Des Russes s'engagent dans la défense de l'environnement, à leurs risques et périls

Canadian Greenpeace members support their colleagues held in Russia. Photo by Victor Biro, 27 September 2013. Copyright: Demotix.

Des membres de Greenpeace Canada manifestent pour libérer 30 collègues et membres d'équipage arrêtés en Russie pour ‘piraterie’ car suspectés d'avoir tenté d'aborder une plateforme pétrolière russe au cours de leur campagne Save the Arctic en 2013. Photo de Victor Biro, 27 Septembre 2013. Droit d'auteur : Demotix.

Dans cet article, Angelina Davydova, spécialiste des questions environnementales et journaliste, relate la montée du militantisme environnemental local en Russie. La version originale de cet article a été écrite par la Fondation Thomson Reuters, et est publiée ici avec l'accord de l'auteur à partir de 350.org, une organisation visant à mobiliser au niveau mondial pour résoudre la crise climatique.

Nina Popravko figure parmi les rares avocats spécialistes de l'environnemental en Russie, et défend en justice un groupe comptant une douzaine de militants dans la petite ville de Kozmodemiansk, dans la République des Maris sur la Volga. Les militants se battent depuis des années contre des projets de construction d'une décharge d'ordures ménagères, qui selon eux serait trop près d'une immeuble résidentiel.

Immédiatement après les audiences, Me Popravko a pris le train pour Oufa, une ville de plus d'un million d'habitants au sud de l'Oural, où plusieurs centaines de personnes tentent d'organiser une audition publique indépendante au sujet de la construction d'une usine de transformation du bois.

Et de retour chez elle près de St. Pétersbourg, où Nina Popravko vit et travaille pour l'organisation non  gouvernementale environnementaliste Bellona, un autre combat est en cours. Un groupe de militants a commencé à se mobiliser depuis l'abattage de près de 200 gros pins pour laisser place à un ensemble résidentiel de luxe. Afin d'empêcher un empiètement encore plus important sur l'espace forestier, les militants engagent des poursuites contre le promoteur immobilier, qui d'après eux aurait acquis la parcelle de terre illégalement.

“Je constate vraiment l'engagement croissant de beaucoup de gens ordinaires pour la cause environnementale”, dit Mme Popravko.

Les citadins de toute la Russie s'organisent pour la défense de leurs droits environnementaux de manière plus professionnelle qu'avant. En plus de l'installation de campements contestataires et l'occupation des chantiers, ils apprennent à faire des procès, organisent des discussions publiques et travaillent avec les journalistes et les réseaux sociaux.

De nombreuses initiatives locales similaires suscitent le soutien d'ONG environnementalistes plus grandes et expérimentées comme Greenpeace et WWF Russie, mais beaucoup se débrouillent aussi par elles-mêmes — avec un succès variable.

Ce qui fonctionne

Il n'y a pas de recette miracle pour gagner, dit Alexander Karpov, un expert du centre ECOM qui a passé plus de dix ans à soutenir les initiatives environnementales et urbaines locales à travers la Russie.

Karpov travaille depuis peu comme consultant auprès du Parlement de St. Pétersbourg, en rédigeant des projets de lois et effectuant d'autres activités juridiques, ainsi qu'en apportant si nécessaire son point de vue et son expertise aux parlementaires locaux.

Karpov affirme que la réussite de toute cause environnementale dépend du volume de temps et d'énergie que les militants sont prêts à donner pour protéger leurs droits. Il assure aussi que l'expertise est primordiale et que, plus les militants échangeront “de manière professionnelle” avec les autorités locales, rédigeront des documents juridiques et mèneront un lobbying à valeur ajoutée pour leurs causes, meilleures seront leurs chances de réussite.

La considération du public pour les questions environnementales s'est accrue en Russie au cours des dernières années. Certains experts établissent un lien avec le bien-être financier croissant des Russes, qui permet à plus de gens de pouvoir voyager à l'étranger ainsi que de planifier leur avenir et celui de leurs enfants.

Lien entre corruption et pouvoir

D'autres experts y voient une réaction à la corruption massive et à la mauvaise gouvernance, souvent à l'échelle locale, impliquant les autorités locales qui contractent des alliances troubles avec des entreprises locales ou nationales aux frais des résidents locaux.

La pression en faveur d'un militantisme environnemental plus fort a rencontré une réponse contrastée des dirigeants russes.

Nikolaï Goudkov, un porte-parole du ministère russe des ressources naturelles et de l'environnement, a dit que ce ministère “travaille activement avec les citoyens, les initiatives environnementales et les défenseurs — à la fois par le biais de notre bureau de liaison national et à travers davantage de ressources en ligne”, tel que le site Nacha Priroda (“Notre Nature”). Le site a été lancé fin 2013 et permet aux gens de toutes les régions de Russie de faire état d'infractions à l'environnement dans leurs voisinages, en utilisant la technologie de la géolocalisation.

Goudkov a indiqué que les représentants du ministère ont aussi organisé des réunions avec les défenseurs environnementaux travaillant sur les conflits locaux connus du public, tel celui concernant l'installation de l'usine de transformation du bois à Oufa, et un dossier litigieux en Russie centrale où les résidents se battent contre les projets de création d'une mine de nickel et de cuivre.

Mais la Douma d'Etat, le Parlement russe, a récemment mis en chantier un certain nombre de projets de loi qui menacent d'entraver les droits des militants locaux et de limiter les chances d'une participation publique plus importante au niveau des projets de la ville et du développement régional.

Fin décembre, les députés ont tenté de faire voter un projet de loi supprimant les procédures d'auditions publiques concernant un certain nombre de projets de construction d'infrastructures. Suite à une campagne civique engagée par des militants et des avocats environnementalistes, le projet de loi a néanmoins été “suspendu”, selon Nina Popravko. Mi-mars, un autre projet de loi réduisant de manière significative le nombre d'instances dans lesquelles les audiences publiques doivent se tenir a été voté en premier examen. Les avocats environnementalistes  disent que cette loi contrevient aux règles de droit russes et internationales.

“Le Parliament russe accumule les projets de loi qui limitent de manière préoccupante la participation publique”, disait un groupe d'avocats environnementalistes au cours d'une intervention publique. Une campagne contre cette loi est en cours.

Gros plan sur l'urbanisme

L'un des enjeux environnementaux les plus populaires en Russie actuellement est l'écologie en milieu urbain, qui étudie les aspects environnement du développement urbain. Les écologistes en milieu urbain s'intéressent aux problématiques telles que les transports propres, la qualité de l'air et de l'eau, la protection des espaces verts et des parcs, ainsi qu'une consommation et des modes de vie durables.

De tels mouvements sont principalement concentrés dans de grandes villes de plus d'un demi million d'habitants, mais ils ont aussi commencé à éclore dans de petites villes. 

En gros, la plupart de ces initiatives civiles se répartissent en deux groupes selon les spécialistes.

Le premier comporte des actions de contestation contre une nouvelle construction d'infrastructure ou d'habitations par exemple, ou la destruction d'un parc. De tels groupes se constituent rapidement et leur réussite dépend souvent de la solidarité et de l'énergie de leurs participants, autant que des ressources qu'ils peuvent apporter.

Des groupes de ce type engagent des procédures judiciaires ou des audiences publiques, travaillent avec les médias et les réseaux sociaux et organisent des manifestations. Le groupe se dissout presque toujours après que la procédure est gagnée, ou perdue.

Les efforts les plus compliqués sont ceux au long cours qui durent plusieurs années, ce qui peut conduire les militants à l'épuisement, la perte de motivation et d'intérêt pour la procédure.

Une affaire risquée

Les militants affrontent diverses menaces, dont la violence physique et des poursuites judiciaires. Le militant Evgeny Vitichko, originaire de Tuapse dans le sud de la Russie, a été emprisonné trois ans pour avoir écrit des slogans contestataires et collé des affiches sur une grille autour de la villa du gouverneur  du Krasnodar. 

Vitichko prétendait que la villa avait été construite illégalement dans une réserve forestière et que son propriétaire avait clôturé une partie du littoral.

Une campagne de soutien pour Vitichko a été lancée. “Il est particulièrement important que nous obtenions aussi un soutien au niveau international pour cette affaire”, dit Dmitry Chevtchenko, un militant à Krasnodar pour l'ONG Observatoire Environnemental du Caucase nord. “Autant pour Evgeny Vitichko lui-même que pour le mouvement environnementaliste grandissant en Russie.” 

Combler le vide

Un autre groupe au sein du mouvement environnementaliste grandissant en Russie est composé de militants locaux et de la société civile qui essaient de faire émerger des initiatives locales au niveau national pour remplacer la régulation inefficace de l'Etat, en l'absence d'un agenda environnemental et d'un mécanisme d'action publique tant au niveau fédéral que régional.

Ces groupes développent des réseaux environnementaux et bénévoles dans des domaines tels que la collecte des ordures, le recyclage, la plantation d'arbres, la préservation des parcs et cours d'eau, et la promotion d'une agriculture éco-compatible et de modes de vies écologistes. L'un des plus connus est le mouvement Moussora bolche niet (signifiant “[On ne veut] plus d'ordures”), qui a commencé sous forme d'initiative bénévole pour enlever les ordures des forêts et bords de rivières. Aujourd'hui c'est une organisation à grande échelle, active dans des projets allant du recyclage local à l'éducation à l'environnement.

De tels groupes se réunissent annuellement aux Sommets Delaï Sam (Faire soi-même), pour échanger des pratiques, technologies et compétences. Ces événements se tenaient au départ à Moscou mais désormais aussi dans d'autres villes.

Et cela ne concerne pas seulement le jeune branché qui participe à ce genre d'initiatives citadines. Dans certaines villes, les groupes sont dirigés par des habitantes qui consacrent leur temps libre à la mise en place de groupes locaux de bricolage.

Les militants déplacent parfois le centre d'intérêt d'une problématique à une autre. Tatiana Kargina, originaire d'Irkoutsk et vivant aujourd'hui à Moscou, est l'une des militants environnementalistes les plus connues de Russie. Mme Kargina a été le fer de lance du premier projet d'éco-habitation à Moscou, l'un des premiers réseaux russes pour l'habitat et la consommation éco-compatible, ainsi que d'autres initiatives. Mais au cours des deux dernières années, elle s'est aussi engagée en faveur d'une action de contestation émanant de la société civile contre des projets visant à exploiter le nickel dans la région de Voronej en Russie centrale, une région agricole avec des terres noires fertiles, riches en réserves de biodiversité.

Les villes soutenables

Le militantisme environnemental grandissant en Russie s'est aussi intéressé à la nécessité d'un développement urbain et régional durable et inclusif. Une initiative Open Urban Lab réunissant près de 30 jeunes professionnels impliqués dans la planification urbaine, l'architecture, la participation locale et le développement durable essaient de mettre en place des méthodes participatives dans la planification de la ville et son environnement dans les les villes russes.

L'organisation travaille avec les autorités et entreprises régionales et considère la participation comme “une technologie pour transformer des groupes sociaux, auparavant exclus des procédures de décision, en parties-prenantes, afin de créer et garantir le bien commun”, d'après son porte-parole Oleg Patchenkov.

Le processus de développement de la société civile n'est ni aisé ni rapide, mais tend véritablement à la hausse, selon les experts.

“Très souvent, les citoyens ordinaires ne veulent pas vraiment devenir des militants, ne veulent pas passer tout leur temps libre à faire campagne, manifester, parler aux médias, défendre un sujet sur les réseaux sociaux 24h sur 24”, disait l'avocate Nina Popravko. “Mais en réalisant qu'ils ne peuvent pas vraiment faire appel à quiconque —ni aux autorités municipales, ni à la possibilité de contrôler les organismes— ils ne peuvent que devenir acteurs eux-mêmes et essayer d'agir sur la situation, dont ils savent qu'elle affecte leurs vies et l'environnement dans lequel ils vivent.” 

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