Russie : Après l'inondation meurtrière de Krymsk, comprendre et aider

Les 6 et 7 juillet, plus de 170 personnes sont mortes et 35.000 ont été blessées ou sont sans-abri [en russe, comme tous les liens sauf mention contraire] dans les inondations de la région de Krasnodar (photos et vidéo dans ces articles de PublicPost reports : 1er jour, 2e jour, 3e jour). Le bilan est voué à s'alourdir, alors que sauveteurs et services d'urgence poursuivent leur travail dans les zones touchées. La ville la plus lourdement frappée est Krymsk [fr] : l'eau y a monté de plus de 3 mètres en quelques minutes et au milieu de la nuit, quand la plupart dormaient et n'ont pas eu le temps de fuir.

Dans la blogosphère comme sur le terrain, il n'y a pas de consensus sur les causes de la catastrophe de Krymsk. Les uns affirment que c'est une catastrophe naturelle ; d'autres ont cru un moment à un lâcher d'eau du réservoir voisin de Neberdjaïevskoïe vers Krymsk pour protéger la cité portuaire de Novorossiisk de l'inondation ; et il s'en est aussi trouvé pour attribuer la tragédie à la conjonction malheureuse de conditions météorologiques extrêmes (près de quatre mois de précipitations moyennes en une journée), du mauvais état du réservoir, de la vulnérabilité de la ville située au pied des montagnes avec plusieurs rivières à proximité et de l'échec des autorités à avertir et évacuer les habitants.

La plupart de ces discussions en ligne sont aussi politisées : les blogueurs qui souscrivent à l'idée qu'il n'y a aucun facteur humain à l'oeuvre dans la catastrophe se querellent avec ceux qui tiennent les autorités locales et fédérales responsables d'actes délibérés et de négligence qui, selon eux, ont provoqué de lourds dégâts et de multiples victimes.

Les déclarations officielles ont été contradictoires [fr], et énormément de gens, en ligne et dans la région concernée, ne sont pas convaincus par les messages que les autorités veulent transmettre.

La blogosphère n'a pas non plus été la source la plus fiable : de nombreux blogueurs ont fondé leurs théories sur une information qui s'est avérée fausse par la suite. Ainsi, le réservoir de Neberdjaïevskoïe n'a pas de vannes, les autorités n'ont donc pas pu les ouvrir pour lâcher l'eau ; une chaîne de montagnes sépare Novorossiisk du réservoir de Neberdjaïevskoïe, dont les eaux n'auraient pas pu s'écouler vers la ville ; l'autre réservoir, Varnavinskoïe, mentionné dans quelques premiers billets de blogs d'après la catastrophe comme origine possible des flots qui ont emporté Krymsk, est situé plus bas que Krymsk, et non au-dessus.

Tout ceci ajoute à la confusion générale et complique encore la compréhension de ce qui s'est réellement passé à Krymsk. Comme l'a écrit [en anglais] Masha Gessen sur le blog Latitude du New York Times, “Ainsi, à la tragédie des morts de Krymsk, s'ajoute celle de n'avoir aucun espoir de jamais comprendre ce qui leur est réellement arrivé.”

Inondations à Krymsk, région de Krasnodar, Russie. Photo Vladimir Kotelnikov (compte Flickr Kotelnikov). Utilisée avec permission.

Nombre de blogueurs ont analysé les faits, d'après les photos, cartes, infographies et autres données disponibles.

L'utilisateur de LJ eugenyshultz, dans un long billet qui a généré plus de 2.500 commentaires, a proposé cette explication :

[…] L'inondation à Krymsk est le résultat de pluies extrêmement fortes dans les montagnes, qui ont provoqué un déluge massif depuis les montagnes, et parce que TOUTES les rivières de montagne ainsi que les fleuves Bogago, Neberdjay et Bakanka ont conflué en un torrent cataclysmique  qui a suivi le cours du fleuve Adagum, qui passe à travers le centre [de Krymsk]. Et le réservoir a dû déborder aussi, mais l'eau du réservoir n'aurait pu à ELLE SEULE pu faire autant de dégâts. […]

L'utilisateur de LJ abondarcev, un ingénieur spécialiste de la construction de ponts, a conclu que le système de vidange du réservoir de Neberdjaïevskoïe était inadapté et incapable d'empêcher un débordement dû à de fortes pluies :

[…] Ça [le réservoir] n'est pas vraiment une baignoire, c'est une piscine de 50×50 mètres avec une bonde [de la taille d'une] baignoire. […] Comment peut-on bâtir une ville et ne pas informer ceux qui y vivent ? Et ils y vivent jusqu'aux premières pluies importantes dans les montagnes. Un réservoir d'eau normal doit être construit, avec un système de vidange normal, et un canal de contournement de la ville doit être creusé en cas de débordement […].

[…] Les autorités portent la responsabilité pour le site de la ville et les vies de ceux qui habitent un endroit aussi peu approprié à la vie  – il commence à pleuvoir et la ville est engloutie… […]

Suren Gazaryan, un militant écologiste local (l'utilisateur de LJ gazaryan-suren), écrit pour sa part :

[…] J'ai roulé le long des fleuves Bakanka et Neberdjay, aussi loin que j'ai pu. Suis arrivé à la conclusion que le lâcher d'eau du réservoir de Neberdjaïevskoïe n'a pas pu être la cause de l'inondation, même si c'est la version des gens du cru. Le niveau de l'eau était élevé dans tous les affluents de l'Adagum, et pas seulement pour le Neberdjay, sur lequel se trouve le réservoir.

L'utilisateur de LJ moshkow s'est livré à quelques calculs, et estime que 3 à 10 millions de mètres cubes d'eau ont dû s'engouffrer dans Krymsk à la vitesse de 1.000 à 3.000 mètres cubes à la seconde (en temps normal, les eaux de l'Adagum traversent Krymsk à raison de 10 à 30 mètres cubes à la seconde), et sortirent de Krymsk trop lentement, à 150 – 500 mètres cube par seconde, du fait de la largeur insuffisante du “canyon de sortie” à l'extérieur de Krymsk :

Les raisons de l'inondation à Krymsk ont provoqué ma curiosité. Ce qu'ont écrit “les opposants au régime” et “les défenseurs du régime” devient un mélange débridé de [désinformation délibérée], mensonges, faits dépourvus de sens aussi bien que réels.

Faisons simplement le compte […].

[…]

Moralité N° 1. Avec une arrivée d'eau de 3.000 mètres cube par seconde et un écoulement de 500 mètres par seconde, Krymsk était voué à sombrer.

Moralité N° 2. Il n'y a eu ni vague ni tsunami. Mais plutôt une inondation assez soudaine de 5 à 7 mètres de haut, comme dans une baignoire dont l'écoulement est dix fois plus étroit que l'arrivée d'eau.

Moralité N° 3. Le réservoir de Neberdjaïskoïe a contribué à l'inondation [65 mètres cubes par seconde à travers sa canalisation d'écoulement]. […]

Moralité N° 4. Le Neberdjay nous a donné 65 mètres cube par seconde, mais Krymsk recevait plus de 1.000 mètres cubes par seconde. Le reste est venu des rivières et fleuves non barrés […], qui ont transporté toute l'eau […] dans les plaines […] et l'ont déversée dans le fleuve Adagum.

Moralité N° 5. Le système d'alerte aux inondations doit différer de ce qu'il est actuellement dans des endroits comme la côte de la Mer Noire du Caucase (et il s'avère qu'il n'y a eu quasiment aucune alerte).

Moralité N° 6. Si on vit dans une zone qui laisse entrer plus d'eau qu'il n'en sort, il faut être très attentif et savoir combien [de précipitations] sont tombées sur les montagnes au-dessus.

Roustem Adagamov (l'utilisateur de LJ drugoi, @adagamov) a tweeté :

Je pense que, très probablement, ils ont juste manqué d'avertir les habitants à #krymsk, ont traité ça comme [quelque chose sans importance]. Voilà pourquoi ils sont morts si nombreux dans leurs maisons.

Tandis que certains internautes de RuNet s'efforcent de déterminer la cause de la tragédie à Krymsk, d'autres se sont mis en route pour la région touchée, ou y sont déjà, comme bénévoles ou journalistes. Une bonne partie de la discussion en ligne se consacre aussi, en ce moment, aux opérations de sauvetage.

Sur Twitter, les mots-clics #крымск (“Krymsk”) et #поможем (“aidons”) sont utilisés, et ceux qui tweetent à présent de Krymsk et des environs sont Miriam Elder (@MiriamElder – en anglais et russe), Konstantin Dikhtyar (@konstantinmsk ), Suren Gazaryan (@Suren_Gazaryan), Roman Pereverzev (@RomanPomych), Danila Lindele (@dlindele), Alyona Popova (@alyonapopova), Ilya Ponomarev (@iponomarev), Anastasia Karimova (@aakarimova), @Cockroach_brain (elle coordonne les bénévoles ; ses photos du 8 juillet de Krymsk sont ici), Dmitry Maletin (@eMaletin).

Le photographe d'ITAR-TASS Sergueï Karpov a publié ce mini-reportage sur sa page Facebook hier soir :

La vie revient à Krymsk : l'électricité, et, partiellement le gaz ont été rétablis. Il y a de nombreux bénévoles de tout le [Kouban, [fr]]. Ils apportent continuellement de la nourriture, des vêtements, de l'eau. Mais apportez-en encore, ça ne sera pas inutilisé. Les personnes âgées ont été hébergées au jardin d'enfants, il y a des camps de tentes pour les victimes et ceux qui sont maintenant sans-abris. […]

Quelques-uns des outils de médias citoyens, plate-formes et initiatives [en russe], dont l'objet est de coordonner les opérations de secours : l’aide géolocalisée Kouban/Krymsk de type Ushahidi (lancée par Gregory Asmolov de RuNet Echo) ; les sections Inondations de Rynda.com (Alarme Virtuelle ; un article de GV sur cette initiative ici) ; krymskhelp et cet artocle sur Krasnodar Live! sur LiveJournal ; les groupes Facebook “De l'aide pour le Kouban” (1.333 membres) et “Aide aux victimes des inondations du Kouban” (606 membres) ; des communautés de VKontakte – ici (583 membres) et ici (4.637 membres) ; ce tableau d'affichage sur Kuban.ru.

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