Escarmouches frontalières répétées entre Kirghizistan et Tadjikistan

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Les frontières sont problématiques en Asie Centrale. Barbelés – photo Wikipédia.

Nouvelle semaine et nouvelles violences à la frontière entre Kirghizistan et Tadjikistan. Comme d'habitude, l'interprétation des gouvernements, médias et internautes respectifs diffèrent largement.

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A la frontière entre Kirghizistan et Tadjikistan. Photo knews.kg. Utilisée avec permission.

Selon les responsables kirghizes, la situation à la frontière kirghizo-tadjik, où un ressortissant tadjik a été tué et sept autres blessés dans une fusillade le 10 juillet, est de nouveau stable. Jeudi dernier, un affrontement armé entre gardes-frontières des deux pays a éclaté sur un territoire disputé de l’oblast de Batken près du poste-frontière de Tamdyk. Les représentants du service des frontières du Kirghizistan ont déclaré que les gardes-frontières kirghizes ont agi dans le cadre de leur mandat légal quand des citoyens tadjiks ont enfreint la réglementation frontalière :

Перестрелка была спровоцирована “неправомерными действиями граждан Таджикистана” – около 30 человек предприняли попытку проложить трубопровод с территории Кыргызстана (река Каравшин) в село Бедак таджикского анклава Ворух. Кыргызстанский пограничный наряд, прибыв на место, потребовал прекратить все работы в связи с тем, что участок является неописанным. В ответ, как сообщается, граждане Таджикистана забросали пограничников камнями, и те были вынуждены произвести предупредительные выстрелы в воздух. После этого пограничный наряд Таджикистана, находившийся неподалеку от места инцидента, открыл огонь по кыргызским пограничникам. В результате завязалась короткая перестрелка.

La fusillade a été provoquée par les “activités illégales de citoyens du Tadjikistan”. Une trentaine d'individus ont entrepris la construction d'une conduite [d'eau reliant le territoire] du Kirghizistan (le fleuve Karavchine) au village de Bedak dans l'enclave tadjik de Voroukh. Les gardes-frontières kirghizes qui se trouvaient là ont exigé l'interruption de tous travaux [sur la conduite] car le terrain n'est pas délimité. Selon les informations, les citoyens du Tadjikistan ont riposté en lançant des pierres sur les gardes-frontières, et ceux-ci ont été contraints à des tirs de sommation. A la suite de quoi des gardes tadjiks se trouvant non loin du lieu de l'incident ont ouvert le feu sur les gardes-frontières kirghizes. S'est alors engagée une brève fusillade.

Le ministère tadjik des affaires étrangères ne l'a pas entendu de cette oreille, et a envoyé cette note au gouvernement kirghize :

10 июля в 11.30 местного времени на территории земель, отведенных Кооперативному хозяйству «Ворух» Исфаринского района Республики Таджикистан, гражданами Таджикистана проводились работы по прокладке трубопровода. Подошедшие к ним кыргызские пограничники, несущие службу на посту «Тамдык», расположенном на несогласованном участке границы, стали вести себя вызывающе по отношению к мирным жителям, всячески оскорбляя их и выдвигая незаконное требование прекратить работы и покинуть местность. Находившиеся неподалеку таджикские пограничники, подошедшие для выяснения обстоятельств, попытались пресечь действия  своих кыргызских коллег. В ответ последние внезапно открыли прицельный огонь из автоматического оружия. В результате этого, 7 мирных граждан и один пограничник Республики Таджикистан получили огнестрельные ранения. Один гражданин Республики Таджикистан от полученных ран скончался на месте происшествия. Следует отметить, что таджикские пограничники не произвели ни одного выстрела.

[…] Les gardes-frontiières kirghizes ont agi agressivement envers les citoyens du Tadjikistan et leur ont ordonné illégalement de stopper les travaux dans la zone. Quand les garde-frontières tadjiks sont arrivés et ont demandé à leurs confrères kirghizes de cesser leurs actes illégaux, les gardes kirghizes ont ouvert le feu sur les citoyens tadjiks. La fusillade a blessé 7 citoyens du Tadjikistan. IIl faut noter que les gardes-frontières tadjiks n'ont pas tiré un seul coup de feu.

Le service national des frontières kirghize n'est pas de cet avis et maintient que les gardes-frontières tadjiks ont ouvert le feu sur leurs homologues kirghizes au poste frontière de Tamdyk.

Mais à qui appartient la zone ?

Au coeur du problème, il y a la non-délimitation des frontières floues datant de l'époque soviétique. Dans ce qui a été interprété comme une ruse stalinienne, l'Union Soviétique a créé des poches de territoire kirghize, tadjik et ouzbek hors du territoire principal de ces républiques. D'où l'existence de ces “exclaves” dont les habitants veulent relier les villages à leurs “patries” tandis que les habitants de la “métropole” veulent construire des infrastructures de contournement pour s'épargner les tracasseries d'un passage de frontière.

Dans son blog d'Eurasianet Inside the Cocoon, le journaliste David Trilling a expliqué le rapport entre l'incident du 10 juillet et un autre échange de tirs au même endroit quelques mois auparavant.

Les tensions ont monté dans les zones disputées autour de Voroukh et du village kirghize de Ak-Sai (voir carte) ces dernières années, avec l'accroissement démographque et la volonté des deux gouvernements d'avoir des frontières nationales nettes dans une région où il n'y en avait jamais eu. En janvier, les disputes sur la construction d'une route kirghize ont mené à une fusillade d'une heure entre gardes-frontières, qui a laissé au moins sept blessés sur le carreau. Les Kirghizes disent que les Tadjiks ont tiré des obus et ont essayé de détruire un petit barrage.

Si, sans surprise, les habitants de ces zones frontalières n'ont pas accès à Internet, les citadins tadjiks et kirghizes ont des discussions animées sur la détérioration de la situation sur leur frontière commune. Citoyenne kirghize, Kanykei Toichubekova a commenté sur la page Facebook du journal Vecherni Bishkek :

Мы что кыргызы, теперь и на своей территории, не можем строить дороги. Чушь, полная, мне интересно как это таджики могут указывать, нам что делать? Пусть у себя на территории делают, что хотят.

Nous sommes Kirghizes, et nous ne pouvons pas construire une route sur notre territoire ? C'est complètement débile, je voudrais savoir comment ces Tadjiks peuvent nous dire quoi faire ? Qu'ils fassent ce qu'ils veulent sur leur propre territoire.

Le 11 juillet, Tajikistan a exigé du Kirghizistan qu'il ôte son poste-frontière dans la zone, ce qui a renouvelé l'ire de patriotes kirghizes comme Rafael Aidekov, qui accusent leurs voisins tadjiks de s'approprier de plus en plus de territoire kirghize :

 Они скоро свое белье в Белом доме будут вешать

Bientôt ils étendront leur lessive dans notre palais pésidentiel.

Les Tadjiks ont réagi avec la même colère sur Asia Plus, un site d'information indépendant au Tadjikistan :

Сколько можно терпеть беспредельный с киргизкой стороны ? Почему наши власти не принимают каких либо адекватных мер Прошу редакцию Азии Плюс расследовать эти инциденты Когда наша страна встанет с колен перед всеми

Jusqu'où pourrons-nous tolérer l'absence de limites du côté kirghize ? Pourquoi nos autorités ne prennent-elles aucune mesure adéquate ? Je prie la rédaction d'Asia d'enquêter sur ces incidents où notre pays s'agenouille devant tous

Un autre lecteur du site a pourtant invité les commenteurs à éviter la provocation et appelé à l'unité des musulmans pendant le saint mois du ramadan :

Кто-нибудь из вас когда-нибудь был на этом месте? в наше время пока не увидите своими глазами не верьте что пишут. вашу необоснованную ненависть могут третьи силы использовать в своих интересах. Рамадан мубарак!

Qui de vous a déjà été là-bas ? A notre époque, tant que vous n'avez pas vu de vos propres yeux ne croyez pas ce qui s'écrit. Votre haine sans fondement peut servir les intérêts de forces tierces. Heureux Ramadan !

Les procureurs généraux du Tadjikistan et du Kirghizistan ont annoncé l'ouverture d'enquêtes respectives sur l'affrontement du 10 juillet à la frontière des deux pays.La commission paritaire tadjike-kirghize constituée en janvier pour prévenir de nouveaux conflits frontaliers n'a  encore obtenu que de modestes  résultats. 600 km seulement des 900 que compte la frontière kirghizo-tadjike ont délimités à ce jour.

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