Russie : Retour à un monopole d'Etat sur la violence ?

Ce billet fait partie de notre dossier central Relations Internationales et Sécurité.

Illustration de Surian Soosay sur Flickr (CC BY 2.0)

[Liens en russe ou anglais, sauf mention contraire] Les dernières décennies ont vu une augmentation inquiétante du recours à des milices militaires privées et des sociétés de sécurité privées (connues sous l'acronyme SMSP en anglais) venues se substituer  aux forces gouvernementales.  Parfois, cette “privatisation”  se déroule avec le consentement formel de l'Etat et est réservée aux “situations de conflits armés de faibles intensité et aux situations post-conflits“. Par exemple, les États-Unis ont décidé de faire appel à la société Blackwater pour assurer des opérations de sécurité en Irak. Dans d'autres cas, le consentement est tacite, voire même inutile.

Lorsque l'Etat est incapable de protéger ses propres citoyens, il perd son monopole sur la violence [en français]. Le vide du pouvoir qui en résulte est comblé par des organisations désireuses d'offrir ce service. Traditionnellement, le crime organisé est une entité de ce type, mais les agences de sécurité, aujourd'hui, s'offrent comme alternatives. Après l'effondrement de l'Union soviétique, par exemple, la mafia russe et les SMSP sont intervenues dans des taches de maintien de l'ordre au niveau national. Un rapport d'un groupe de travail de l'ONU sur le recours à des mercenaires distingue précisément les SMSP russes pour leur implication tant dans des bandes criminelles qu'avec les forces de maintien de l'ordre.

Là où sécurité gouvernementale et privée s'entrecroisent

L'âge d'or de la mafia est passé mais les entreprises privées russes utilisent encore les SMSP, connues comme entreprises de sécurité privées, ou “ChOPs”. Environ 750 000 [russe] Russes travaillent dans le secteur des ChOPs, beaucoup d'entre eux sont autorisés à utiliser des armes à feu. En 2010 [russe], le gouvernement russe a étoffé la réglementation de ces forces privées. En conséquence, les ChOPs  louent désormais les armes du ministère de l'Intérieur (le MVD) [russe], plutôt que de les posséder en propre.

Profil sur Livejournal de Dmitry Gudkov

Photo de profil de Gennady Gudkov sur Twitter

Un entreposage inadéquat de ces armes à feu louées a été la raison officielle invoquée pour le raid qui a eu lieu le 12 mai 2012 chez Pantan, une ChOP appartenant à la famille Goudkov. Gennady Goudkov et son fils Dimitri sont membres du parti social-démocrate “Une Russie juste” au Parlement russe. En tant que personnalités connues d'un mouvement d'opposition, ils utilisent aussi leur statut pour négocier avec la police.

Le 13 mai, Dmitri Goudkov a annoncé sur son blog  que Pantan –  officiellement dirigé par sa mère et son frère – avait été perquisitionné par des agents qui avaient confisqué plus de 100 armes à feu. Plus tard, le 25 mai, la licence ChOP de Pantan a été révoquée pour un mois, menant Goudkov à bloguer que la société était désormais « fermée ». Le consensus général parmi les blogueurs de l'opposition russe est que cette fermeture est due à des motifs politiques.

Les blogueurs pro-Kremlin ne sont pas de cet avis, soulignant que la société de Goudkov était chargée de la sécurité de l'aéroport Demodedovo à Moscou lors des attentats terroristes du 24 décembre. D'autres spéculent que Goudkov n'est que la dernière victime en date d'une offensive générale contre les ChOPs.
Après tout, Pantan n'est qu'une des entités d'un conglomérat d'entreprises de sécurité appelé Oskord. Depuis que Gennady Goudkov a fondé Oskord, en 1992, il a été impliqué dans une série de missions, dont escorter des convois de l'ONU lors de  collecte des dettes. Le conglomérat emploie plus de sept milles employés de sécurité et anciens combattants de l'armée.
En tant que tel, Oskord concurrence pour des contrats lucratifs  les Corps externes au département, une branche  du MVD qui fournit des services  de sécurité privée. Le MVD, semble-t-il, fait pression sur les ChOPs à travers la Russie, peut-être dans le but d'accroître sa propre part de marché.

Le politicien de l'opposition Gennady Goudkov debout au côté de la police lors d'une manifestation pour la forêt de Khimki le 19 avril 2012. La famille Goudkov est propriétaire d'une entreprise de sécurité privée qui a été récemment fermée par le gouvernement. Photo Daniel Beilinson (CC BY-SA 2.0)

Par exemple, dans l'oblast de Samarskaya en 2010, vingt-huit inspections ont été effectuées dans les ChOP et 371 armes à feu ont été confisquées. Un commentateur sur GuardInfo.ru – un site spécialisé de ce secteur – a résumé ainsi la situation : “Ainsi en était-il avant l'affaire Goudkov, ainsi en sera-t-il après.”

De son côté, la militante russe pour le droit de port d'armes des particuliers, Maria Butina, pense que Gennady Goudkov a eu ce qu'il méritait. Selon elle, il a contribué à limiter le droit des citoyens russes de posséder des armes de poing. Elle souligne l'ironie : “… si des civils pouvaient posséder des armes de poing […], la ChOP de Goudkov n'aurait pas été si facilement fermée par un rappel des armes.”

ISN logoCe billet et ses traductions en espagnol, en arabe et en français ont été commissionnés par le Réseau international de sécurité (ISN) dans le cadre d'un partenariat destiné à faire entendre les points de vue des citoyens sur les relations internationales et les questions de sécurité dans le monde.Visitez le blog ISN pour lire d'autres articles.

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