Fidji : reconstruire la démocratie et l'égalité

Un comité nommé par le gouvernement des Fidji a proposé un projet en 11 points d'additif à la Constitution de cet état du Pacifique pour “reconstruire une nation sans distinctions raciales, active et unie culturellement, bien administrée et réellement démocratique à Fidji”. Ce projet de 75 pages, intitulé “Projet de Charte du Peuple de Fidji pour le Changement, la Paix et le Progrès” (consultable [en anglais] au format pdf) a été présenté [en anglais] le 6 août 2008, et la population peut donner son opinion à ce sujet.

Les 45 membres de ce Conseil National pour la Construction d'un Meilleur Fidji, qui ont rédigé ces propositions après huit mois de travail, ont été nommés par le gouvernement “intérimaire” autoproclamé du contre-amiral Josaia Voreqe (Frank) Bainimarama, qui s'est emparé du pouvoir par un coup d'état le 5 décembre 2006.

Le Conseil National pour la Construction d'un Meilleur Fidji a essentiellement la responsabilité d'en finir avec la  “culture du coup d'état[en anglais] de cet état insulaire où les militaires ont interrompu le fonctionnement de la démocratie à quatre reprises depuis 1987, étouffant le développement économique et amenant “mauvaise administration et anarchie”. Pour dépasser l'intervention continuelle de l'armée dans la vie politique, le groupe de travail reconnaît que le pays doit en finir avec les “affrontements politiques à base ethnique” qui opposent la population d'origine mélanésienne à la population d'origine indienne, dont les ancêtres étaient la main d'œuvre importée par l'administration coloniale britannique à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle pour faire fonctionner l'activité sucrière. Pendant des décennies, les indo-fidjiens, qui sont surtout hindouistes, ont été légèrement majoritaires. Mais depuis les deux coups d'état de 1987, l'émigration indo-fidjienne est devenue importante, au point que la population mélanésienne, surtout chrétienne, représente maintenant environ 57 % de la population.

Le projet de charte déclare que pour que le pays puisse avancer, le peuple doit reconnaître la Constitution comme la loi fondamentale de l'état, réformer le système électoral basé sur la ségrégation raciale [en anglais] et résoudre le problème foncier, l'un des problèmes les plus ardus du pays, en assurant l'accès à la terre à tous les groupes ethniques par l'augmentation de la surface cultivable disponible et par des contrats de location durables. Le gouvernement Bainimarama a déclaré que ces recommandations devaient être adoptées avant que la restauration de la démocratie puisse avoir lieu par des élections générales, qui devaient au départ se tenir en mars 2009, mais qui ont été repoussées [en anglais], selon une annonce du 18 juillet 2008.

Au début, l'opinion des principaux médias et de la majorité des blogueurs a été négative à propos de ce projet de Charte. Beaucoup de gens ont critiqué la proposition du comité d'appeller “Fidjiens” tous les citoyens des îles Fidji, et de changer l'appellation des mélanésiens en i Taukei (un terme en langue fidjienne), afin de combattre l'ethno-nationalisme. Actuellement, le terme “Fidjiens” est utilisé pour parler des mélanésiens, tandis qu'on appelle “Indo-Fidjiens” les descendants des travailleurs indiens.

gdevreal, commentateur du très vivant forum Fiji Board Exiles [en anglais], pense que si le comité veut changer le nom des habitants des Fidji, il ne devrait pas utiliser une dénomination déjà en usage :

Choisissez quelque chose de nouveau au lieu de prendre à autrui. Il n'y a pas besoin de voler un groupe pour en satisfaire un autre. Choisissez un mot qui n'a pas déjà une signification, et ainsi vous respecterez le droit des Fidjiens à ce qu'ils possèdent, et qui de plus leur est garanti de par la Constitution par toutes les Populations de Fidji.

Est-ce que toutes les Populations sont appelées des Indiens en Inde ? Des Japonais au Japon ?

“Citoyen des Fidji”, c'est suffisant…

Dans un autre billet du même forum, real jack a un regard historique sur le terme “Fidjien”, qu'il déclare être une “invention coloniale britannique” :

Quand Vijay Singh participe à un tournoi international de golf, tout le monde souligne qu'il est fidjien, en particulier les médias, comme si c'était une distinction, et dans les reportages télévisés, des phrases comme “le Fidjien Vijay Singh a gagné les Masters américains” mettent ce fait en évidence, comme si on ne savait pas déjà qu'il est fidjien ! Mdr.

Cette querelle à propos du mot “Fidjien” ne va pas nous nourrir, et elle ne fait rien avancer. De toute façon ce mot ne fait pas partie de notre identité i Taukei, c'est une expression britannique qui est arrivée avec les Britanniques…

Toujours sur ce même forum, Alohabula1 [en anglais] ajoute :

Si nous suivions les habitudes américaines, on parlerait “d'Africains Fidjiens” [?] et “d’Indiens Fidjiens”. Et si ceux qui ont émigré ces dernières années des Fidji aux États-Unis devenaient des Fidjiens Américains et des Indiens Fidjiens Américains, mais PAS des Indiens Américains, puisque ce terme est réservé aux Peaux rouges ? Je suis complètement perdu. On doit aimer ça, surtout que nous sommes tous supposés être originaires d'Afrique, alors serais-je un Africain, un Européen, un Américain Hawaïen ??? Un Fidjien ??? Parce que je vis ici maintenant ? Ou devons-nous nous baser sur notre Patrie de cœur ? Ou sur l'endroit où nous vivons en ce moment, ou bien où nos parents sont nés, ou bien où nous sommes nés ou bien où nous avons été élevés. Je suis toujours perdu.

Les gens ne comprennent pas la Charte, pense Delta [en anglais], qui fait ce commentaire sur le site Fijilive :

La Charte du Peuple a vraiment raison. Nous sommes citoyens de Fidji de naissance et nous devons donc tous être appelés Fidjiens, mais avec des sous-catégories qui nous identifient comme Fidjiens, Indiens, Samoans, Tongiens, Blancs de Nouvelle-Zélande ou d'Australie, etc. On ne peut jamais changer son origine. La Charte du Peuple reconnaît la citoyenneté, mes amis. Ne soyez pas trop égocentriques.

Sur leur blog Babasiga [en anglais], Paceli et Wendy, pensent que si Fidji doit choisir un nouveau nom pour ses habitants, il doit être un nom “ethniquement neutre, et nouveau, pour un nouveau départ pour les Fidji”. Indo-Fijian Kaicolo leur répond : “Je suis un Fidjien, que ça plaise ou non… Mon identité indienne ne doit pas rabaisser mon identité de citoyen fidjien !!”.

Le changement de nom n'est pas le seul sujet qui soulève les passions. Sur le blog Soli Vakasama [en anglais], on pense que le Conseil National pour la Construction d'un Meilleur Fidji n'a pas de légitimité parce que ses membres ont été désignés par une “junte illégale” :

La résistance s'étend rapidement, et nous, l'équipe de Soli Vakasama, croyons que les membres du Conseil National pour la Construction d'un Meilleur Fidji sont absolument stupéfaits de ce niveau de résistance, alors qu'ils croyaient que cela allait être une promenade de santé et que beaucoup de Fidjiens n'allaient pas réagir et continuer leur train-train, mais ils n'ont pas réalisé que ce qu'a fait cette junte illégale à Fidji a affecté directement chaque habitant de Fidji d'une manière différente des précédents coups d'état, et que le peuple ne se calmera que quand les auteurs du coup d'état comparaîtront devant la justice.

Nous, l'équipe de Soli Vakasama, appelons à la fin de la culture du coup d'état permanent en conduisant les auteurs du coup d'état devant la justice, même si cela veut dire la peine de mort pour Vore et ses copains. Rappelez-vous, [l'auteur du coup d'état de 2000] Speight [en anglais] a vu sa peine capitale commuée en prison à vie par [le Président] Iloilo [en anglais], suivant les recommandations de la Commission des Grâces. Néanmoins Vore et ses officiers ne sont pas des civils comme Speight et n'ont aucune excuse et il est hautement improbable qu'is obtiennent la même recommandation. Qu'en pensez-vous ?

Pour Fiji Democracy Now [en anglais], la meilleure façon de remttre Fidji sur pieds économiquement et politiquement est de rétablir la démocratie renversée en 2006.

Ce dont a le plus besoin cette recherche d'un nouveau nom est de démocratie. Seul un gouvernement élu démocratiquement pourra avoir le mandat d'opérer un tel changement. Le Comité National pour la Foutaise et la Fanfaronnade, non-élu, veut nous donner une authentique démocratie, comme il la voit, mais pourquoi veut-il nous donner un nouveau nom avant d'avoir mis en place son authentique démocratie ?

Nous pensons que nous pouvons répondre : c'est parce que ce régime illégal veut semer les germes de la colère et de la défiance afin de prolonger sa dictature. Loin de vouloir faire avancer Fidji, il veut embourber Fidji dans la confusion, la colère et la défiance. Nous disons qu'il faut le retour de la démocratie et de la légalité maintenant. Revenons à la légalité, pas de réforme, parce que si c'est ça l'avenir, nous n'en voulons pas.

Corruption Fighter, en commentant [en anglais] le billet de Soli Vakasama, assure que l'opposition généralisée à la charte peut accélérer le retour de la démocratie :

Quel grand jour pour Fidji. Peut-être que du positif sortira de ce mal si chacun s'unit derrière la légalité, et l'esprit aussi bien que la lettre de la Constitution. N'oubliez jamais que le coup d'état de 2006 a renversé un gouvernement réunissant plusieurs partis qui représentait mieux le peuple de Fidji qu'aucun autre gouvernement durant notre histoire.

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