Le Cameroun réévalue la guerre contre Boko Haram après l'attaque qui a tué ou enlevé 31 membres de l'élite

Cameroonian Special Forces during training. Can they defeat Boko Haram? Image released in the Public Domain by U.S. Africa Command.

Les forces spéciales camerounaises à l'entraînement. Peuvent-elles vaincre Boko Haram ? Image publiée dans le domaine public par l'Africa Command des Etats-Unis.

Le président camerounais Paul Biya promet “une guerre totale” [anglais] contre Boko Haram, la secte islamiste qui sème la terreur au Nigeria et menace maintenant le Cameroun. M. Biya a fait cette annonce devant les dirigeants d'Afrique de l'Ouest lors d'un sommet sur la sécurité à Paris en mai dernier. A l'issue de la conférence, le Cameroun a déployé [anglais] un millier de soldats dans le nord du pays, dont des unités du Bataillon d'Intervention Rapide (B.I.R.).

Le Cameroun a d'abord paru gagner la guerre contre Boko Haram, dont il tuait les miliciens et détruisait les bases. Mais ces dernières semaines, la situation s'est retournée. Le nombre des raids trans-frontaliers de Boko Haram au Cameroun augmente à nouveau, de même que celui des morts. Rien qu'en juillet, le mouvement a lancé des attaques d'ampleur sur des villes du Nord comme Fokotol, Amchide, Niakari, Zina, Bonderi, Bargaram et Limani.

Les craintes montantes devant ces incursions ont été portées à leur comble dimanche 27 juillet 2014, quand Boko Haram a lancé son attaque la plus adacieuse jusqu'à présent sur le sol camerounais. Une centaine d'assaillants lourdement armés ont attaqué la ville frontalière de Kolofata. Visant la maison du puissant vice-premier ministre camerounais Ahmadou Ali, ils ont tué des membres de sa famille et enlevé son épouse. Le Sultan de Kolofata a également été enlevé, avec son épouse et leurs enfants. Si Ali lui-même a échappé à la mort ou à l'enlèvement, c'est parce qu'il avait été retardé en route pour Kolofata, où il projetait de fêter la fin du ramadan en famille. Selon un article en français du quotidien gouvernemental bilingue Cameroon Tribune, les assaillants ont tué 14 personnes, emmené 17 otages, et se sont emparés de nombreux véhicules durant l'attaque.

La capacité de Boko Haram à frapper au coeur de l'élite dirigeante camerounaise — une prouesse que le mouvement n'a pas encore atteinte au Nigeria — a laissé les Camerounais sous le choc, et jeté une doute sur les affirmations récentes du pouvoir que la guerre était gagnée. L'incident soulève aussi des questions sur l'efficacité de l'appareil camerounais de sécurité et de renseignement.

Dans un entretien avec la Voix de l'Amérique, le ministre de l'Information Issa Tchiroma a répondu à ces préoccupations :

Le problème est que nous nous nous battons dans un combat asymétrique. Personne ne sait qui est Boko Haram, ils ont beaucoup infiltré ici et là [et] il est impossible de savoir quand ils vont attaquer. Le gouvernement va prendre toutes les dispositions pour examiner notre stratégie et trouver la bonne et juste réponse pour prendre en mains et maîtriser cette situation.

Malgré les tentatives des autorités de rassurer la population, les réactions sur les médias sociaux, où l'attaque a été littéralement diffusée en temps réel, ont surtout été le désespoir et l'indignation devant ce qui est perçu comme l'impuissance croissante de l'Etat à traduire son discours triomphaliste en actes concrets.

Florian Ngimbis, un des principaux blogueurs francophones du Cameroun, a déploré sur Twitter :

et ajoutait par la suite :

D'autres se sont interrogés sur l'apparent manque de précautions d'Ali avant de pénétrer dans une zone de guerre. Ahmadou Ali, connu comme le “M. Sécurité” du président Biya, est un ancien secrétaire d'Etat, actuellement à la tête de la Gendarmerie nationale. Il a aussi été Ministre d'Etat chargé de la Défense. Comment a-t-il pu se rendre dans une zone non sécurisée sans protection adéquate ? Comme l’a écrit un commentateur outré sur le site web francophone Cameroon-info.net :

D’où vient-il que connaissant la situation qui prévaut une personnalité de la trempe de Amadou Ali décide d’aller passer les fêtes du Ramadan dans une région dont la situation sécuritaire est au ROUGE comme Kolofata. Ou il est totalement inconscient ou c’est une histoire prémédité et monté de toute pièce dont lui seul connait les retombées. Avec ses hommes politiques tout est possible.

Interrogations

Les thèses d'une “trahison” ont gagné en crédibilité, découlant de l'apparente bonne information des assaillants sur les mouvements du Vice-Premier Ministre. Comme le soulignait Jean-Francis AHANDA sur Twitter :

Les interrogations portent aussi sur la véritable identité des assaillants. Du coup, certains doutent qu'il se soit même agi de Boko Haram. Ainsi, le twitteur  francophone Jean Luc demande :

@IGC_Cameroon partage son scepticisme :

Ainsi BokoHaram enlèverait des gens sur la propriété d'Amadou Ali par surprise et sans résistance. Pour qui connaît Kolofata ça n'est pas plausible

Renforçant les doutes sur l'implication du groupe nigérian, Rebecca Enonchong souligne que le raid de Kolofata ne porte pas les signes distinctifs des attaques habituelles de Boko Haram :

BokoHaram n'a pas revendiqué l'attaque de Kolofata. Il n'y a pas eu de bombes, et attaque et enlèvements étaient ciblés.

Le site web francophone Cameroon Voice va encore plus loin et affirme que l'attaque a pu être une affaire de rançon qui a mal tourné. Pour le site, l'attaque aurait été commise par ceux qui ont enlevé la famille Moulin-Fournier, pour venger une rançon non payée.

Le journal de bonne réputation L'Oeil du Sahel raconte pour sa part une autre histoire. Selon cette publication, Boko Haram a visé Ali parce que celui-ci a trop bien réussi à parer les actions de recrutement de la secte à l'intérieur de son ethnie, le peuple Kanouri. Le journal explique que Boko Haram répliquait également aux dizaines de récentes arrestations de ses militants, capturés grâce au réseau d'informateurs d'Ali.

Le renseignement en échec

Quelles que soient les motivations de l'attaque et/ou l'identité de ses auteurs, la conviction est générale que l'échelle et le succès de l'attaque de Kolofata traduisent un échec massif du renseignement. Comme Edouard Tamba, qui a été reporter au journal Le Messager, l'a souligné sur Twitter :

Une analyse partagée par le gouvernement : deux jours à peine après l'attaque de Kolofata, le Président Biya a limogé deux hauts responsables militaires chargés de la sécurité dans la région. Les troupes à la frontière nigériane ont également été triplées.

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