Au Salvador, les gangs sont le cheval de Troie des forces de sécurité (2)

La version originale de cet article [espagnol] a été écrite par Jaime López, Mauricio Cáceres, Luis Alberto López, Mario Beltrán, Ross Mary Zepeda et Tatiana Alemán et publiée sur le site Connectas en mai 2014, au Salvador. Nous republions ici la deuxième partie d'un article en deux volets. Retrouvez la première partie ici.

La question est de savoir s'il s'agit d'une série d'incidents isolés ou d'une stratégie fomentée ? Dans le cas d'un crime organisé lié aux cartels, des investigations sont en cours à l'encontre de responsables haut-placés concernant ces liens [avec les gangs]. C'est le cas d'un haut fonctionnaire qui fait l'objet d'une enquête pour de possibles liens avec le dénommé “Cartel de Texis”. Les gangs ont-ils atteint un tel niveau d'infiltration ?

Des cas comme celui d'un jeune membre de gang, Francisco Alfonso Hernández Montes connu sous le pseudonyme de Pinky, donnent à penser que la situation est plus sérieuse que ne nombre [de cas] le laisse entendre. Ici, Pinky est devenu un témoin clé dans le dossier contre le gang Pandilla 18. En dépit de tentatives de corruption et d'intimidation, il est resté ferme quant à sa décision de témoigner contre ses ‘potes’. Au matin du 2 mars 2013, un groupe d'hommes cagoulés a pénétré dans les cellules de détention dans le sous-terrain des Planes de Renderos, au sud de San Salvador, où il était détenu et a priori en sécurité, et l'a abattu. 

Au cours de l'enquête sur l'affaire, le procureur a conclu que 14 agents de l'annexe de police ont collaboré avec “les 18” pour empêcher Pinky de continuer à coopérer avec les autorités. Les enquêteurs proches du dossier indiquent que l'un des agents a tenté de le corrompre, en faisant fuiter des informations aux ‘18” et en facilitant l'entrée des meurtriers. Le procureur général de la République dit aussi que la police leur a permis de prendre la fuite.

Cependant, le 7 mars 2013, le tribunal de Panchimalco a placé en détention provisoire l'agent qui était responsable des cellules de détention au moment du meurtre. Les autres ont été réintégrés dans leurs fonctions, puisque le juge a dit qu'il n'y avait pas de preuve suffisante prouvant qu'ils se sont associés avec le gang Pandilla 18.

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Forces armées salvadoriennes. Photo : ministre de la défense du Salvador

Pour Carlos Ponce, c'est l'exemple même de la façon dont les membres de gangs et d'autres liés aux activités criminelles cherchent à infiltrer les forces de sécurité dans l'intention de faire dévier le cours des enquêtes de police ou de passer en contrebande des armes en prison, ce qui a été employé pour attaquer des témoins clés tels que Pinky, ou des membres de groupes rivaux.

Ricardo Martínez, inspecteur général de la police civile nationale, n'a pas voulu citer le nombre d'agents de police poursuivis pour leur implication dans des activités criminelles au cours des cinq dernières années, pas plus qu'il n'autorise notre équipe de reporters à accéder aux dossiers. Cependant, à l'Agence d'enquête de l'Etat, on a découvert qu'il y a au moins quatre enquêtes en cours au sujet des meurtres d'agents dont les “crimes”, d'après cette agence, pourraient impliquer le fait de ne pas avoir tenu les promesses faites aux membres du gang.

Les enquêtes ne sont pas faciles. D'après le directeur de l'académie de sûreté publique, tout cela nécessite d'établir la preuve démontrant un tel lien afin de renvoyer les suspects. “Une enquête professionnelle, technique est menée par le département de vérification des preuves, qui est une agence à part entière au sein de l'académie nationale de sûreté publique, mais dirigée par la police qui a de l'expérience en matière d'enquête”, selon lui.

Les étudiants se soumettent à cinq tests, le dernier étant une vérification des antécédents ; cependant, une fois qu'ils sont admis dans l'institution, le fait d'en faire partie ne garantit pas qu'ils vont être diplômés, puisque les informations sont recueillies en continu et mises à jour. Le plupart des personnes faisant l'objet d'une enquête ne recourent pas à un avocat parce qu'ils sont souvent issus d'un milieu économique peu aisé, donc ils se défendent eux-mêmes. Pour des cas exceptionnels, sous l'actuelle administration, quelques étudiants comptaient sur des avocats pour les défendre. Cependant, ceux qui ont utilisé une procédure administrative dans l'académie nationale de sûreté publique peuvent faire appel au parquet. Les prévenus ont droit à la défense, à la présomption d'innocence, de fournir des preuves, de demander un juge impartial, de demander une deuxième audition, et d'obtenir les dues diligences.  

Martínez explique que le travail du département de vérification consiste à enquêter sur le lieu d'origine des étudiants. “C'est une sorte de dernier filtre lorsque les étudiants s'apprêtent à entrer à l'académie nationale de sûreté publique.” Si une information montre que l'étudiant a des liens avec des gangs, elle est revérifiée. Si le département de vérification trouve encore des indices, l'étudiant a toujours une garantie, parce qu'ils ont gagné ce droit”, expliquait le directeur. Cependant, si les indices sont probants, l'institution procède à son expulsion.

C'était le cas de 13 étudiants qui ont été exclus de l'académie en 2011, année avec le nombre le plus élevé d'étudiants renvoyés par l'académie nationale pour cette raison. Martínez a éclairci le fait que la référence à des liens signifie que ces étudiants avaient une relation de type familial, amoureuse ou amicale avec un membre de gang. Ils cherchent à repérer ceux qui ont une double vie —ceux qui échangent leur uniforme de jour pour des pantalons amples l'après-midi, et leurs camarades de troupe pour leurs potes.

Malgré ces mesures, il est certain que le processus de sélection favorise des failles. Tout comme Troie jadis, où il n'apparaissait pas évident que les Grecs s'infiltrent de manière aussi hostile, la stratégie des gangs signifie qu'il serait trop facile de croire qu'ils vont seulement infiltrer les personnes de leurs propres communautés, qui parlent et agissent comme eux. Sans le renforcement de ces filtres, demain ils pourront se réveiller avec un “cheval de Troie” à l'intérieur des murs des forces de sécurité.

Ce reportage a été préparé par Jaime Lopez et Mauricio Caceres, du journal Diario de Hoy ; Luis Alberto López Castillo, du Telecorporación Salvadoreña ; Mario Beltran, du site www.paxnoticias.com ; Ross Mary Zepeda et Tatiana Alemán, de la Radio Casa Tomada, dans le cadre de l'Initiative pour le journalisme d'enquête dans les Amériques émanant du Centre international pour journalistes (ICFJ), en partenariat avec CONNECTAS.

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