Dévoiler la présence militaire russe dans l'est de l'Ukraine

Images mixed by Tetyana Lokot.

Collage de Tatiana Lokot.

Voici le deuxième article d'une série où notre site “RuNet Echo” s'entretient avec des responsables de projets mis en place pour vérifier les faits survenus dans l'est de l'Ukraine. Vous pouvez lire le premier article  ici [en français; les autres liens sont en russe, sauf mention contraire].

Autour du conflit dans l'est de l'Ukraine qui dure depuis près d'un an, beaucoup de controverses et une véritable guerre de l'information, menée à grande échelle dans les médias et sur le Web. Les débats les plus houleux portent sur la nature et l'origine du conflit, ainsi que la provenance de l'armement et des forces humaines fournies aux séparatistes pro-russes dans les républiques autoproclamées de Donetsk et de Lougansk.

Alors que Poutine a reconnu récemment la présence de troupes russes et d'unités spéciales en Crimée avant le référendum, les médias russes contrôlés par l'Etat ont constamment nié la présence d'unités militaires régulières dans l'est de l'Ukraine, insistant sur le fait que tous les ressortissants russes qui se sont rangés au côté des séparatistes l'auraient fait de leur plein gré. Dans le même temps, Kiev a accusé à plusieurs reprises Moscou d'aider les insurgés, tant en équipement qu'en unités militaires, et le Kremlin de coordonner les manœuvres.

La guerre de l'information continuant de faire rage, c'est aux journalistes et aux activistes qu'incombe de vérifier les faits décrits dans les rapports officiels des deux parties au moyen d'une méticuleuse collecte de données, et de confirmer celles qui sont publiques. “RuNet Echo” a déjà parlé de quelques-uns de ces projets dédiés à la collecte et à la vérification d'informations sur la provenance et la localisation de matériel militaire [en français] dans la zone du conflit. Mais il existe d'autres initiatives qui se consacrent à traquer des informations sur les individus qui combattent dans le Donbass.

La plupart des ces projets sont menés par des bénévoles et reposent surtout sur un travail collectif de collecte et de vérification de contenus vidéo et photo. Dans de rares cas, leurs fondateurs sont des journalistes professionnels ; ils travaillent sans soutien officiel car ils pensent que cela leur permet d'être plus indépendants dans leurs recherches. En même temps, ils sont souvent motivés par leurs opinions politiques et l'analyse qu'ils font de ce conflit.

Lost Ivan

A screenshot from the Lost Ivan website.  March 14, 2015.

Capture d'écran du site Lost Ivan. 14 mars 2015.

Le nom du projet, Lost Ivan (“Ivan s'est perdu”) a sans doute été inspiré par les événements d'août 2014, quand Moscou a affirmé que les parachutistes russes capturés sur le territoire de l'Ukraine s'étaient simplement “perdus“. Le projet rassemble des témoignages photo et vidéo, mais aussi d'autres éléments de localisation de “soldats russes, mercenaires et terroristes repérés en Ukraine, ainsi que de partisans ukrainiens des séparatistes”.

Ces données proviennent pour la plupart de comptes sur les réseaux sociaux, même si certains documents ou photos sont transmis aux administrateurs du site directement depuis le front. Selon Vladimir, l'un des fondateurs du site, ils se sont fait des amis parmi les militaires depuis qu'ils ont décidé d'employer les recettes de la pub parue sur le site pour acquérir des drones et autres équipements pour l'armée ukrainienne. En même temps, les administrateurs du site reconnaissent que leurs tentatives de refléter “la situation réelle” les exposent aux critiques des Ukrainiens qui “croient aveuglément le président et l'état-major général [des forces armées]”.

Depuis la création du site, Lost Ivan a réuni plus de 3040 enregistrements ; il peut se targuer d'afficher un contenu en neuf langues différentes, et aussi d'être cité par les médias indépendants russes et occidentaux [en russe, sous-titré en anglais].

Идея создать ресурс появилась когда перед днем независимости Украины массово вошла российская армия в районе Иловайска, тогда же взяли в плен первых российских десантников вместе с техникой, и информация появилась в сети. Но как она появилась, так и начала сразу пропадать, на всех форумах сразу удаляли любое упоминание об этой теме.
Потому я, как программист с более чем 5-летним стажем разработки сайтов, решил набросать за пару минут простенький сайт, в результате через 3 дня существования сайта посещаемось достигла порядка 250 000 в сутки.

L'idée de créer ce site est née à la veille de la fête nationale de l'Ukraine, quand l'armée russe a envahi la région d'Ilovaïsk, quand les premiers parachutistes russes ont été faits prisonniers avec leur équipement, et que l'information est apparue en ligne. Sitôt apparue, sitôt disparue : toute mention de ce thème sur les forums internet a été immédiatement supprimée.
Comme j'ai une expérience de plus de cinq ans comme développeur de sites, j'ai décidé de mettre en place un site tout simple, et le résultat, c'est que trois jours après, nous étions à 250 000 visites par jour.

Actuellement, trois personnes collaborent au site Lost Ivan, dont deux s'occupent exclusivement de la collecte et de la vérification du contenu. Le fondateur de LostIvan, Vladimir, a dit à “RuNet Echo” que le site n'avait “aucunement” pour but de se réjouir des pertes russes, mais plutôt de “réunir des témoignages pour que Poutine soit jugé à La Hague, de démystifier la propagande russe et de normaliser les relations entre les deux pays”. Mais Vladimir reconnaît que ce dernier objectif est peu couronné de succès, vu les réactions agressives de nombreux internautes russes. “Tous, sauf les proches des soldats disparus [en Ukraine], avec qui nous avons de bonnes relations.”

Grouz 200

«Gruz 200» («Cargo200» est le nom de code militaire pour désigner les blessés à transporter depuis le champ de bataille – GV). C'est la base de données Internet des “soldats et mercenaires russes repérés en Ukraine morts, prisonniers, disparus”. La majeure partie des données de Grouz 200 provient des réseaux sociaux, portails d'information, blogs, et de l'échange d'informations avec des sites analogues. Certains articles sont constitués par crowdsourcing, avec l'aide des utilisateurs du site.

A screenshot from the Gruz 200 website. March 13, 2015.

Capture d'écran du site “Gruz 200″. 13 mars 2015.

C'est un bénévole anonyme qui a créé le site et en assure la maintenance. Il a dit à “RuNet Echo” qu'il avait participé activement à l'Euromaïdan et avait soutenu le mouvement en répandant des informations sur les réseaux sociaux, si bien qu'il lui est apparu comme une nécessité naturelle de continuer à le faire durant le conflit.

Когда началась уже прямая агрессия России в Украину, было принято решение запустить gruz200.net с целью внесения лепты в противодействие российской пропаганде, которая всячески отрицала на тот момент участие российской армии и граждан России в разжигании конфликта в Украине. Проект ставит перед собой несколько целей:
– показать количество подтвержденных фактов гибели российских незаконных комбатантов;
– собрать базу и максимально распространить имена военных преступников для их преследования сейчас и в будущем;
– по возможности приостановить пополнение рядов российских наемников в Украине людьми, ставшими жертвами пропаганды.

Quand l'agression de la Russie contre l'Ukraine a commencé, il a été décidé de lancer gruz200.net dans le but de contribuer à la lutte contre la propagande russe, qui niait alors par tous les moyens l'implication de l'armée et de ressortissants russes dans l'embrasement du conflit en Ukraine. Le projet se donne les objectifs suivants :
– renseigner le nombre avéré de morts chez les soldats russes irréguliers;
– constituer une base de noms de criminels de guerre pour les faire juger dans l'immédiat et ultérieurement;
– stopper si possible l'afflux des individus victimes de propagande qui viennent grossir les rangs des mercenaires russes.

L'administrateur de Gruz200 fait remarquer qu'il ne soutient pas le gouvernement ukrainien “clano-oligarchique”, ni le gouvernement russe, “de style soviétique basé sur le KGB”, mais soutient l'Ukraine et son peuple. Il reconnaît qu'en termes de lutte contre la propagande russe massive à la télévision et dans la presse, son projet n'est qu'”une goutte d'eau dans l'océan”, mais espère tout de même que plus nombreux seront les projets de ce type, plus vite “tombera le régime poutinien”.

Gruz-200 de l'Ukraine à la Russie

Les militants et utilisateurs des réseaux sociaux ne sont pas les seuls à réunir des informations sur les combattants dans l'est de l'Ukraine. La défenseure des droits russe Elena Vassilieva a été l'une des premières personnes à faire connaître l'implication de la Russie dans les événements d'Ukraine et à entrer en relation avec les parents de soldats russes tués dans le Donbass.

A cover page of a Facebook group "Cargo 200 from Ukraine to Russia." The caption reads: "We are 30,000 volunteers."  March 13, 2015.

Illustration du groupe Facebook “Gruz-200 de l'Ukraine à la Russie”. “Nous sommes 30 000 bénévoles”, dit la légende. 13 mars 2015.

N'étant ni programmeur, ni spécialiste des nouvelles technologies, Elena Vassilieva a fondé un groupe public sur Facebook sous l'appellation “Gruz-200 de l'Ukraine à la Russie” en août 2014. La première semaine, la page avait déjà 8 000 abonnés. A l'heure où nous écrivons, elle en a déjà 29 335, dont beaucoup sont des parents inquiets de militaires russes. Ils consacrent leurs loisirs à rassembler des informations sur les soldats russes tués en Ukraine, qu'ils tirent de sources ouvertes telles que les médias ou les réseaux sociaux.

Comme elle a été longtemps membre d'une association de vétérans, Elena Vassilieva dit que la première cause de son inquiétude est le sort des soldats envoyés en Ukraine faire une “guerre non déclarée” et celui de leurs familles. Elle écrit sur son blog :

Мало того, что российских военных, контрактников послали воевать, но и подготовили все условия для того, чтобы потом презреть их в собственном государстве, сделать нищими калеками, обрекают десятки тысяч семей на горе и страдания.

Comme si ce n'était pas suffisant d'envoyer au combat des militaires russes – des soldats sous contrat -, on crée toutes les conditions pour qu'ils soient ensuite méprisés par leur propre gouvernement, pour en faire des mendiants estropiés et condamner des dizaines de milliers de familles au chagrin et à la souffrance.

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