Premier jour de cessez-le-feu à Gaza, visite d'un abri sous la super Lune

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Avec 3.000 autres Gazaouis déplacés, Ghadeer, 32 ans, vit dans un abri de fortune avec ses trois enfants depuis que les bombardements israéliens ont détruit sa maison. Le bombardement l'a condamnée au fauteuil roulant. Photo de l'auteur.

Les bombes se sont tues à Gaza pour un nouveau cessez-le-feu humanitaire de 72 heures, et Dalia Alnajjar, 20 ans, se risque à l'extérieur pour rencontrer les familles qui vivent dans un abri de fortune surpeuplé. Au moins 1.900 Palestiniens ont été tués, plus de 10.000 ont été blessés et 450.000 sont déplacés depuis l'offensive massive menée par Israël depuis le 8 juillet contre Gaza.

‏‏11 août 2014 : trois jours de combats et 3 jours de répit. Voilà comment cela se passe. Nous civils n'avons pas notre mot à dire, on nous tue et on détruit nos maisons. Nous supportons en silence.

On dirait qu'Israël et les combattants jouent à un jeu vidéo. Ils font une pause quand ils ont envie de parler ; des conversations qui ne nous apportent rien que du désespoir.

Dès que le cessez-le-feu est entré en vigueur, le calme a régné sur l'étroite bande de 40 km de long, un calme ponctué du bourdonnement des drones.

En quelques heures les rues ont repris vie. Les enfants ont cessé de s'accrocher à leurs mères pour jouer dehors.

On pouvait voir une lueur d'espoir dans les yeux des gens.

Les jeunes de Gaza veulent faire quelque chose pour aider, même si eux aussi ont un besoin criant d'aide et de soutien psychologique. Beaucoup cherchent des abris pour les enfants. Certains réparent les habitations détruites et d'autres vont aider sur les zones sinistrées.

‏Je décide d'utiliser les quelques heures qui me restent sur cette première journée de cessez-le-feu pour visiter l'une des nombreuses écoles transformées en abris de fortune. Actuellement plus de 220.000 Gazaouis sur une population de 1,8 million sont inscrits dans les 89 abris des Nations Unies, la plupart situés dans des écoles.

J'étais d'accord pour y aller avec un ami un peu plus tard dans la semaine, mais personne ne sait si le cessez-le-feu sera maintenu. Je ne voulais pas manquer cette opportunité de rendre visite aux personnes déplacées et partager leurs souffrances.

‏Il était 19h quand je me suis décidée à y aller. Ma mère a fait ce qu'elle pouvait pour m'en dissuader en me disant qu'il était tard et que c'était de la folie. Mais elle n'a pas réussi à me convaincre.

‏Alors que le soleil se couchait sur Gaza pour aller éclairer d'autres lieux, il nous a plongé dans l'obscurité de l'injustice et de la nuit. On n'a pas beaucoup d'électricité à Gaza, depuis que les avions israéliens ont attaqué le 28 juillet notre seule usine électrique.

Le soleil brille sans doute pour d'autres ailleurs dans le monde, où d'heureux enfants profitent de leurs vacances.

Children playing in the dark outside the shelter

Des enfants jouent dans l'obscurité à l'extérieur de l'abri. Photo de l'auteur.‏

Quand je suis arrivée l'école était surpeuplée de visages tristes et de coeurs inquiets.

La première chose que j'ai vue c'était des enfants qui jouaient sur une balançoire bricolée, faite d'une planche en bois sur la barrière. Je leur ai parlé et ils n'ont cessé de me demander si je faisais partie d'une organisation d'aide humanitaire ; ils ont été très déçus que non.

‏Puis je suis allée au secteur 8 où 18 familles s'entassaient. Là j'ai parlé à Heba Abu Taiema, 34 ans, mère de deux filles et quatre garçons. Ils étaient dans cette école depuis plus de 30 jours. On lisait une grande souffrance sur son visage et dans ses yeux.

“On venait de déjeuner quand tout à coup une pluie de bombes s'est mise à tomber sur notre maison et les maisons alentours. Nous avons appelé la Croix Rouge et demandé que les ambulances viennent nous chercher mais elles ne pouvaient pas aller jusqu'à nous à cause du bombardement ininterrompu, ” raconte Heba. “Nous n'en pouvions plus. les enfants hurlaient et avaient très peur alors nous sommes partis à pied en faisant attention et en longeant les maisons jusqu'à ce que nous trouvions un endroit plus sûr.”

Elle continue en m'expliquant que des hommes blessés étaient restés sur place et que des femmes ont décidé de retourner les aider. Elles ont brandi un drapeau blanc et se sont dirigées vers les hommes, elles ont vu que les hommes bougeaient mais c'est alors que les soldats israéliens se sont mis à tirer sur les femmes qui ont dû rebrousser chemin.

Quatre jours plus tard, on a retrouvé les hommes morts. Ils ont perdu tout leur sang. L'un des morts était le beau-frère d'Heba. Il avait passé six ans dans les prisons israéliennes. Il était père de cinq filles, la dernière âgée de 11 mois. Son frère était mort du cancer en Egypte. Il était arrivé trop tard en Egypte car la frontière de Rafah était fermée. Heba raconte que sa belle-mère a perdu la vue à force de pleurer. Elle a perdu tous ses fils sauf un.

Elle parle du cauchemar de vivre dans cette école.

“On manque cruellement d'eau. Tous les jours je vais à l'hôpital pour en chercher, je la porte l'eau sur 500 mètres sous un soleil écrasant. Quand on veut prendre une douche on va dans les hôpitaux. Il n'y a pas d'électricité. Je n'ai plus de batterie pour mon téléphone depuis une éternité, et je ne peux pas appeler ma famille en Jordanie.” Et Heba poursuit “ils doivent être très inquiets car je suis leur fille unique.”

A child sleeping on a make-shift pillow made of a bag of clothes in Heba's room. Photo by author.

Dans la chambre d'Heba, un enfant dort sur un oreiller de fortune  fabriqué à l'aide de sacs de vêtements. Photo de l'auteur.

‏Ils dorment tous par terre, sauf les femmes enceintes, les personnes de plus de 65 ans et les handicapés qui dorment sur des matelas.

Je l'ai remerciée de m'avoir raconté son histoire et me suis dirigée ver le secteur 5 qui accueille 98 personnes.

Ghadeer's daughters insulin shots.

Les seringues d'insuline de Nisyona, la fille de Ghadeer. Photo de l'auteur.

Là j'ai rencontré une femme charmante dans un fauteuil roulant. Ghadeer Abu Latifa, âgée de 32, est mère de trois enfants. Elle a été blessée suite au bombardement d'une maison de deux étages dans laquelle sa famille avait trouvé refuge. Son mari est en Belgique où il est soigné après avoir été blessé lors d'une précédente offensive des forces armées israéliennes contre Gaza.

Sa seule fille, Nisyona, est diabétique. Sa maladie a été diagnostiquée quand elle avait cinq ans. Cette année-là les bulldozers israéliens ont détruit leur maison alors qu'ils étaient à l'intérieur. “Ne me tuez pas, ne nous tuez pas,” Ghadeer se souvient des cris de sa fille ce jour-là.

Elle dit que les personnels de l'école font ce qu'ils peuvent pour venir en aide aux 3.000 personnes qui s'y trouvent, mais c'est difficile de satisfaire tout le monde.

Elle me remercie, moi et les jeunes volontaires, d'essayer de venir en aide aux Gazaouis déplacés.

“Vous voir nous sourire, écouter nos tristes récits et nous réconforter c'est ce qui nous redonne espoir. Nous savons que Gaza s'en sortira tant qu'elle aura une jeunesse ambitieuse et attentionnée comme vous,” me dit Ghadeer avec un triste sourire.

J'ai quitté l'école à 10 heures du soir. Je ne trouvais pas de transport et j'ai marché seule sous une magnifique pleine lune en pensant à leurs souffrances.

En fait, les choses les plus tristes sont les plus difficiles à raconter parce que les mots nous manquent pour les dire.

Avec mes mots je peux rendre tangibles leurs souffrances, mais leur tristesse est infinie. Les mots ne pourront jamais décrire la souffrance que ces gens supportent et vivent. Avec les mots je ne peux donner qu'un faible aperçu de leurs souffrances.

Dalia Alnajjar étudie la gestion à Gaza. Elle tient un blog parce qu'elle estime “qu'en tant que Palestinienne elle se doit de dire au monde à quoi ressemble la vie à Gaza” et “que personne d'autre ne peut mieux en parler que nous.” A cause des restrictions excessives imposées par Israël aux territoires de Gaza et à la Cisjordanie, le monde et les Nations Unies considèrent que ces territoires sont occupés par Israël. C'est la troisième opération militaire d'Israël à Gaza en 6 ans. Pour plus d'informations consultez notre dossier Un nouveau cessez-le-feu à Gaza meutrie par la guerre [en anglais].

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