Egypte : Le SCAF, l'ultime pilier ?

Ce billet fait partie du dossier de Global Voices sur la révolution égyptienne 2011.

En quelques jours, l'Egypte vient de connaître une succession d'événements : l'éminent blogueur égyptien Alaa Abd El Fattah mis en détention ; une nouvelle victime civile des procès militaires aurait été torturée à mort en prison ; les assassins de Khaled Saïd (l'affaire qui a allumé la révolution égyptienne) condamnés dernièrement à seulement sept ans d'emprisonnement ; et le Conseil Suprême des Forces Armées (SCAF) persiste à refuser la responsabilité du carnage du quartier Maspero en octobre.

Ces différents incidents conduisent les blogueurs égyptiens à se demander si on est revenu à la case départ, ou, comme l'a écrit Alaa dans son message envoyé de son lieu de détention, et traduit par Sultan AlQassemi :

Je ne m'atendais pas à revivre absolument la même chose cinq ans plus tard, après une révolution où nous avons chassé le tyran, je retourne en prison ?

Woman with black clothes holding a candle mourning the Maspero violence. Image by Amr Jamil, copyright Demotix (13/10/11).

Une femme en noir tient une bougie en signe de deuil après les violences de Maspero. Photo Amr Jamil, copyright Demotix (13/10/11).

Il ne fait aucun doute pour beaucoup, parmi lesquels Amira Nowaira, que la gestion de la période de transition en Egypte par le Conseil Suprême des Forces Armées (SCAF) n'est pas une réussite :

Plus de 3 semaines après les affrontements meurtriers qui ont fait 27 morts (à ce jour) et des centaines de blessés dimanche 9 octobre devant l'immeuble de la télévision d'Etat égyptienne à Maspero, il reste plus de questions que de réponses. La seule chose qui est claire, c'est que l'attaque brutale contre des manifestants pacifiques, pour la plupart coptes, marque un tournant dangereux dans la (mauvaise) gestion par le conseil militaire au pouvoir de la transition en Egypte et envoie nombre de messages inquiétants.

Non seulement on les dit mauvais gestionnaires de la transition, mais ils se font accuser d'être à l'origine du carnage comme dit ici par beaucoup de voix. Selon l'éditorialiste de Bikya Masr, Hayden Pirkle, l'homme d'affaire copte Naguib Sawiris lui aussi tient l'armée égyptienne responsable du massacre de Maspero :

L'important homme d'affaire copte entré en politique Naguib Sawiris a accusé l'armée égyptienne de complicité dans le massacre à Maspero le 9 octobre. M. Sawiris a démenti que les violences de Maspero aient été provoquées par des “infiltrés” et a affirmé qu'il est de la responsabilité de l'armée de garantir la sécurité, lors d'un entretien dans l'émission d'Al Arabiya “A l'Ordre du Jour”.

Mais comment en est-on arrivé à ce que les masses deviennent aussi indifférentes à de tels incidents et que la majorité se range même du côté des militaires ?

Quelques mois auparavant, des heurts ont eu lieu dans le quartier d'Al-Abbasseya, et les militants décrivaient alors comment le SCAF avait proféré des menaces contre leur défilé pendant des jours sur les médias publics, et publié un communiqué du même ton la veille des heurts. Récemment la même tactique a été utilisée avec le massacre de Maspero, et selon Amira Nowaira, la télévision d'Etat était la plus directe dans la provocation contre les Coptes :

C'est la première fois que la télévision publique s'est engagée dans une provocation ouverte et éhontée contre les Coptes. Elle a commis l'impensable lorsqu'elle a prétendu que les militaires se faisaient attaquer par les Coptes et appelé les “honnêtes gens” à sortir défendre l'armée, sans s'apercevoir peut-être que c'est l'armée qui est supposée défendre les citoyens et non l'inverse. Cela équivalait à une invitation aux extrémistes, fanatiques et racistes à attaquer les Coptes dans les rues.

Elazul résume l'effet des médias d'Etat en ces mots :

La preuve est faite que nous avions contre nous non seulement les pro-Moubarak (y compris le SCAF), mais aussi un (large) segment de la population qui, jusqu'à aujourd'hui, maudit le jour où nous nous sommes révoltés, et nous considère comme des criminels et des traîtres.

Tandis que The Big Pharaoh ajoute que le SCAF essaie aussi de transmettre un certain message, pas seulement aux Egyptiens, mais aussi à l'administration américaine :

Je voulais savoir si l'administration Obama a reçu le message que veut délivrer le SCAF depuis qu'ils ont laissé attaquer l'ambassade d'Israël. Un message qui peut se résumer ainsi : c’est nous ou le chaos en Egypte, c'est nous ou les querelles confessionnelles.

A en juger par la déclaration modérée des USA, je pense que le message du SCAF a été reçu, et pas seulement par la communauté internationale, mais aussi par l'opinion publique. Peur et insécurité dominent le pays aujourd'hui, et bien peu voudraient entrer en collision avec la junte militaire, dans laquelle ils voient l'ultime pilier qui maintient l'intégrité du pays.

Puis il ajoute que lancer un tel message revient pour eux à se donner le feu vert pour réprimer les activistes et les média :

Ceci nous amène à ce que je crois être le sort des activistes en Egypte. Après s'être assurés qu'il n'y aura guère de forte objection du front intérieur ni de la communauté internationale, je crois que le SCAF va s'en prendre comme jamais encore aux activistes et aux média.

Et c'est exactement ce qui se passe maintenant, aux dires de beaucoup. Néanmoins Abu Tawil ironise sur la façon dont le SCAF se targue malgré tout d'avoir levé en Egypte le drapeau le plus haut du monde :

Naturellement, dans ces temps troublés mais animés, et au bout de près de huit mois de (mauvaise) gestion, le SCAF avait besoin d'une pause dans les procès de militants devant les tribunaux militaires, l'attribution de tous les problèmes intérieurs de l'Egypte à des mains étrangères invisibles et l'accusation de menaces à l'unité nationale contre toutes les manifestations et grèves. De plus, grâce à la fuite des investissements étrangers, à l'assèchement des réserves de change et à la baisse de 80% du nombre de touristes, l'économie égyptienne peut se permettre de gaspiller des fonds pour des projets publics sans utilité. C'est ainsi que le SCAF est fier d'annoncer la levée du drapeau le plus haut du monde. Mesurant 12 mètres sur 15 et flottant à une hauteur de 176 mètres (14 mètres plus haut que celui d'Azerbaïdjan), le drapeau est hissé à côté du terrain de terre battue où je joue à l’ultimate (une forme de frisbee) deux fois par semaine, pendant qu'on récite de la poésie patriotique et qu'on chante l'hymne national.

Pendant ce temps, les partis égyptiens s'apprêtent pour les élections législatives qui se tiendront à la fin de ce mois. Le parlement à venir tire son importance de ce qu'il désignera le comité appelé à rédiger la constitution égyptienne, bien que le Vice-Premier Ministre aux Affaires Politiques, Ali Al-Selmy, ait invité les partis politiques afin de rechercher leur consentement à des principes constitutionnels vus comme donnant à l'armée des pouvoirs exorbitants.

Sur Twitter, les changements ont fait largement débat :

@abuhatem: Le document des principes supra-constitutionnels ébauché par le gouvernement en Egypte donne à l'armée un pouvoir exorbitant.

@zalali: Le nouveau projet confère un pouvoir excessif au #SCAF pour intervenenir dans la rédaction de la nouvelle #constitution. Des participants ont quitté la réunion. #Egypt

Khaled s'inquiète que l'homme de la rue ne soit pas aussi critique du projet que les militants sur Twitter.

@Khaled_A_: أكيد إللى هتسمعه من حد فى الشارع على الوثيقة الفوق دستورية: و ماله ما يكون فوق الدستور ده جيشنا ده هو إللى حمى الثورة ده مضربش عليكم نار

@Khaled_A_: Je suis sûr que tel sera le commentaire de l'homme de la rue sur le projet supra-constitutionnel : Qu'est-ce qui ne va pas si l'armée est au-dessus de la constitution ? C'est notre armée, et ils ont protégé la révolution et n'ont tiré sur personne alors.

Pour conclure, Mohamed Kamel se demande s'il y a toujours une possibilité que les gens se révoltent à nouveau.

@MohHKamel: Est-ce qu'il serait difficile de faire à nouveau se révolter les gens après ces 9 derniers mois ? Insécurité, tensions confessionnelles, économie chancelante ?

Ce billet fait partie du dossier de Global Voices sur la révolution égyptienne 2011.

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