Un blog parodie le quotidien ‘Folha de São Paulo’ : censuré

[Sauf mention contraire, les liens de ce billet renvoient vers des pages web en portugais.]

Depuis décembre 2010, Global Voices Online suit la bataille juridique qui oppose le quotidien Folha de São Paulo [fr] au blog satirique Falha de São Paulo [NdT : jeu de mots sur folha, « feuille », et falha, « erreur, gaffe, méprise »], qui a subi les foudres de la censure au mois de septembre de l’année dernière en raison des parodies du journal, de ses journalistes et de ses dirigeants. En septembre 2011, le premier round s'était achevé en match nul, ce qui avait incité les frères Lino et Mario Bocchini, créateurs du site, à faire appel l'année suivante, revendiquant ainsi leur droit à s'exprimer librement et à critiquer l'un des plus grands journaux du pays.

Le deuxième round a eu lieu devant les tribunaux le 20 février 2013 et, cette fois-ci, la liberté d'expression a perdu. Telle fut, du moins l'impression première des frères Bocchini et de la plupart de leurs partisans.

Lino Bocchini antes do julgamento da Falha de São Paulo. Foto do coletivo Fora do Eixo/PósTV. Uso livre.

Lino Bocchini avant le jugement de la Falha de São Paulo. Photo du collectif Fora do Eixo/PósTV. Libre de droits.

Le journaliste Felipe Rousselet écrit :

O Tribunal de Justiça de São Paulo decidiu nesta quarta-feira, 20, que o blog Falha S. Paulo deve continuar fora do ar.

A decisão de manter a CENSURA ao Falha de S.Paulo deixou de lado todo o debate sobre liberdade de expressão e se baseou apenas nas leis de Mercado. O desembargador Edson Luiz de Queiróz manteve o blog fora do ar com a justificativa da similaridade entre o nome Falha de S.Paulo e a marca registrada pela Folha de S.Paulo.

Além de um caso óbvio de censura judicial, a manutenção da CENSURA ao Falha de S.Paulo abre um precedente perigoso para a liberdade de expressão, principalmente em relação a sátira e a ironia.

Le Tribunal de Sao Paulo a tranché mercredi (le 20 février), et le blog Falha de S. Paulo devra rester en l'état, c'est-à-dire hors ligne.

La décision de maintenir la CENSURE de la Falha de S.Paulo a mis de côté le débat sur la liberté d'expression et n'a pris en compte que la loi des marchés. Le juge Edson Luiz de Queiroz a donc confirmé cette décision de maintenir le blog désactivé sous prétexte de similarité entre la Falha de S.Paulo et la marque déposée par la Folha de S.Paulo.

Plus qu'un cas évident de censure juridique, le maintien de la CENSURE de la Falha de S.Paulo crée un dangereux précédent pour la liberté d'expression, surtout en ce qui concerne la satire et l'ironie.

La défense de la Folha de São Paulo reposait en partie sur le seul argument de la similitude du nom, sur le prétexte qu'il y aurait « une appropriation de l'usage de la marque, ce qui est inadmissible : la parodie en question n'est qu'une imitation ».

Sur le blog Desculpe a nossa falha [« Excusez notre erreur ») et au tribunal, les frères Bocchini rétorquent :

De nada adiantou o defensor da Falha, o advogado Luis Borrelli Neto, defender que, fosse essa a interpretação, “nomes como UOL, Bol e AOL, por exemplo, jamais poderiam conviver na internet”. Também não adiantou lembrar que o próprio juiz de 1ª instância, Gustavo Coube de Carvalho, já havia afirmado que “nem mesmo um tolo apressado seria levado a crer que trata-se de um blog ligado ao jornal”. Também não foram dado ouvidos ao argumento de que programas de TV e tantos outros sites, jornais e revistas fizeram ou fazem o mesmo, no Brasil e no exterior, sem problemas. Borrelli Neto ainda lembrou que “a paródia não está apenas no conteúdo, mas também no domínio. Subtrarir do apelante o direito de utilizar o domínio significa atentar contra a liberdade de expressão ou, pelo menos, enfraquecer a paródia”. Vale lembrar que a Falha não tinha sequer banner publicitário ou fim comercial, o que também enfraquece –ou derruba– o argumento de “concorrência parasitária” utilizado diversas vezes pelo jornal.

Cela n'aura servi à rien que l'avocat de la Falha, Maître Luis Borrelli Neto, soutienne qu'en suivant cette interprétation, des « noms comme  UOL, Bol et AOL, par exemple, n'auraient jamais pu cohabiter sur Internet ». Inutile aussi de rappeler que le propre juge de la 1e instance, Gustavo Coube de Carvalho, ait déjà dit que « même un demeuré ne pourait croire qu'il s'agisse d'un blog lié au journal ». Pas plus que n'a été entendu l'argument selon lequel des émissions de télé et tant d'autres sites, journaux et revues ont fait ou font de même, au Brésil et à l'étranger, sans être inquiétés. Borrelli Neto a aussi rappelé que « la parodie ne concerne pas que le contenu, mais aussi le nom de domaine. Ôter à la partie adverse le droit de faire usage du nom de domaine est une atteinte à la liberté d'expression ou du moins à la parodie ». Il est aussi bon de rappeler que la Falha ne présentait pas de bannières publicitaires et n’avait pas de fins commerciales, ce qui fragilise – ou anéantit – l'argument de « concurrence parasitaire » utilisé à plusieurs reprises par le journal.

Les frères Bocchini expliquent que la jurisprudence qui découle de cette décision de justice est pire que le jugement lui-même. En effet, elle pourra être utilisée par les journaux qui interdiront les parodies et les critiques en faisant taire les sites et les blogs, et useront de leur pouvoir économique pour poursuivre ceux qui osent s'insurger contre les informations diffusées par la presse grand-public.

Dans la décision de justice, « il a été établi que la Falha restait censurée. Pour les juges et le Folha, cela signifie que l'usage de l'adresse internet falhadespaulo.com.br, du logo de la Falha et la reproduction partielle de reportages sont interdits – même si le but original est la critique ».

Sur le portail alternatif SpressoSP, le journaliste Renato Rovai, ajoute :

Este julgamento transformou uma questão de liberdade de expressão em um debate comercial com um único objetivo: calar os críticos do jornalão da família Frias. Ou alguém consegue ser ingênuo o suficiente para acreditar que o que incomodou a Folha foi a questão comercial, a similaridade do seu nome com o domínio de um blog sem nenhuma publicidade ou outra modalidade de retorno financeiro?

Ce jugement a transformé une question de liberté d'expression en un débat commercial ayant un objectif unique : faire taire les critiques lancées contre le journal de la famille Frias. Ou alors quelqu'un parvient à être suffisamment ingénu pour croire que ce qui dérangeait la Folha était la question commerciale, la similarité du nom d'un blog sans publicité ni gains financiers ?

Irmãos Bocchini antes do julgamento. Foto de Beatriz Bevilaqua, usada com permissão

Les frères Bocchini avant l'audiencea. Photo de Beatriz Bevilaqua, libre de droits.

L'intégralité de l'audience a été enregistrée par l'équipe de PósTV et elle est à disposition sur YouTube. La chaîne a d'ailleurs publié ses impressions concernant le jugement sur sa page Facebook :

Em um voto mais do que simbólico, um desembargador, de dentro de sua toga, disse o lugar comum mais equivocado do direito: “um direito acaba onde começa o do outro”. E deu ganho de causa à Folha alertando que paródias como a da Falha de S. Paulo poderia “abrir caminho para a anarquia”.

Avec ce vote plus que symbolique, un juge, drapé dans sa toge, a lâché le lieu commun le plus improbable qui soit, en termes de droit : « un droit finit là où commence celui de l'autre ». Et il a donné gain de cause à la Folha en insinuant que les parodies comme celles de la Falha de S. Paulo pouvaient « ouvrir le chemin à l'anarchie ».

Le docteur en psychologie Matheus Paul a commenté pour le blog Vi o Mundo les raisons de la censure et les réelles préoccupations du journal Folha de São Paulo :

[…] se o blog visasse tão somente gracejar de forma pueril e light com o jornal alvo, enfocando em questões menores, como somente os nomes dos cadernos, por exemplo, repetimos: o jornal, muito provavelmente, não daria atenção alguma ao pequeno sítio paródia. O escárnio propagado pelo blog, porém, teve uma ressonância quase que imediata, uma vez que questionava algo caro aos veículos jornalísticos de comunicação: a tão propalada (e diríamos até ilusória) isenção total.

[…] si l'objectif du blog était seulement de se moquer de manière puérile et légère du journal, ne s'intéressant qu'à des sujets mineurs, comme par exemple le nom des différentes sessions, on le répète : le journal n'accorderait très probablement aucune attention à ce petit site parodique. Toutefois, les sarcasmes colportés par le blog, ont eu une résonance presque immédiate, puisqu'ils remettaient en question un concept cher aux médias traditionnels : le concept aussi répandu qu’illusoire d’impartialité totale.

Lorsqu'il a pris connaissance du jugement, le député fédéral du PSOL (Parti SOcialisme et Liberté) de Sao Paulo, Ivan Valente, a publié une note le désapprouvant :

Não parece difícil entender que paródias, vistas em grande volume nesta mesma mídia, são recursos legítimos do debate democrático, a que todos nós estamos sujeitos. Artistas, celebridades, jornalistas, políticos, todos são alvos da livre manifestação do humor crítico. Por que não a própria mídia?

Cela ne semble pas difficile de comprendre que les parodies, vues en grands nombres dans ces mêmes médias, sont des recours légitimes du débat démocratique, desquels nous sommes tous les victimes. Artistes, célébrités, journalistes, hommes politiques, tous sont les cibles de la libre manifestation de l'humour critique. Pourquoi pas la presse elle-même ?

Irmãos Bocchini e apoiadores posam para foto antes do julgamento. Foto de Beatriz Bevilaqua, usada com permissão.

Les frères Bocchini et quelques-uns de leurs soutiens posent pour la photo avant le jugement.  Photo de Beatriz Bevilaqua, libre de droits.

La journaliste Beatriz Bevilaqua a discuté avec Lino Bocchini après l'audience et elle a annoncé qu'ils allaient tenter de continuer la bataille juridique en déposant un recours au Tribunal suprême fédéral (STF) :

Não é simples, o STJ (Superior Tribunal de Justiça) e o STF não recebem uma ação qualquer. Mas a gente vai estudar de que forma se pode recorrer. Nossa intenção é ir para os tribunais superiores

Ce n'est pas simple, le STJ (Tribunal supérieur de justice) et le STF ne reçoivent pas n'importe quelle requête. Mais on va étudier la forme que prendra notre recours. Notre intention est de recourir aux plus grandes instances.

Le dossier reste ouvert et Global Voices suivra les futurs développements de cette affaire en se tenant toujours au côté de la liberté d'expression.

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