq anciens officiers mis en accusation devant le tribunal pourraient subir une peine de 37 ans de prison pour homicide, tandis que les trois autres pourraient être condamnés à 10 ans pour vice de procédure, association criminelle armée et crime de dissimulation de cadavre.

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