Grèce : L'accord d'effacement partiel de la dette polarise les réactions

Ce billet fait partie du dossier spécial de Global Voices sur la crise européenne (en anglais).

L’accord sur la décote de la dette nationale grecque, auquel sont parvenus politiques et banquiers européens au bout de dix-huit mois de laborieuses négociations et de mesures d'austérité impopulaires et inefficaces, a été vanté comme le remède propre à enrayer la crise de la dette souveraine.

Les Grecs sont pourtant nombreux à l'accueillir avec doute et colère, craignant que l'accord n'entraîne une austérité sans fin, et que la supervision permanente qu'il impose compromette la souveraineté nationale.

(NdT : Dernière heure : Le premier ministre Georges Papandréou a créé la surprise le 31 octobre en annonçant la tenue d'un référendum sur l'accord européen).

La décote à la loupe

Pensioner protest. Banner reads: "The Greek government has offended my personal worth & merit. As an irritated citizen, I ask for my direct moral satisfaction. The grandfather". Image by Alexandros Michailidis, copyright Demotix (27/10/11).

Manifestation de retraités. Sur la banderole : "Le gouvernement grec a offensé ma valeur et mon mérite personnel. En tant que citoyen outré, je demande ma satisfaction morale directe. Grand'père". Photo Alexandros Michailidis, copyright Demotix (27/10/11).

Les dispositions de l'accord de décote – surnommé improprement et par dérision ‘coupe de cheveux’ s'agissant d'un effacement conditionnel et partiel de la dette – ont laissé perplexes même les journalistes et les analystes financiers chevronnés, pour ne rien dire des contribuables. Le blogueur financier Zerohedge a publié une démonstration [en anglais] indiquant que l'accord de décote de 50% ne réduira la dette grecque – actuellement [en anglais] de 350 milliards d'euros – de 28%, laissant intacte la dette additionnelle créée par les plans de sauvetage.

Dans une présentation plus rassurante [en grec] publiée sur Protagon.gr deux jours auparavant, l'économiste grec Yannis Varoufakis avait esquissé les conditions optimales pour sortir au mieux de la situation :

Το κούρεμα είναι αναπόφευκτο, πρέπει να είναι μεγάλο (για να έχει νόημα) [..] έπρεπε να έχει γίνει πριν δυο χρόνια, ή τουλάχιστον να το έχουμε χρησιμοποιήσει ως διαπραγματευτικό μέσο. Τι θα σημάνει τώρα πια για την καθημερινότητα του πολίτη [..] Εξαρτάται (1) από τον αντίκτυπο που θα έχει στην Ιταλία και στις Γάλλο-γερμανικές τράπεζες και (2) από το κατά πόσον οι πλεονασματικές χώρες θα προσπαθήσουν να συνδέσουν το κούρεμα με μέτρα που στόχο δεν θα έχουν την βελτίωση της ελληνικής οικονομίας αλλά νέες τιμωρίες για τους έλληνες προς παραδειγματισμό των Ιταλών

La décote est inévitable, il faut qu'elle soit grande (pour avoir du sens) […] elle aurait dû avoir lieu il y a deux ans, ou nous aurions dû au moins nous en servir pour marchander. Sa signification pour la vie quotidienne des Grecs […] dépendra (1) de son impact sur les banques italiennes et franco-allemandes, et (2) de ce que les pays excédentaires essaieront ou non de la lier à des mesures destinées, non à améliorer l'économie grecque, mais à punir les Grecs pour en faire un exemple à l'intention des Italiens.

Nick Malkoutzis, rédacteur en chef adjoint du quotidien Kathimerini s'est interrogé à haute voix [en anglais] :

@nickmalkoutzis: Si quelqu'un a mieux compris, qu'il me le dise : les banques non-grecques perdent environ 60 milliards dans la décote mais reçoivent 30 milliards d'incitations ?

L'ingénieur informaticien Manolis Platakis, un des nombreux Grecs à avoir émigré pour trouver du travail, songe avec abattement [en anglais] :

@emufear: Passé du temps aujourd'hui à expliquer aux collègues comment la décote de 50% ne veut dire ni de près ni de loin 50% de réduction de la dette souveraine grecque.

Un ancien économiste (@albertjohn sur Twitter) qui habite Thessalonique a publié une analyse du dilemme grec sur son blog, Redesigning the Foot (‘Redessiner le pied’) [en anglais] :

Le problème avec le plan d'austérité et les réformes structurelles grecques, c'est que tout l'argent est parti hors du pays. Les actifs grecs, y compris l'immobilier, vont devenir encore meilleur marché et les capitaux vont rentrer en masse (ce qui sera salué comme un succès) pour les racheter. Les citoyens, les pauvres, les ex-classes moyennes, seront appauvris (Salué comme un succès. Bravo la Grèce, plus compétitive, lever de drapeau, brillant avenir etc). Le résultat sera un accroissement des inégalités et une réorganisation de l'oligarchie requinquée par des occupants financiers qui s'éclipseraient ensuite discrètement.

Erik Wesselius, un chercheur en politique pour l'organisme de surveillance du lobbying Corporate Europe Observatory [en anglais], dont l'avatar Twitter arbore par solidarité le drapeau grec, a lui aussi averti que le jeu pouvait être pipé contre la Grèce:

@erikwesselius: ISDA [Association Internationale des Swaps et Dérivés], gagnant du prix du pire lobbyiste UE 2010 http://www.worstlobby.eu/ décide si la Grèce déclenche un paiement de CDS. http://bit.ly/rW8Ouk #ISDA #CDS

Les journalistes Andreas Panagopoulos et Yannis Bogiopoulos formulent l'accord en termes plus francs et brutaux [en grec] :

@AnemosNaftilos: To ΠΑΣΟΚ παρέλαβε το χρέος στο 115% του ΑΕΠ και τώρα διαπραγματεύεται να το φτάσει στο 120%, το 2020! Κατάλαβες;

@AnemosNaftilos: Le [parti socialiste au pouvoir] PASOK a trouvé la dette à 115% du PNB et négocie maintenant pour la porter à 120%, en 2020 ! Pigé ?

@Yboyio: Το χρέος μειώνεται 100 δισ για να πάρουμε δάνειο 130. Τα υπόλοιπα είναι μπούρδες. Το δε 120% του 2020 είναι χάντρες για ιθαγενείς

@Yboyio: La dette est réduite de 100 milliards pour que nous puissions recevoir 130 de prêts. Le reste est de la connerie. Quant à atteindre 120% [du PNB, le niveau d'endettement de 2009] d'ici 2020, c'est utopique

Réactions à l'annonce du premier ministre

Le premier ministre grec s'est adressé à la nation par un discours préenregistré [en grec], après une conférence de presse en direct du ministre des finances (NdT : hospitalisé mardi pour des examens). La journaliste Diane Shugart s'est fait l'écho des sentiments couramment partagés par les Grecs [en grec] :

@dianalizia: οι ευρωπαίοι θα είναι μόνιμα στην ελλάδα για να επικοινωνούμε εύκολα, είπε ο βενιζέλος. να, σαν την πεθερά σου που εγκαταστάθηκε στο σπίτι.

@dianalizia: [Le ministre des Finances] Venizelos a dit que les Européens [la troïka, le comité de surveillance] sera installé en permanence en Grèce pour faciliter la communication. A peu près comme la belle-mère qui vient de s'installer [chez vous].

@dianalizia: ουάου! πάλι πρωτοτυπίσαμε. είναι η πρώτη φορά που νικήτρια δυνάμης (της μάχης των μαχών, μάλιστα) βρίσκεται υπό κατοχή.

@dianalizia: wouah ! nous innovons encore. C'est la première fois que le vainqueur (de la mère de toutes les batailles, pas moins) finit occupé.

Le compte Twitter officiel du premier ministre grec a publié les points forts de son discours optimiste et rassurant pendant sa diffusion à la télévision [en grec] :

@PrimeministerGR: Εμείς θα φτιάξουμε την Ελλάδα κανείς άλλος. Μην περιμένουμε ούτε κακούς δαίμονες ούτε θεούς να έρθουν να κάνουν την δουλειά για εμάς #Greece

@PrimeministerGR: Nous allons remettre la Grèce sur pied, et personne d'autre. Ne comptons pas sur des diables ou dieux étrangers [“sorciers et dei ex machina” dans le discours] pour venir faire le travail à notre place #Greece

Un discours mal accueilli, dont les journalistes comme les citoyens – qui se rongeaient depuis des jours sur l'issue des négociations – ont tourné en ridicule tant le contenu que l'élocution. La web designer Cyberela a pointé une omission criante [en grec] :

@Cyberela: Ούτε μία κουβέντα ο @PrimeministerGR για την *ανεργία*. Σαν να μην υπάρχει.

@Cyberela: @PrimeministerGR n'a dit mot du *chômage*. Comme s'il n'existait pas.

La consultante en communication politique Vivian Efthymiopoulou était atterrée [en grec] :

@vivian_e: Εχει γίνει πλέον σαφές ότι τα κάστανα από τη φωτιά θα πρέπει να τα βγάλουμε μόνοι μας. Οι άνθρωποι θέλουν αλλά δεν μπορούν. Όλοι τους.

@vivian_e: C'est devenu évident que nous devrons tirer les marrons du feu nous-mêmes. Ces gens veulent mais ne peuvent pas. Tous tant qu'ils sont.

Il y a eu quelques appels à agir positivement, conformes au plaidoyer du premier ministre pour la coopération des Grecs. Tel le spécialiste de communication George Flessas [en grec] :

@gflessas: Αντί των αναλύσεων και των αφορισμών χρειάζεται θετική δράση: για μείωση δαπανών,προσέλκυση επενδύσεων, μηδενισμός γραφειοκρατίας κλπ

@gflessas: Il nous faut de l'action positive au lieu d'analyses & aphorismes : réduire le gaspillage, attirer l'investissement, zéro bureaucratie etc.

L'écrivain et journaliste Manolis Andriotakis a blogué sur la nécessité de donner un espoir concret aux générations futures [en grec] :

@andriotakis: Δώστε στα παιδιά εργαλεία να σκέφτονται, να κρίνουν, να δημιουργούν κι όχι να ονειρεύονται τη Δυστοπία http://bit.ly/uAv9sa

@andriotakis: Donner des outils aux enfants qui leur permettront de penser, juger et créer, au lieu de rêver de Dystopie http://bit.ly/uAv9sa

Dire non à tout ?

La documentariste Janine Louloudi a pointé une expression potentiellement malencontreuse et prophétique du premier ministre [en anglais] :

@janinel83: Par son compte twitter #Papandreou demande à chaque Grec de faire sa propre “petite révolution”.. mot mal choisis ?…#gap #Greece

Students parade with Greek flags during Ochi Day, Thessaloniki, Greece. Image by Alexandros Michailidis, copyright Demotix (27/10/11).

Des étudiants défilent avec des drapeaux grecs pendant le Jour du Non, à Thessalonique. Photo Alexandros Michailidis, copyright Demotix (27/10/11).

Le niveau de mécontentement envers les hommes politiques est élevé en Grèce, et de nombreux ministres et parlementaires se sont fait prendre à partie par des foules en colère [en anglais] ces derniers mois sur les plans d'austérité. Aucun représentant gouvernemental de haut rang n'aurait assisté au défilé des écoliers – et aux manifestations qui ont suivi – de Thessalonique, à la veille de la fête nationale du 28 octobre 2011, pour le “Jour du Non” (“το όχι / to ókhi“). Des dignitaires chinois ont même été hués par erreur [en grec] lors d'une récente visite au site archéologique de Cnossos en Crète.

L'enseignant et photojournaliste citoyen Craig Wherlock, qui a assisté à l'incident, de commenter :

@teacherdude: l'acte le plus courageux pour un ministre grec, c'est de tenter de marcher dans les rues d'Athènes.

Dans le sillage de l'accord de décote, les “indignés” ont célébré le Jour du Non à leur manière cette année, en exhortant les gens, par une éphémère campagne sur Facebook (disparue depuis) à suspendre des bannières avec le mot “Okhi” (Non) à leurs balcons et à manifester dans les défilés locaux.

Ce billet fait partie du dossier spécial de Global Voices sur la crise européenne (en anglais).

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