Russie : Rupture entre une Pussy Riot et les avocats de la défense

(Billet d'origine publié le 4 octobre 2012)

Le cas Pussy Riot, pratiquement oublié des blogueurs russes quelques semaines après leur condamnation, connaît un regain d'attention. La veille du jour où devait commencer le procès en appel, Ekaterina Samoutsevitch, l'une des trois membres du groupe punk reconnues coupables, annonce qu'elle n'est pas satisfaite de ses avocats et qu'elle est à la recherche de nouveaux défenseurs. Sans toutefois donner de raisons détaillées à cette insatisfaction.

Le juge le lui a accordé, a récusé son avocate, Violetta Volkova, et reporté l'audience au 10 octobre 2012.

Feminist punk group Pussy Riot member Ekaterina Samutsevich sits in a glass cage at a court room in Moscow. Moscow, Russia. 8th August 2012, photo by Maria Pleshkova, copyright © Demotix.

Ekaterina Samoutsevitch, du groupe punk féministe Pussy Riot, dans la cage de verre du tribunal de Moscou. 8 août 2012, photo Maria Pleshkova, copyright © Demotix.

Ekaterina Samoutsevitch a pris cette décision le samedi 29 septembre, après la visite d'Anna Karetnikova, membre de la Commission publique de contrôle de Moscou et candidate au Conseil de coordination de l'opposition, venue voir les trois jeunes femmes en prison et leur demander si elles étaient satisfaites de leurs avocats. Alors que deux d'entre elles ont répondu que oui, Samutsevich, elle, a décidé d'en changer, comme le raconte [en russe] le blog d'Anna Karetnikova.

Les trois avocats qui ont représenté les Pussy Riot (Mme Volkova, Mark Feyguine, et Nikolaï Polozov) ont immédiatement réagi sur Twitter. Leurs réactions sont plutôt de type passif-agressif. Polozov, par exemple, semble douter de l'indépendance de Samutsevich dans cette affaire :

Я уважаю любой выбор своих подзащитных. Но в случае с Катей не исключаю что решение было ей принято под давлением.

Je respecte tout choix de mes clients. Mais dans le cas de Katia, je n'exclus pas que cette décision ait pu être influencée par des pressions.

Et il développe :

Разводка простая, одну продавливают на раскаяние и дают условку, остальных топят по полной. Иезуитский подход.

L'arnaque est simple, on force l'une à la repentance et on lui donne un sursis, les autres prennent plein pot. Une attitude jésuite.

Mark Feyguine est plus direct :

Итак, пара-другая существенных вещей. Адвокат Виолетта Волкова один из лучших и профессиональных адвокатов. Идиот, кто думает по другому.

Bon, deux choses primordiales. L'avocate Violetta Volkova est l'une des meilleures et des plus professionnelles qui soient. Il faut être idiot pour penser le contraire.

Violetta Volkova elle-même a reproché aux amis de Ekaterina Samutsevich et au groupe d'activistes mené par Yaroslav Nikitenko et Anno Komarov d'avoir poussé Ekaterina à ce changement :

[…] эта команда предложила всем девушкам от нас отказаться.

[…] cette bande a suggéré aux trois filles de nous récuser.

Volkova conjecture qu'une telle démarche est motivée par une certaine jalousie de la part des activistes. Elle insinue qu'ils pourraient être des taupes du Kremlin.

И есть риторический вопрос – кто стоит за Никитенко и компанией…

Et puis il y a une question rhétorique : qui est derrière Nikitenko et compagnie…

Les avocats ne sont pas les seuls à considérer toute l'affaire comme une manigance du Kremlin, à dire que Ekaterina Samoutsevitch a été “brisée” par les services secrets, ou à prétendre qu'ils détiennent de source anonyme des informations secrètes [en russe]. Par exemple, que Ekaterina Samoutsevitch aurait conclu un deal en échange de sa liberté, le tout avant que soient divulgués les noms de ses nouveaux défenseurs ou leur stratégie. Bien sûr, de telles accusations ont eu l'air un peu ridicules quelques jours plus tard, quand on a appris [en russe] que Ekaterina Samoutsevitch serait désormais représentée par Irina Hrunova, l'une des avocates de Mikhaïl Khodorkovski durant son premier procès.

Reste que plusieurs blogueurs et membres de l'opposition ont critiqué la ligne de défense des trois avocats, à la fois pendant le procès et en écho à la décision de Ekaterina Samutsevich.

Yaroslav Nikitenko, l'un des amis de Ekaterina Samoutsevitch accusés par la défense de l'avoir influencée, partage sur son blog [en russe] sa version de l'histoire :

Катя написала нам письмо, своему близкому другу. В этом письме она также что-то упоминала об адвокатах, и сказала, что хотела бы нового адвоката. […] Я думаю, что если мы решили уважать мнение подзащитной – то его надо уважать целиком.

Katia a écrit une lettre à nous, ses amis proches. Dans cette lettre, elle fait aussi mention de ses avocats, et dit qu'elle en voudrait un nouveau. […] Je pense que quand on veut respecter la décision d'un client, il faut la respecter entièrement.

Nikitenko et ses amis ont ensuite trouvé un avocat que Ekaterina Samoutsevitch aurait pu consulter pour son affaire. Quelle est la vraie raison de sa décision ? On ne peut que faire des suppositions. Par exemple, viking-nord, un militant du mouvement DemVybor [Choix démocratique], pense que la défense des Pussy Riot était trop politique et trop tapageuse :

Для привлечения внимания публики это позиция годная, но с точки зрения смягчения приговора […] такая позиция на самом деле вредна

C'était une position judicieuse pour attirer l'attention du public, mais pour ce qui est de réduire la peine, elle s'est avérée vraiment dangereuse.

L'activiste politique ukrainien Alexandre Volodarski, a lui aussi écrit [en russe] que la défense était plus motivée par sa propre célébrité (il a entendu dire que les trois avocats étaient nominés pour le prix Nobel de la paix). Volodarski a twitté [en russe] à Feyguine cette accusation :

то есть вы публично объявляете Катю недееспособной и не несущей ответственность за свою судьбу?

donc vous traitez publiquement Katia d'irresponsable incapable d'assumer sa liberté ?

Feyguine n'a pas répondu.

Lev Sharanski, un faux compte parodique qui existe depuis longtemps et qui égrène tous les clichés du dissident soviétique, s'est permis une plaisanterie [en russe] douteuse sur la corpulence de Volkova :

Катя Самуцевич видимо поняла,что ввезти в рай на своем горбу полтора центнера Виолетты Волковой, ей все таки не по плечу.

Katia Samoutsevitch semble avoir compris qu'elle n'allait pas pouvoir traîner sur son dos jusqu'au paradis le quintal et demi de Violetta Volkova.

Reste la question de la culpabilité de Ekaterina Samoutsevitch,  la seule des trois membres du groupe déclarées coupables à ne pas avoir dansé près de l'ambon dans la cathédrale. De fait, elle a été expulsée de la cathédrale avant la performance. Nikolaï Troïtski se demande [en russe] pourquoi elle a tout d'abord été reconnue coupable, et :

И как так вышло, что об этом вопиющем факте не вопят, не кричат криком мои коллеги – так называемые журналисты, а главное – заткнулись и молчат в тряпочку хваленые адвокаты […]?

Comment se fait-il qu'un fait aussi criant soit ignoré de mes collègues, soi-disant journalistes et, plus important, passé lâchement sous silence par ces avocats tant vantés ? […]?

Le comportement des dits avocats peut sembler étrange à d'autres égards. Tout récemment, Violetta Volkova semble avoir refusé de transmettre certaines pièces aux nouveaux avocats représentant Ekaterina Samoutsevitch. Elle a exposé ses motifs dans un tweet [en russe], disant qu'elle avait passé une semaine à faire des photocopies de ces documents,

за распечатку которых отдала 12000 из личных средств.

qui m'ont coûté 12 000 de mes deniers personnels.

12 000 roubles font approximativement 300 euros. On ne saura sans doute jamais ce qui s'est passé exactement pour que Ekaterina Samoutsevitch se retourne contre sa défense, mais toutes ces querelles mesquines sont déjà un motif plausible.

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