Sri Lanka : Assassinat d'un journaliste

Lasantha Wickrematunge, journaliste d'investigation et rédacteur du Sunday Leader, a été assassiné en plein jour sur le chemin de son travail le 8 janvier 2009, et enterré à Colombo le 12.

Wickrematunge et son journal ont critiqué ouvertement la guerre menée par le gouvernement du Sri Lanka contre les Tigres Tamouls du LTTE et ont publié des articles à propos de la corruption au sein du gouvernement. Le Sunday Leader fait également face à des poursuites judiciaires pour diffamation entamées par le Ministre de la Défense Gotabaya Rajapaksa. Le meurtre du journaliste est survenu seulement deux jours après une attaque menée contre les studios de Sirasa TV, un importante chaîne de télévision du Sri Lanka.

indi.ca photo of the funeral procession for Lasantha Wickramatunga
Cortège funèbre lors des obsèques de Lasantha Wickramatunga. Photo de Indi.ca, sur Flickr, utilisée sous licence Creative Commons.

Nalaka Gunawardene décrit [en anglais] l'ambiance des funérailles du journaliste assassiné sur Moving Images, Moving People! :

Cet après-midi, la famille, les amis, et beaucoup d'admirateurs pleins de chagrin de Lasantha Wickramatunga, le courageux journaliste sri lankais qui a été brutalement assassiné la semaine dernière en plein jour, l'ont conduit ici [au cimetière], et l'ont laissé en calme compagnie.

Mais non sans avoir fait auparavant une promesse solennelle. Toutes les personnes aimant la réflexion et la liberté continueront de résister aux tentatives de transformer le reste de Sri Lanka en une stérile terre zombie sans discussion ni débat.

Indi a mis en ligne sur indi.ca [en anglais] des photos et des commentaires à propos des obsèques. Sur YouTube, la chaîne Vikalpasl a connu un afflux de visiteurs depuis qu'elles a mis en ligne des vidéos [en anglais], l'une sur le meurtre et l'autre sur les manifestations qui ont suivi.

Ce meurtre éhonté a ravivé les débats, dans la blogosphère sri lankaise anglophone, sur le rôle du gouvernement dans la réduction au silence des critiques, l'état du journalisme dans l'île et sur la guerre civile.

Le Sunday Leader a publié, trois jours après la mort de son journaliste, un éditorial non signé [en anglais], mais par lequel la voix de Wickrematunge s'exprime. Dans ce véritable testament, le journaliste explique sa vision du journalisme, et annonce son prochain meurtre, et le responsable de celui-ci. La force de ce texte est telle qu'il a été repris largement sur le Web et par les médias [en anglais]. Sur son blog sur le Daily Telegraph, l'ancien correspondant en Asie du Sud Peter Foster exalte cet éditorial et le travail du journaliste assassiné [en anglais] :

Sa mort, opportunément passée inaperçue dans les titres des médias, occupés au niveau international par les événements de Gaza, et au Sri Lanka par les victoires militaires contre les Tigres Tamouls (LTTE) dans Elephant Pass, sonne le glas pour la société civile au Sri Lanka.

Comme pour toutes les autres victimes de la raison d'état au Sri Lanka, l'enquête promise ne sera qu'une  épouvantable imposture. Ses assassins ne seront jamais arrêtés, et “on ne saura jamais” qui a commis ce meurtre.

Mais M. Wickrematunge, écrivant depuis la tombe (voir ci-dessous), n'a aucun doute sur qui est derrière son assassinat : le régime Rajapakse et ses séides sans loi.

Toutefois certains blogueurs s'interrogent et se demandent si Wickrematunge a bien écrit cet éditorial avant son décès, ou s'il a été écrit par d'autres. In Mutiny [en anglais] considère ce texte comme “l'un des meilleurs depuis longtemps au Sri Lanka”, mais souligne également que son auteur “n'est pas absolument clair”. Et Jack Point, sur Court Jester, se pose des questions sur l'authenticité [en anglais] de cet éditorial :

Je suis bien entendu prêt à changer de point de vue. Est-ce que quelqu'un dans le secret clarifiera la situation ? S'il a vraiment écrit cela, ce serait absolument prophétique et un hommage mérité à cet homme, sinon cela ressemble à du roman, à du théatre, une chose qui définit ce journal.

Le blogueur de Moving Images, Nalaka Gunawardene écrit [en anglais] dans Himal South Asian :

Je n'ai aucune idée duquel, ou desquels, de ses collaborateurs a réellement écrit son “Dernier Éditorial”, mais cela se lit comme du vrai Lasantha : passionné et accomodant, libéral mais sans compromission sur ce ce qui lui tenait à cœur. Je ne peux pas repérer la plus petite différence dans le style.

Et c'est là qu'est notre espoir : alors qu'à 51 ans Lasantha gît tombé sous les balles, son esprit et sa passion sont toujours là, poursuivant la mission de sa vie. Cela semble être une bonne mesure de l'héritage institutionnel qu'il laisse derrière lui. Si le journalisme d'investigation est un virus, cet homme a eu le temps d'infecter au moins quelques un de ses confrères…

Reporters Sans Frontières a déclaré dans un communiqué de presse [en anglais] que “le Président Mahinda Rajapakse, ses partenaires et les médias officiels sont directement responsables parce qu'ils ont incité à la haine contre lui et permis le développement d'un scandaleux niveau d'impunité quant aux violences contre la presse”.

Les commentaires ont également été nombreux sur les billets traitant du sujet. Par exemple, sur le site de journalisme citoyen Groundviews [en anglais], on peut lire les réactions de l’ancien Président Chandrika Kumaratunga et de l’ambassadeur du Sri Lanka auprès des Nations Unies, Dayan Jayatilleka.

Le rédacteur de Groundviews, Sanjana Hattotuwa, fait ce commentaire [en anglais], à propos de l'inaction du gouvernement, et d'une commission oubliée qui avait été constituée pour entendre les griefs des journalistes :

Dans les deux cas [le meurtre de Wickramatunge et l'attaque contre la télévision MBC/MTV], l'administration Rajapakse désigne des mystérieux groupes armés acharnés à discréditer le gouvernement. Il a fait ce qu'il fait le mieux, exprimer son indignation, ordonner une enquête complète et nommer une commission d'enquête.

Ce faisant il oublie fort à propos que la commission gouvernementale établie en juin 2008 pour enquêter sur les griefs des journalistes est en grande partie oubliée aujourd'hui. Personne ne sait si elle existe vraiment, comment la saisir, ce qu'elle fait, ou si elle a trouvé des propositions pour protéger les journalistes.

Indi.ca invite les journalistes à prendre exemple sur les ministres [en anglais] et de se protéger en apprenant des techniques d'autodéfense.

Wickrematunge n'était pas un bon journaliste pour tout le monde. Beaucoup de blogueurs connus n'étaient pas d'accord avec une grande partie de ce qu'il écrivait et trouvaient ses reportages vulgaires. Néanmoins, ils déplorent le plus souvent sa mort et demandent justice au nom de la liberté d'expression. Sur Groundviews, Lionel Bopage écrit [en anglais] :

Mes évidents désaccords politiques avec Lasantha ne m'empêchent pas d'apprécier ses qualités personnelles, politiques et journalistiques, et de le considérer comme un exemple dans les médias sri lankais. Il était sans peur et il voulait courageusement découvrir et exposer avec un œil critique, en termes directs, ce qu'il croyait être la vérité. Son assassinat est une perte tragique pour le peuple sri lankais tout entier.

Les récentes victoires militaires de l'armée gouvernementale contre le LTTE sont évidemment une actualité très suivie à Colombo. Cerno pense [en anglais] que ces incidents ne doivent pas détourner les médias de la guerre :

Le récent meurtre du journaliste du Sunday Leader et l'attaque contre Sirasa TV détournent trop l'attention des exploits courageux qui font reculer le LTTE. Cette guerre n'est pas encore finie. Il y aura encore de durs combats. Puis viendra le plus difficile, faire la paix, pour que nos petits-enfants (si nous en avons) n'aient pas affaire à cette merde. Ne sommes-nous pas chanceux ?

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