Pologne : Les internautes contre la signature prochaine de l'ACTA

Alors que les conséquences de la journée de blackout contre la loi SOPA/PIPA continuent d'alimenter les conversations, un nouveau coup de poignard dans le dos attend les internautes polonais dans la lutte pour la liberté d'Internet.

Le 19  janvier, à l'occasion d'une réunion avec des représentants d'associations et d'entreprises, le gouvernement polonais a annoncé [en polonais] qu'il allait signer l'accord anti-piratage controversé ACTA le 26 janvier. Tandis que le pouvoir y voit un succès [en polonais] de la présidence polonaise de l'Union Européenne, les internautes s'insurgent contre cette décision arbitraire et appellent à l'action contre le projet.

Image sur flickr par PateandoPiedrasweb sous licence CC BY-NC-SA 2.0.

ACTA, (acronyme anglais) l'accord commercial anti-contrefaçon, est une proposition de traité multilatéral ayant pour but d'instaurer un cadre juridique international pour l'application des droits de propriété intellectuelle. Pour La Quadrature du Net et d'autres organisations d'envergure mondiale de défense des droits électroniques, telles que Electronic Frontier Foundation ou European Digital Rights, l'ACTA imposerait de nouvelles sanctions pénales forçant les acteurs d'Internet à surveiller et censurer les communications en ligne. En créant l'incertitude juridique pour les sociétés Internet, l'ACTA deviendrait une menace majeure pour la liberté d'expression et une attaque de plus contre la culture du partage sur Internet.

La décision du gouvernement polonais [pdf, en polonais] de signer le “SOPA européen” inquiète [en polonais] le blogueur Maciej Gajewski du site technologique Spiderweb.pl:

Ces derniers temps, on parle beaucoup des projets de loi SOPA et PIPA et c'est une bonne chose : à mon avis, ce sont ceux-là qui sont répréhensibles et je pense que la fin ne devrait jamais justifier les moyens. Pour les internautes polonais les conséquences de ces deux projets de loi sont insignifiants. S'ils étaient adoptés, ils ne nous concerneraient que pour la possibilité de bloquer notre site pour les gens aux USA. Et c'est tout en fait. Mais pendant ce temps, dans pas plus d'une semaine, notre pays, en tant que soumis à l'Union Européenne, va rejoindre le traité ACTA. Et ça, ça peut nous faire mal, très mal.

Un traité négocié dans l'opacité

Mais ce n'est pas seulement le contenu du traité qui indigne les internautes. Le caractère très secret des négociations internationales de l'ACTA et un manque criant de consultation publique et de transparence dans son élaboration indiquent une évidente faille démocratique, selon [en polonais] Antyweb, un blogueur technophile polonais très suivi :

Ils promettaient des débats – rien. Ils promettaient la transparence – rien. La démocratie est bafouée, les députés ignorent ce qu'ils signer, et tout ça mènera à une situation où les blogueurs, les scientifiques et les entrepreneurs seront qualifiés de criminels. Et si ce n'est pas le cas, ils marcheront de toute façon sur des oeufs, en faisant attention à ne pas poser le pied sur une parcelle brevetée agrémentée sur le côté droit d'une lettre R dans un cercle.

Le blog Prawo.vagla.pl consacré aux droits électroniques s'en prend [en polonais] à la scandaleuse ignorance du gouvernement polonais :

Nous avons découvert que, bien entendu, il n'est plus possible de retirer la décision de signature par un représentant polonais du document ACTA, que cette signature sera apposée et ouvrira la voie à la procédure de ratification. J'ai demandé aux représentants de ces ministères s'ils avaient un plan pour le cas où le Parlement européen ou polonais refuserait la ratification. On m'a répondu que “cela serait la honte pour nous.” Je me demande ce qui serait une honte plus grande, et si ce n'est pas plutôt la façon de travailler sur ce genre de traité international où l'opinion publique n'a pas pu obtenir l'information publique qu'elle mérite.

En réaction à la contestation des internautes, le ministre polonais de l'Administration et de la Numérisation, Michal Boni [en polonais], a demandé [en polonais] au premier ministre Donald Tusk de rediscuter le traité avant de le signer. La réunion [en polonais] aura lieu le 24 janvier.

Il faut arrêter l'ACTA

Pendant ce temps l'internet polonais bout de fureur. Les pages Facebook, comme la Pologne contre ACTA & SOPA et NIE dla ACTA w Polsce, éclosent comme des champignons et réunissent des centaines de milliers d'internautes dans la protestation. Sur le mur de l'événement Facebook Nie dla ACTA, Rafal Mirski écrit [en polonais] :

Je suis pour protéger la propriété intellectuelle, mais pas avec de telles méthodes ! C'est jeter le bébé avec l'eau du bain. On ne peut pas subordonner l'Internet entier à un quelconque groupe d'intérêt. L'ACTA impose la censure aux fournisseurs d'accès Internet ! Et c'est réellement intriguant à quelle vitesse, sans le moindre débat public, on veut dicter certaines solutions. Il faut absolument arrêter cela !

Maciej Gajewski de Spiderweb n'apprécie pas [en polonais] la perspective d'être tout le temps sous surveillance :

Premièrement : même si je ne partage rien d'illégal sur le net, cela me déplaît de savoir que quelqu'un enregistre mon moindre pas sur l'Internet. Même si c'est un automate. Deuxièmement, ceci va générer d'énormes coûts pour les fournisseurs d'accès. Notre activité doit être surveillée et archivée. Préparons-nous à une grosse augmentation des tarifs Internet.

Les associations polonaises de droits numériques ont envoyé un appel [pdf, en polonais] au Premier Ministre, qui attire son attention sur les dangers de l'ACTA. Sur Wykop, une version polonaise de Digg, l'utilisateur katius a mis en ligne une lettre de protestation [en polonais] aux députés, encourageant les autres utilisateurs à saisir leurs représentants de la question. Une série de manifestations en réel [en polonais] sont programmées dans les plus grandes villes de Pologne.

Un blackout polonais ?

Encouragé par le succès de la protestation anti-SOPA/PIPA aux Etats-Unis, le blogueur Antyweb appelle sur son blog [en polonais] à un blackout polonais :

Il faut fixer une date précise (très rapidement) et éteindre le web polonais autant que nous pouvons tout en diffusant l'information sur l'ACTA et sur les dégâts à la démocratie. Il nous faut attirer l'attention sur le fait que ce n'est pas ainsi qu'on prend des décisions dans un Etat démocratique moderne. Les Américains y sont arrivés, les Polonais le peuvent aussi, surtout ceux “d'internet”. Pourquoi pas lundi [23 janvier] ? Mais lequel des sites internet polonais voudra perdre de l'argent au nom de la défense de la démocratie et de l'Internet libre ?

La communauté Wikipédia polonaise elle aussi envisage un blackout [en polonais] et est en voie d'émettre un manifeste anti-ACTA [en polonais].

Un dernier espoir : le droit de veto du Parlement Européen

La situation générale paraît un peu moins dramatique si on considère qu'à elle seule la signature polonaise ne change cependant rien. Le traité a besoin de la ratification du Parlement Européen. Antyweb écrit [en polonais] :

Si nous voulons combattre l'ACTA, alors il faut le faire au niveau du Parlement Européen – c'est là que l'ACTA connaîtra son “to be or not to be.” Le Parlement Européen peut révoquer l'ACTA complètement et le projet de loi passe à la poubelle. Amen. Mais ça ne change rien au fait qu'il vaut la peine d'agir le 26 janvier.

Aussi prometteur que cela paraisse, n'est-ce pas très décevant qu'au lieu de compter sur son gouvernement pour protéger les droits civiques et électroniques de ses citoyens, il faille se reposer sur la raison des hommes politiques de l'Union Européenne ? L'utilisateur de Twitter @PrzemoBrozek résume [en polonais]:

Le 26 janvier la Pologne va signer l'ACTA. Selon le traité, les fournisseurs d'accès Internet devront surveiller toutes les activités des usagers. 1984 ACTIVÉ.

***

Mise à jour :

Le 21 janvier, aux alentours de 19 heures, les hackers d'Anonymous ont bloqué l”accès aux sites internet du Sejm, la Chambre Basse du parlement polonais, de la Chancellerie du Premier Ministre, du Président et du Ministère de la Culture. Lors de la rédaction de ce billet [et de sa traduction], ces sites étaient toujours inaccessibles.

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