Le récit de mort et de dévastation d'un jeune homme de Gaza, survivant de l'attaque de Khuza'a

Evacuation warning from Israeli army.

Avis d'évacuation de l'armée israélienne.

L'armée israélienne a attaqué et occupé le village de Khuza'a, à l'est de Khan Younis dans le sud de la bande de Gaza, à partir de la semaine du 21 juillet. Le nombre de Palestiniens tués ou blessés n'est toujours pas connu, car pendant plusieurs jours les ambulances ont été empêchées de pénétrer dans le village et les corps étaient abandonnés dans la rue ou sous les décombres des maisons.

Un étudiant, Mahmoud Ismail, a survécu à l'assaut, et a tweeté ce qu'il a vu. Il vient de publier un récit plus complet sur Facebook.

Le 20 juillet, l'armée israélienne a téléphoné à la plupart des habitants de Khuza'a et envoyé des textos, leur ordonnant de quitter le village. Ils ont aussi interrompu les programmes de la télévision Al Aqsa pour passer un avertissement d'évacuation.

1.100 personnes ont été tuées à Gaza et des milliers blessées depuis qu'Israël y a lancé son opération militaire il y a près de trois semaines. Alors que le bilan des victimes civiles s'alourdit, l'armée israélienne se targue d'avertir les Gazaouis vivant dans les zones visées de partir, mais les Palestiniens n'ont nulle part où aller. L'étroite bande côtière de 40 kilomètres de long est entourée de barrières et de murs de béton au long de ses frontières, nord et est avec Israël et sud avec l'Egypte.

Des 10.000 habitants de Khuza'a, environ 7.000 sont partis. Ismail explique pourquoi certains sont restés :

كنّا ثلاثة آلاف شخص قرّر كل واحد فينا، وبشكل فردي، تجاهل كل التهديدات وأوامر الإخلاء والبقاء في بيوتنا. ليس في ذلك أي بطولة. كل ما في الأمر أن فينا من كان يمكن أن يصاب بانهيار عصبيّ لو نام في غير سريره، وآخر كان أكثر كسلاً ممّا تتطلبه عملية الإخلاء. وآخرين، مثلي، لم يرون في اسوأ خيالاتهم السيناريو الذي كان يترصّدهم بعد ساعات قليلة.

Nous étions 3.000 à avoir, séparément, décidé d'ignorer toutes les menaces et ordres d'évacuer, et de rester dans nos maisons. Ce n'était pas par héroïsme ; certains d'entre nous auraient fait une dépression nerveuse s'il leur avait fallu partir, certains n'avaient simplement pas l'énergie nécessaire pour sortir. D'autres, comme moi, ne pouvaient imaginer même dans leurs pires cauchemars le scénario qui allait se dérouler quelques heures plus tard.

Khuza’a jouxte la frontière israélienne. La localité avait été lourdement attaquée par les forces israéliennes pendant l'opération Plomb Fondu en 2009, et le rapport Goldstone avait ensuite documenté que les snipers israéliens avaient abattu des civils et que les ambulances étaient empêchées d'emporter les blessés. Pendant la toute dernière attaque, l'armée israélienne a de nouveau empêché les ambulances d'entrer dans le village et visé les civils, selon l'ONG de Gaza Centre for Human Rights. Le site juif progressiste Mondoweiss a rapporté que les survivants ont vu l'armée utiliser les Palestinians comme boucliers humains.

Ismail décrit le début de l'attaque :

الغارة الأولى قطعت الطريق التي توصل خزاعة بخانيونس. الثانية ضربت محولات الكهرباء. الثالثة أبراج شركة المحمول. الرابعة خطوط الهاتف الأرضي. نحن وحدنا وليل خزاعة حالك والقصف لا يتوقف. الطيران يعضّ كل شيء. زجاج الشبابيك يتساقط. الشظايا تغزّ بيتك وكل ما هو حولك. تحتمي في مكان تعتقد أنه أقل خطورة وتأخذ وضعيّة تعتقد أنها ستحميك. تحصي الغارات والاحتمالات: هل هذا الصوت لصاروخ في طريقه لنا؟ هل هذه القذيفة في البيت؟ لماذا لم تنفجر؟ هل استهدفت بيت فلان؟ المسجد الفلاني؟ هذه غارة إف 16، هذا قصف مدفعي. ليلة كاملة تحاول أن تحافظ فيها على عقلك وتمالك ما تبقى من أعصابك.

في الصباح قالوا اخرجوا. الصليب الأحمر على مدخل البلدة سيؤمن خروجكم، اخرجوا، الجيش لا يريد إلحاق الأذية بكم، العملية تستهدف بيوتكم وشوارعكم وأراضيكم وكل نواحي حياتكم، لكن حياتكم ليست هدفًا. خرجنا مع الثلاثة آلاف. مشينا في حشدٍ مهيب كما مشى سكان الشجاعيّة قبل أيام وكما مشى أجدادنا قبل 66 عامًا. نمشي، وعيوننا تفحص داهشة حجم الدمار الذي يمكن لقصف ليلة واحدة أن يتسبب به، نمشي كأننا نودّع كل ما تبقى. لكن هذا كلّه لا يهمّ، تجمّد مشاعرك وتركّز على قدميك. تصل إلى حيث قالوا. تجد رصًا من الدبابات ولا شيء آخر. لا تكاد تشعر بالفخ قبل أن يدوّي الرصاص في كل مكان.

ثم ماذا؟ ثم ضربٌ وصراخ ولغوٌ وجدل.

Le premier raid était sur la route vers Khan Younis, isolant Khuza’a. Le second a touché les transformateurs électriques. Le troisième, les tours de téléphonie mobile. Le quatrième, les lignes terrestres. Nous étions seuls, il faisait nuit noire à Khuza’a, et le bombardement ne cessait pas. Les avions pilonnaient tout. Le verre tombait des fenêtres, les éclats d'obus volaient dans les maisons et tout autour de nous. Nous nous sommes abrités dans un endroit que nous avons cru moins dangereux, en prenant une position dont nous avons cru qu'elle nous protégerait. Nous comptions les attaques et calculions les probabilités : est-ce le son d'un missile qui arrive sur nous ? Cet obus est-il dans la maison ? Pourquoi il n'a pas explosé ? La maison d'untel est-elle visée ? Telle-ou-telle mosquée ? Ceci est une attaque de F16, et ça, un bombardement d'artillerie. Toute la nuit a passé à essayer de garder notre raison et ce qui restait de nos nerfs.

Au matin ils nous on dit de sortir, que la Croix Rouge à l'entrée du village garantirait notre retraite. Sortez, l'armée ne veut pas vous faire de mal ; l'opération vise vos maisons, vos rues, votre terre et chaque aspect de votre vie, mais vos vies elles-mêmes ne sont pas la cible. Trois mille d'entre nous sont sortis. Nous marchions en une foule aussi massive que celle de Shuja’iya quelques jours auparavant, comme celle de nos aïeux il y a 66 ans. En marchant, nous avons vu avec stupeur l'ampleur des destruction d'une seule nuit. Nous marchions comme si nous faisions nos adieux à ce qui restait. Mais ce n'était pas l'important ; il fallait geler ses sentiments et se concentrer sur ses pieds.

Nous avons atteint le point où ils nous avaient dit d'aller, et avons trouvé une ligne de chars, et rien d'autre. Nous venions de comprendre que c'était un piège quand ça a commencé à tirer de tous les côtés.

Et ensuite ? Les gens fauchés, les cris, le chaos total.

Ismail, sa mère et son frère se sont réfugiés dans une maison proche :

كنّا ثلاثة آلاف، صرنا خمسون شخصًا. تجمّعنا في بيتٍ واحد. نصفنا ليس من أهل البيت لكن هذا أيضًا لا يهمّ. توزعنا بين ثلاث غرف كي لا نموت معًا إن حانت اللحظة. (نعم، يراوغ الانسان عقله في لحظات كهذه ويقنعه أن حائطًا قديمًا يفصل بين غرفتين يمكن أن يحدّ من الخسائر التي سيتسبب بها صاروخ أطول من أطولنا وأثقل منّا مجتمعين).

في الغرفة معي كان عجوزان يهيّجان أزمتي النفسية: أحدهما بمفاضلته بين الحروب التي عاصرها في حياته والآخر بإلحاحه المستمر على شربة ماء قبل آذان الصيام متناسيًا للمرة الألف أن قطرة ماء واحدة لم تتبقى في البيت بعد استهداف الجيش لخزّانات المياه. الأطفال يمارسون دورهم الطبيعي في الحياة: البكاء خوفًا، البكاء مللاً، البكاء عطشًا. المهم أن يبكوا. الآخرين، وأنا منهم، نستمع إلى نثار حديث العجوزين بصمت وملل ونطالع الشبّاك والساعة في انتظار الصباح. (ثمّة، على ما يبدو، خرافة لا أدري مصدرها تقول أن احتمالات الموت تتضاءل وأن القصف تقل وتيرته مع أول خيط للضوء. لكنها، كما كل الخرافات، غير ملزمة بتوقعاتك منها وباسقاطاتك عليها).

Nous étions 3.000 ; à présent nous étions 50. Nous nous sommes rassemblés dans une seule maison. La moitié d'entre nous n'étions pas de la famille de la maison, mais ça ne faisait rien. Nous avons été répartis sur trois chambres, pour que nous ne mourions pas ensemble si le moment venait. (Oui, les gens perdent leur bon sens dans des moments pareils et se persuadent que le vieux mur entre deux chambres pourrait limiter les pertes dues à un missile plus grand que chacun d'eux et plus lourd qu'eux tous ensemble.)

Dans notre chambre il y avait deux hommes âgés qui m'ont rendu encore plus angoissé, l'un qui comparait la situation avec les autres guerres qu'il avait connues, et l'autre à vouloir absolument boire de l'eau avant l'appel à la prière, oubliant qu'il ne restait pratiquement plus d'eau dans la maison après que l'armée avait visé les citernes. Les enfants faisaient ce qu'ils font d'habitude : pleurer de peur, pleurer d'ennui, pleurer de soif. L'important est qu'ils pleuraient. Les autres, moi y compris, écoutaient en silence et ennui les bribes de bavardage des vieillards, regardaient par la fenêtre et l'heure, dans l'attente du matin. (On dirait qu'il y a un mythe, dont j'ignore l'origine, qui dit que la probabilité de mourir baisse et que le bombardement décroît aux premières lueurs. Mais comme avec tous les mythes, vos attentes seront déçues.)

Ismail raconte avoir dû regarder agoniser pendant des heures un homme de 20 ans, que personne ne pouvait aller secourir. Deux des cousins d'Ismail sont morts, l'un avait essayé de secourir l'autre.

طلع الضوء وسقط الصاروخ الأول على درج البيت. اسوأ من صوت الإنفجار؟ صمت ما بعد الانفجار. أو ما تخونك أذنيك به فتظنه صمتًا. تشظّى كل شيء. اللون الرمادي هو كل ما تراه. لحظات ليعود لك سمعك وينقشع الغبار. الخوف يتحوّل إلى جثث واللون الأحمر يفضّ الرمادي. أمّك وأخوك؟ لا زالوا أحياء. تعود لقدميك، بعد ستة عشر ساعة خمول، وظيفتهما الأولى: الركض. تبتعد عن المكان، يسقط الصاروخ الثاني. تصفّر شظاياه في أذنيك، تتأكد أنك بخير. تهرب إلى بيتك، دقائق ويقصف بيتك. تهرب مجددًا. الكثير من الناس تتحرّك في الكثير من الاتجاهات. ترسم المروحيّة في السماء لك بطلقاتها طريق المنفذ الوحيد. تركض إليه. تركض كأن حياتك تعتمد على ذلك، لأن حياتك بالفعل تعتمد على ذلك. تركض فوق الذين سقطوا، تركض بجانب الجثث، عينٌ على الدمار والطريق المفخّخة بالحفر وعين على عائلتك التي تذوب في السيل الجاري.

La lumière est apparue et le premier missile a atterri sur les marches de la maison. Qu'est-ce qui est pire que le bruit d'une explosion ? Le silence d'une explosion. Ou ce qui trompe vos oreilles en vous faisant croire que c'est le silence. Tout se désintègre. Vous ne voyez que du gris. Il faut du temps pour que vous entendiez à nouveau et que la poussière retombe. La peur se transforme en cadavres, et du rouge rompt le gris. Votre mère et votre frère ? Encore vivants. Vous vous remettez sur vos pieds, restés inactifs depuis seize heures, et leur première tâche est de courir. Vous fuyez l'endroit juste avant que le deuxième missile tombe. Les éclats vous sifflent aux oreilles, et vous vérifiez que vous êtes entier. Vous fuyez vers votre maison, et quelques minutes après votre maison est touchée. Vous fuyez à nouveau. Il y a beaucoup de gens qui courent dans beaucoup de directions. Par ses tirs, l'hélicoptère dans le ciel trace la seule voie pour fuir. Vous courez vers elle. Vous courez comme si votre vie en dépendait, parce que votre vie en dépend en effet. Vous courez par-dessus ceux qui sont tombés, vous courez en longeant les cadavres, avec un oeil sur la destruction et la rue bombardée pleine de trous, et un oeil sur votre famille qui se dissout dans le mouvement de population.

Ismail n'a pas su précisément ce qui est advenu des autres gens de la maison où il s'était abrité — seulement que ses chaussures étaient imbibées de leur sang. Après avoir fui cette maison, lui et sa famille ont réussi à atteindre leur domicile, frappé par trois missiles quelques minutes après. Il a été légèrement blessé.

Sa mère, son frère et lui ont ensuite tenté de quitter le village. Des hélicoptères tiraient sur les gens, et en chemin il a vu les corps de son oncle et son cousin à côté de leur maison. Les tireurs d'élite israéliens visaient aux jambes pour empêcher les gens de partir.

خرجت وعائلتي والكثير من العائلات من خزاعة. كيف؟ حالفنا الحظ. لماذا؟ لا أملك أدنى فكرة. الأهم أن ثمة من بقيوا هناك، وأن الجثث لا زالت حتى هذه اللحظة في الشوارع وتحت الأنقاض. كم عددهم؟ قد يكون 20، 50، 100.. لا أحد يعرف بشكل أكيد، وهذا هو الأمر الوحيد الأكيد. الصور الوحيدة التي خرجت من خزاعة حتى اللحظة كانت مقتضبة ومصدرها الجيش الإسرائيلي وتظهر مشاهد دمار تحشي الصدر بالحقد وتدمي القلب وتنبئ بأن الأيام الهادئة لهذه القرية الوادعة ولأهلها الطيّبين لن تعود عمّا قريب.. وربما للأبد.

Ma famille et moi, et d'autres familles, avons réussi à sortir de Khuza’a. Comment ? Nous avons eu de la chance. Pourquoi ? Je n'en ai pas la moindre idée. Plus important, les corps de ceux qui sont restés sont toujours dans les rues et sous les décombres. Combien y en avait-il ? 20, 50, 100 peut-être ? Nul ne le sait. Les quelques images sorties de Khuza'a jusqu'à présent proviennent de l’armée israélienne, et montrent des scènes déchirantes de destruction qui vous remplissent la poitrine de haine, et laissent penser que la tranquillité de ce village et de ses habitants ne reviendra pas avant longtemps – ou peut-être jamais.

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