Pourquoi un film remarquable sur l'amitié entre une bouddhiste et une musulmane au Myanmar déclenche-t-il tant de haine ?

open sky

L'affiche du film sur la page Facebook du festival

[Sauf indication contraire les liens dirigent vers de pages en anglais.]

Pour la deuxième année, le Festival Cinématographique ‘Droits humains, Dignité humaine’ s'est déroulé à Yangon au Myanmar, du 15 au 19 juin, et a présenté 67 films, dont 32 films nationaux consacrés à Aung San Suu Kyi, l'icône de la démocratie, et à U Win Tin [fr], le plus ancien prisonnier politique du Myanmar maintenant décédé.

Noble cause, mais elle a été ternie cette année par l'annulation de dernière minute de la projection de ‘The Open Sky’, film documentaire de 20 minutes qui raconte l'amitié entre une femme bouddhiste et une femme musulmane au milieu de la violence[fr] collective qui s'est emparée de la ville de Meikhtila l'année dernière. Les émeutes se sont étendues à d'autres villes du Myanmar central et ont fait plus de 40 morts.

Les organisateurs ont décidé de retirer le documentaire de la programmation après avoir reçu des menaces de mort sur les réseaux sociaux lancées par des internautes furieux, qui estiment que le film fait partie d'une ‘conspiration musulmane’ contre la majorité bouddhiste du Myanmar.

On a assisté ces dernières années à un regain [fr] d'extrémisme religieux dans différentes régions du Myanmar, qui a provoqué des affrontements, des émeutes et autres formes de violences. La minorité musulmane est notamment persécutée et accusée par des groupes d'extrémistes bouddhistes de vouloir ‘dominer’ le Myanmar. Les propos haineux prononcés contre les musulmans salissent [fr] le web, ils sont activement partagés ainsi que des échanges de vues intolérants contre les minorités religieuses et ethniques.

Min Htin Ko Ko Kyi, l'un des organisateurs du festival, explique [my] pourquoi le film a été retiré de la programmation:

Ce festival n'a pas pour objet de créer des conflits. Je ne peux pas laisser se développer une atmosphère haineuse et conflictuelle. Ce n'est pas ce que nous souhaitions, nous avons donc décidé d'annuler la projection.

Mais il défend le film et le thème du film lors d'un entretien [my] avec la BBC birmane:

Ce film parle d'une relation amicale, d'aide mutuelle, de protection et de gentillesse entre deux voisines de confessions différentes.

Selon l'un des organisateurs, on a menacé d'incendier le cinéma, de tuer le directeur et de provoquer de nouvelles émeutes s'ils persistaient à programmer la projection du film. Le 15 juin, un article critique à l'égard du film et comportant des propos haineux est devenu viral [my]. L'article laisse entendre que le film est favorable aux musulmans.

On a entendu dire que ce film avait été financé par l’ [Organisation de la Conférence Islamique]. Inutile de voir le film puisqu'il est évident qu'il est en faveur des musulmans s'il est financé par les musulmans. […]

L'article accuse aussi les activistes pour les droits humains d'opportunisme en faisant la promotion d'un film ‘partial':

[…] Je voudrais seulement savoir si la morale du film est du côté des droits humains ou des droits des Kalars [sic]. Maintenant, si l'on part du fait qu'il n'y a pas de position objective, quel activiste des droits humains peut détenir la vérité? Ils vont surement se taire. Si je peux me permettre d'exprimer mon opinion, les activistes des droits humains sont des opportunistes.

L’interview [my] de Min Htin Ko Ko Kyi à la BBC birmane explique les raisons qui ont poussé les organisateurs à céder à la pression des forces anti-musulmanes:

Je n'ai pas de commentaires à faire sur les propos haineux, car la situation de notre pays est très sensible. Il y a aussi des gens qui veulent créer des conflits. Et nous ne faisons pas ce festival pour provoquer des conflits. Si je dois choisir entre la bonne tenue de notre festival, le film que nous produisons ou notre pays, je choisirai notre pays qui se trouve dans un situation très sensible. Je ne critiquerai pas les personnes ou les organisations.

Selon David Scott Mathieson de Human Rights Watch, le retrait du film a gâché le succès du festival qui bat tous les records tout en ayant eu le courage de choisir le thème des droits humains:

Du fait même de son existence, le festival est la preuve d'un engagement contre les divisions et la haine. Mais la réaction de certains birmans montre aussi que la lutte pour les droits humains en Birmanie a encore du chemin à parcourir.

L'ambassadeur des Etats Unis, Derek J. Mitchell, qui assistait à l'évènement, a parlé de la défense de la liberté d'expression et a fait allusion aux menaces en ligne contre les organisateurs:

Il y aura toujours des gens moins courageux qui se sentent menacés par des paroles qu'ils n'apprécient pas, ou une histoire qui n'est pas conforme à leur façon de penser.

Cet état d'esprit étroit et frileux est le contraire de ce qu'est ce festival. Tous ceux qui reconnaissent les qualités et la signification de l'évènement doivent s'opposer à l'utilisation des menaces et des intimidations pour contrôler la liberté d'expression et censurer les artistes.

L'incident est la dernière manifestation de l'intolérance religieuse grandissante et inquiétante qui règne au Myanmar. Si un film sur l'amitié peut provoquer si facilement des réactions hostiles, que dire des initiatives politiques comme l'intégration, la laïcité et la non-discrimination?

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