L'opposition russe veut tester la popularité de Poutine en mars

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Illustration Kevin Rothrock.

L'opposition politique russe fait face ces derniers temps à une sorte de siège, sans cesse repoussée à la périphérie par la vague de patriotisme qui se répand à travers le pays.

Le président Vladimir Poutine, de son côté, surfe sur une popularité que n'importe qui peut lui envier – du moins, si l'on en croit un sondage du “Centre Levada”. Suite à sa décision d'annexer la Crimée, en mars 2014, la cote de popularité de Poutine s'est envolée jusqu'à flirter avec les 85% – et elle se maintient depuis à ces hauteurs.

Cependant, l'année qui commence pourrait bien apporter à Poutine plus de problèmes que ne le laisse croire cette cote astronomique.

La chute des prix du pétrole et les sanctions occidentales liées à la situation en Ukraine ont contribué à un ralentissement de l'économie russe. Le mois dernier, la Banque mondiale a corrigé les prévisions pour le PIB russe de 2015 à la baisse : – 2,9%. La rébellion largement liée au Kremlin qui couve à l'est de l'Ukraine s'est réveillée [en anglais] de nouveau au milieu de l'hiver, provoquant toujours plus de morts et de destruction.

Sans doute dans le dessein de tester la solidité du soutien à Poutine à la lumière des derniers événements, l'opposition russe a dévoilé son projet de lancer le 1er mars une marche “anticrise”.

Alexeï Navalny et sa femme Ioulia. 12 juin 2013. Photo P. L. Bogomolov, CC 3.0.

Le 27 janvier, le leader de l'opposition Alexeï Navalny a publié sur son site  un appel aux Russes à se joindre à lui pour manifester “sous le drapeau russe” le 1er mars. Il ajoute que toutes les démarches administratives indispensables seront remplies pour que cette marche représente un événement-sanction dans le centre de Moscou, pour lequel il prévoit 100 000 personnes.

Pour le moment, la marche est sponsorisée par les groupes d'opposition suivants : le propre parti de Navalny, le Parti du progrès, le RPR-Parnas (c'est sous cette étiquette que Navalny s'est présenté aux élections municipales à Moscou en 2013), le Parti du 5 décembre et Solidarnost.

Suivant les déclarations de Navalny, cette marche “anticrise” se fera en soutien à une série de mesures qui forment “une base pour une plateforme positive autour de laquelle nous pouvons tous nous réunir… [et] sans quoi la Russie ne pourra pas sortir de la crise”. La liste porte un certain nombre de revendications :

Revendications de la Marche anticrise de “Printemps” du 1er mars 2015

Le régime en place, nourri pendant des années par l'argent du pétrole, a mené le pays dans l'impasse et se trouve en faillite complète. Poutine et son gouvernement sont inaptes à sortir le pays de la crise et doivent s'en aller. Nous exigeons l'adoption de mesures anticrise qui soient soutenues par la population et par un large front de forces politiques.

Revendications politiques:

  • La libre inscription sur les listes électorales pour les partis et candidats d'opposition. Tenue d'élections équitables, formation de nouvelles commissions électorales représentatives de tous les participants.
  • La cessation immédiate de la guerre et de toutes formes d'agression envers l'Ukraine.
  • Les fonctionnaires notoirement corrompus tels les frères Rotenberg et Timchenko ou encore les Setchine, Serdioukov et Iakounine doivent être traduits en justice. Nous exigeons que soit pris un décret contre l'enrichissement illégal des fonctionnaires.
  • Arrêter la propagande hystérique dans les médias et supprimer la censure. Pour commencer, accorder à l'opposition une heure d'antenne par semaine sur l'une des chaînes principales de télévision
  • La libération immédiate de tous les prisonniers politiques.
  • La Russie a besoin d'une réforme de la justice qui garantisse une véritable indépendance des magistrats.
  • Le système de gestion de chaque ville et village depuis le Kremlin a montré son indigence. Le pays a besoin d'un pouvoir décentralisé. 

Revendications socio-économiques:

  • Réduire de moitié les pléthoriques revenus militaro-policiers (le tiers du budget fédéral) et affectation des moyens ainsi libérés au développement du capital humain — ils serviront à financer la santé et de l'éducation .
  • La suppression des inutiles “contre-sanctions” économiques, cause de la hausse des prix des denrées alimentaires.
  • La redistribution des moyens aux régions et aux collectivités locales pour financer les infrastructures sociales et communales.
  • L'arrêt de la perfusion de centaines de milliards aux compagnies pétrolières(Rosneft, VEB, VTB et autres Gasprombank).
  • L'annulation des décrets des saisies des fonds de pension.

Nous appelons chacun à se joindre à la Marche anticrise sous le drapeau national de la Russie.

Les personnalités d'autres partis de l'opposition qui sponsorisent cette marche en font elles aussi la promotion sur Internet.

Léonid Volkov, un des partenaires de Navalny, a créé une page Facebook pour l'événement. (6 000 personnes ont déjà annoncé leur participation). Des pages ont aussi été créées sur VKontactié pour  Moscou (320 abonnés) et  Saint-Pétersbourg (256 abonnés). Sur Facebook existe aussi une page pour la marche à Saint-Pétersbourg (215 participants).

Boris Nemtsov, leader de Solidarité et coprésident du RPR-Parnas, a écrit sur Facebook que la responsable de la crise en Russie n'est autre que la politique de Poutine, et présente la même liste de mesures “anticrises”, proclamant que “[ces] revendications ne pourront être ignorées” si au moins 100.000 à 150.000 personnes manifestent. L'appel de Nemtsov a aussi été publié sur son blog sur le site de la radio “Echo de Moscou”.

L'autre coprésident du RPR-Parnas et ancien Premier ministre russe Mikhaïl Kassianov a publié la liste des mesures “anticrises” sur son site et appelé à manifester le 1er mars dans son “Live Journal”,en ces termes:

Poutine n'a plus rien à proposer au peuple russe, hormis sa complaisance pour une soif de revanche post-soviétique, d'impérialisme, de nationalisme, de morgue et de haine contre le monde civilisé.

Le système Poutine est carbonisé, “la capitalisme de copinage” a fait faillite. Poutine doit s'en aller avec le système qu'il personnifie, et qui est devenu l'obstacle principal au développement du pays.

Mon plan est simple et clair. C'est un plan pour une sortie constitutionnelle de cette situation.

Ce plan propose un rôle clé à Poutine. Son équipe et lui doivent comprendre qu'il faut qu'ils s'en aillent, et ce de manière constitutionnelle. Ce qui veut dire via des élections. Les dates de ces élections sont fixées par la Constitution. Soit décembre 2016, élections fédérales à la Douma d'Etat, et mars 2018 – élection présidentielle. Ces points de rupture jalonnent un chemin réel pour un changement de situation. Quant au pouvoir actuel, il lui est possible de construire une stratégie de départ, de départ normal, et c'est maintenant, en 2015, qu'il doit absolument le faire.

 

Kassianov appelle également le Kremlin à cesser toute répression, à prendre des mesures pour renforcer la société civile et à faire moins de propagande hystérique à la télévision. Ces préliminaires, ajoute Kassianov, prépareront le pays à choisir un nouveau gouvernement lors des prochaines élections présidentielles.

Kassianov reconnaît que son plan ne va pas de soi, mais affirme que des manifestations massives peuvent obliger le pouvoir à s'y conformer et, en conséquence, peuvent être la “clé” d'un changement pacifique et constitutionnel de gouvernement en Russie. Kassianov termine son post en appelant tous “les gens sensés et responsables” à se joindre à lui dans la rue, le 1er mars.

Les manifestants en grand nombre que les leaders de l'opposition espèrent voir dans la rue le 1er mars ne s'y sont trouvés qu'une seule fois dans la Russie de Poutine, pendant les manifestations de l'hiver 2011-2012, et on ne voit guère comment la marche “anticrise” pourrait mobiliser autant de participants et d'organisateurs d'ici le mois prochain.

Cette manifestation sera cependant un bon moyen de quantifier le soutien de la population à ces mesures “anticrises” clairement définies par les leaders de l'opposition. De nombreux points s'inscrivent en net contraste avec la politique actuelle du Kremlin et semblent formulés dans le but d'exploiter une fissure potentielle dans la popularité de Poutine, à la lumière des récents développements de l'économie et de la politique internationale.

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