Des prisonniers politiques russes qui n'intéressent personne

·Sergey Udaltsov, un responsable de l'opposition de gauche, est actuellement assigné à résidence en attente de l'instruction de son procès pour avoir organisé les émeutes du 6 mai 2012 place Bolotnaya (communément appelées l'affaire de la Place Bolotnaya). Il résume ainsi la situation : “loin des yeux loin du cœur”. Il lui est interdit d'être en relation avec quiconque sauf sa famille et ses avocats, mais depuis son arrestation il s'est battu pour conserver une place dans le mouvement d'opposition. Sergey Udaltsov n'est pas le seul dans cette situation désespérée – douze hommes et femmes sont actuellement en cours de jugement pour leur implication dans les émeutes (la plupart sont restés en détention provisoire toute l'année dernière) et semblent eux aussi complètement oubliés. Dans un interview récemment publié [russe,ru] dans Novaya Gazet, Udaltsov explique pourquoi les gens semblent se désintéresser de leur situation:

Да, сейчас все увлечены осенними выборами, да — «болотное дело» тянется очень долго, разбито на несколько частей, что не способствует поддержанию острого интереса общества и средств массовой информации.

Actuellement tout le monde est préoccupé par les élections de cet automne, […] l’ “affaire Bolotnaya” n'en finit pas, elle est dispersée sur plusieurs éléments, ce qui ne favorise pas l'intérêt soutenu du public et des médias.

Udaltsov appelle les responsables de la contestation à lutter contre ce malaise, à “se rendre activement aux audiences, à mener une importante campagne d'information” et “à préparer de nouvelles manifestations et marches de solidarité”.

Maria Baronova l'une des accusées de l'affaire [voir l'article de Global Voices], s'est fait l'écho de ces propos. Baronova, qui contrairement aux autres accusés a été libérée sous caution, a essayé d'attirer l'attention des blogueurs, des médias sociaux et des journalistes, mais elle estime [ru] que ses efforts sont vains:

[…] люди добавляют, что конечно же интерес к Болотному делу появится, ну, когда будет приговор. Ну и тогда, дескать, “Болотная” что-то с этим сделает. Например, напишет классные колонки […]

[…]les gens [disent] que bien sûr on va s'intéresser à l'affaire Bolotnaya, mais quand on connaîtra le verdict. Il disent aussi que “Bolotnaya” provoquera des réactions. Par exemples, il y aura des gros titres et des éditoriaux […]

Maria Baronova asking people to come support the Bolotnaya prisoners.

Maria Baronova demande aux gens de venir soutenir les prisonniers de Bolotnaya. Saisie d'écran YouTube.

Le découragement de Maria Boronova était à son comble vendredi dernier quand elle a croisé Egor Prosvirnin, un célèbre troll russe d'internet dans un bar de Moscou. Ils assistaient tous les deux à une fête improvisée par Stanislav Yakovlev de DemVybor  (la liste des invités [ru], de l'ultra-nationaliste Prosvirnin aux journalistes libéraux Ivan Davydov et Elena Kostyuchenko, n'a servi qu'à souligner l'étroitesse d'esprit et le sectarisme de la “tusovka”  (intraduisible: groupe de personnes qui partagent les mêmes intérêts)  moscovite politique, malgré ses divisions affichées à l'extérieur).

 

Egor Prosvirnin at a nationalist rally. YouTube screenshot.

Egor Prosvirnin lors d'un rassemblement nationaliste. Capture d'écran du YouTube.

Il semblerait que Baronova ait demandé à Prosvirnin, qui dirige une publication populaire nationaliste sur internet Sputnik & Pogrom [ru], pourquoi il n'avait pas couvert son procès. La réponse de Prosvirnin a été soit d'une franche brutalité soit celle d'un troll cynique (à vous d'apprécier) – il s'en fiche et tout le monde s'en fiche. Baronova a twitté des citations de leur conversation et en a fait ensuite un billet sur Facebook [ru]. Prosvirnin a passé sa soirée à lui affirmer que les scènes de court de justice ne passent pas sur les médias sociaux, et que cela ne deviendra pas un sujet de conversation à moins qu'Alexey Navalny n'en fasse un thème de sa campagne de maire (Navalny lui-même est passible de prison dans une affaire politique):

Si tu écris sur les prisonniers de Bolotnaya, dit Egor Prosvirnin, tu auras 15 ‘j'aime’ sur Facebook. Autant se battre contre des moulins à vent. Pas la peine d'écrire sur le sujet.

Je n'écrirai pas sur les prisonniers de Bolotnaya parce que tout le monde s'en fout (c) Egor Prosvirnin

Tu écris sur un combat perdu d'avance, parce que si Navalny devient président demain, les gens oublieront l'affaire Bolotnaya encore plus rapidement (c) Hérisson [le surnom de Prosvirnin sur le forum populaire Lepra]

L'histoire des prisonniers de Bolotnaya n'aura de sens que si Navaly commence à en parler. Avant, c'est inutile. (c) Prosvirnin

Si j'étais Baronova, j'irais au QG de Navalny et je retirerais mon haut jusqu'à ce qu'il écrive sur les prisonniers (c) Prosvirnin

Baronova a fini par le laisser en disant :

Sur le sujet, notre direct fumeux et terminé. Je n'ai rien entendu de mieux sur l'affaire Bolotnaya ces dernières années. C'est ce qu'ont pensé beaucoup de gens, mais maintenant c'est dit.

Ce qui est triste c'est que Baronova, qui bien naturellement traite le sujet de son procès personnellement, se bat pour une cause perdue. Si le public russe versatile oublie l'affaire mémorable des Pussy Riot un mois après le verdict, quelles peuvent être les chances des accusés qui n'ont pas dansé dans une cathédrale avec des masques de couleur ?

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